Allemagne: au bord de la récession

Bruno Cavalier, ODDO BHF AM

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L’économie allemande est particulièrement touchée par l’incertitude causée par la guerre en Ukraine.

En 2021, l’économie allemande a sous-performé le reste de la zone euro du fait de sa forte exposition relative aux perturbations logistiques nées de la pandémie. Il était admis jusqu’il y a peu qu’un fort rattrapage aurait lieu en 2022 quand les conditions sanitaires se normaliseraient. La guerre en Ukraine remet en cause ce scénario. Loin de s’atténuer, la hausse du prix des intrants connait une relancée. Il existe d’importantes marges de manœuvre budgétaire pour amortir l’impact de l’inflation mais le risque de rechute est bien présent. Les indicateurs de confiance pointent désormais vers la récession.

Allemagne, dans la dépendance d’un pays hostile

L’invasion de l’Ukraine par la Russie modifie les perspectives économiques de l’Europe, et particulièrement de l’Allemagne. Dans un choc qui tend à attiser la flambée des prix de matières premières et à aggraver les perturbations du commerce mondial, certains des atouts de l’économie allemande se transforment en handicaps. La dépendance de l’Allemagne vis-à-vis de la Russie pour couvrir ses besoins en énergie complique le problème car les objectifs à court et à long terme ne sont pas alignés. Il est désirable ne plus dépendre du gaz russe mais peut-on s’en passer d’un coup au risque de pénaliser lourdement les agents économiques?

Plus personne ne pense que l’Allemagne rattrapera en 2022 sa contre-performance de l’an passé.

A ce jour, on ne dispose pas encore de statistiques fiables attestant d’une dégradation de l’activité mais les enquêtes de confiance pour mars en donnent déjà une idée. Tous les indices sont en recul, parfois dans des proportions comparables à ce qu’on avait observé lors de la pandémie. Le moral des ménages s’est effondré en réaction à la nouvelle envolée des prix de l’énergie. Les entreprises sont confiantes quant aux conditions courantes mais se montrent dramatiquement inquiètes de l’avenir. L’indicateur hebdomadaire d’activité calculé par la Bundesbank en utilisant diverses données à haute fréquence pointait au 27 mars vers une baisse du PIB réel de 1,1% t/t au premier trimestre 2022, période marquée par de fortes restrictions sanitaires. C’est au moment où ces restrictions allaient être levées que la guerre survient. Il est hasardeux de dire qui l’emportera au deuxième trimestre 2022 entre l’effet négatif de la guerre et l’effet positif de la sortie d’Omicron mais, en tout état de cause, l’horizon se noircit.

Tous les prévisionnistes revoient leurs vues sur l’économie allemande, chaque scénario assorti d’une grande marge d’incertitude. Plus personne ne pense que l’Allemagne rattrapera en 2022 sa contre-performance de l’an passé. En 2021, l’activité industrielle avait pâti de la hausse des prix d’intrants, des retards de livraisons, ou de la pénurie de biens intermédiaires. Il était anticipé que ces problèmes diminueraient avec le reflux mondial de la pandémie. Cette hypothèse a pris du plomb dans l’aile.

Les vulnérabilités allemandes

La première vulnérabilité de l’économie allemande vient des marchés de l’énergie. Même si l’Allemagne a augmenté la part des énergies renouvelables dans son mix énergétique, elle reste dépendante des énergies fossiles. Son principal fournisseur est la Russie pour plus de 50% en ce qui concerne le gaz et le charbon et un tiers pour le pétrole. Trouver des substituts est possible mais, dans le cas du gaz dont le transport réclame de lourdes infrastructures, il ne peut y avoir de substitution rapide.

La question est de savoir quel coût l’Allemagne est prête à s’infliger pour sortir le plus vite possible de la dépendance à la Russie. Une étude d’un collectif d’universitaires a estimé qu’un arrêt des importations de gaz russe en partie compensé par d’autres pays réduirait le PIB réel dans une fourchette de 0,5% à 3%. Le choc serait ainsi moindre que celui de la pandémie mais reste indésirable. L’Allemagne ne va pas se couper, dans l’immédiat, du gaz russe et la Russie, malgré les menaces en ce sens, ne va pas fermer le robinet. Reste que la sécurité des approvisionnements n’est pas garantie.

L’impact de la guerre en Ukraine est moins facile à inverser que le choc-COVID.

Outre l’énergie, l’économie allemande est très sensible à l’Europe de l’Est. A partir du milieu des années 1990, sa chaine de valeur a été réorganisée en intégrant de plus en plus le groupe des pays dit CE4 (Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Pologne). En 2021, les importations de biens d’Europe de l’Est, hors union économique et monétaire, pesaient 6,1% du PIB en Allemagne contre 2,5% en Italie et moins de 2% en France et en Espagne. Le stock d’investissement allemand dans ces pays représente près de 100 milliards d’euros contre seulement environ 40 milliards d’euros pour la France. La production industrielle allemande dépend de la fluidité des échanges avec des pays qui sont limitrophes de la zone de guerre. Le cas du secteur automobile est emblématique. Jusqu’à présent, certains câbles étaient fournis presque entièrement par des entreprises situées en Ukraine. Là encore, la substitution ne saurait se faire d’un claquement de doigt.

Un nouvel état d’esprit budgétaire

La poussée des prix touche toute l’Europe. Tout au long de 2021, le rebond des prix de matières premières après la récession de 2020 s’est surtout vu en amont de la chaîne des prix. La transmission en aval sur le consommateur est restée lente et modeste. Mais quand l’inflation est poussée par les prix de l’énergie, la répercussion est au contraire forte et rapide. La guerre en Ukraine en donne un parfait exemple. En un mois, les prix de l’énergie tous types confondus ont augmenté de près de 20%, poussant le taux d’inflation annuelle autour de 7,5% sur un an. La croissance des salaires, elle, reste encore assez stable aux alentours de 2% sur un an. De quoi rassurer ceux qui à la Bundesbank ou la BCE ont l’œil rivé sur le risque d’une boucle prix-salaires mais, pour les salariés, il y a là une amputation directe du pouvoir d’achat des revenus.

Pour amortir le choc, le gouvernement allemand a annoncé la semaine passée un second train de mesures visant à réduire la facture énergétique. Au total, ces mesures représentent un soutien d’environ 0,8% du PIB. Cela réduira l’inflation dans les prochains mois, en espérant qu’à l’expiration de ces mesures, les prix de l’énergie soient stabilisés à un plus bas niveau. En temps de crise, l’Allemagne n’est plus réticente à utiliser activement l’outil budgétaire. Ce changement d’état d’esprit est amené à durer. Les annonces relatives à l’accroissement des dépenses militaires et à la transformation accélérée du mix énergétique ne s’accordent guère avec l’orthodoxie budgétaire qui a dominé la décennie post-crise financière. Des finances publiques solides n’assurent pas la sécurité énergétique et militaire mais elles facilitent le financement des investissements nécessaires pour les obtenir. C’est l’un des rares avantages de l’Allemagne dans cette crise.

Une économie dont le modèle de croissance repose sur la production et l’exportation de biens manufacturés est plus exposée quand les chaînes d’approvisionnement risquent de rompre. En ce sens, l’impact de la guerre en Ukraine est moins facile à inverser que le choc-COVID. Le gouvernement allemand a déjà engagé des changements profonds de stratégie dans le domaine de la défense et de l’énergie. Cela peut certainement être payant à moyen-long terme, mais dans l’immédiat, le risque baissier sur l’activité n’est pas loin de créer les conditions d’une rechute en récession.

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