Prévoyance: les attentes des assurés sont souvent trop optimistes

Yves Hulmann

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Selon Roland Altwegg de Raiffeisen, beaucoup de personnes surestiment les revenus qu’elles percevront à la retraite et sous-estiment leurs futures dépenses.

Quelles sont les connaissances et les attentes des Suissesses et des Suisses en matière de prévoyance? Le point avec Roland Altwegg, responsable du département Produits & Investment Services et membre de la direction chez Raiffeisen Suisse, à l’occasion de la publication du dernier Baromètre de la prévoyance 2023.

Au fil des différentes réformes et adaptations adoptées dans le domaine de la prévoyance en Suisse, la population évalue-t-elle correctement les rentes des 1er et 2e piliers qu’elle percevra une fois qu’elle aura atteint l’âge de la retraite?

Il n’est pas toujours facile de se tenir à jour à propos du système de prévoyance et d’avoir une vue d’ensemble des revenus que l’on percevra au moment de la retraite. De mon point de vue, l’important est surtout d’évaluer correctement non seulement les rentes dont on bénéficiera à la retraite mais aussi de parvenir à estimer ses futures dépenses. Or, je pense qu’une grande partie de la population tend à surestimer les futures rentes qui seront perçues à l’âge de la retraite et à sous-estimer leurs dépenses dans cette nouvelle phase de vie. En raison du manque de connaissance au sujet des questions de prévoyance et des lacunes de cotisation durant certaines périodes de la vie active, il en résulte souvent un «gap» au moment de la retraite. Nous essayons de notre côté d’y remédier en mettant à disposition des outils tels que le «radar de prévoyance Raiffeisen». Celui-ci évalue votre future situation au moment de la retraite en tenant compte non seulement des prestations de l’AVS et de votre caisse de pension mais également de la situation de votre fortune, qui peut être très variable d’un individu à l’autre.

«La première étape à franchir est de lire et comprendre le relevé que l’on reçoit de la part de sa caisse de pension et si nécessaire de la contacter.»
Traditionnellement, on estimait que les futures prestations perçues de l’AVS et du 2e pilier devraient correspondre, de manière cumulée, à 60% du dernier salaire gagné avant la retraite. Peut-on encore partir de ce principe?

Dans la plupart des situations, cette estimation est aujourd’hui trop optimiste. Différentes études situent cette proportion plutôt à moins de 60%. Bien sûr, il s’agit d’estimations qui sont encore susceptibles de varier en fonction du salaire de la personne concernée, des prestations offertes par sa caisse de pension, etc. Dans tous les cas, la prévoyance privée va aussi devenir toujours plus importante à l’avenir.

Par ailleurs, du côté des charges, l’idée selon laquelle il est possible de diminuer ses dépenses de plus de 20% une fois que l’on est à la retraite est souvent illusoire. D’une part, car les personnes retraitées vivent plus longtemps et sont en meilleure forme une fois qu’elles ont atteint l’âge de la retraite, ce qui leur permet d’entreprendre de nombreuses activités. D’autre part, car les loisirs et autres activités coûtent aussi de l’argent.

Quelles options s’ouvrent aux personnes encore en activité qui pensent qu’elles ne disposeront pas de rentes suffisantes à l’âge de la retraite?

Il y a, d’un côté, tout ce qui peut être entrepris au niveau de la prévoyance volontaire du 3e pilier, en versant si possible chaque année l’entier des montants déductibles du pilier 3a. De l’autre côté, certaines personnes oublient qu’elles peuvent aussi améliorer leurs futures retraites au niveau du 2e pilier, notamment grâce aux rachats facultatifs qui peuvent être effectués auprès de leur caisse de pension. Dans tous les cas, la première étape à franchir est de lire et comprendre le relevé que l’on reçoit de la part de sa caisse de pension et si nécessaire de la contacter. En ce qui nous concerne, nous entreprenons de nombreux efforts pour contribuer à améliorer ce que l’on appelle la «financial literacy» de la population, à savoir les connaissances en matières financières, que ce soit avec les outils que nous mettons à disposition sur le site web de Raiffeisen ou en publiant des études consacrées à cette thématique, à l’exemple aussi du Baromètre de la prévoyance.

«Si l’inflation avoisine les 3% et que vous ne recevez que 0,5% sur un compte d’épargne de prévoyance, cela signifie que vous perdez du pouvoir d’achat chaque année.»
De la connaissance en matière de prévoyance à l’action, il y a encore un pas à franchir. Que recommandez-vous de faire en premier?  

La première étape, comme déjà évoqué, consiste à s’informer et à se faire une idée des revenus que l’on percevra une fois que l’on aura atteint l’âge de la retraite. La deuxième étape consiste à s’interroger sur le style de vie que l’on souhaitera avoir lorsque l’on sera à la retraite: sera-t-il encore nécessaire de conserver une maison familiale ou vaut-il mieux la revendre et vivre par exemple dans un logement en location? La troisième étape consiste à évaluer si l’on a la possibilité d’épargner davantage jusqu’au moment de la retraite ou de procéder à des mesures d’amélioration de ses futures rentes, à l’exemple des rachats effectués auprès de sa caisse de pension mentionnés auparavant.

Ce message est certainement bien reçu par les personnes de 45 ans et plus mais qu’en est-il des plus jeunes?

Pour les jeunes qui disposent déjà de revenus suffisants, la meilleure façon de démarrer est de cotiser dans le pilier 3a et idéalement d’utiliser un plan d’épargne en fonds. Les possibilités offertes par le pilier 3a réunissent de nombreux avantages pour les jeunes : il est possible de déduire les versements de l’impôt sur le revenu, on profite de taux d’intérêt plus avantageux que ceux offerts sur les comptes d’épargne classique – et en plus il n’y a pas d’obligation de verser chaque année un montant minimal. En raison de l'horizon de placement à long terme, il est en outre absolument judicieux de placer au moins une partie de l’épargne dans des fonds de placement.

L’inflation concerne aussi la prévoyance. Comment est-il possible pour un cotisant de se prémunir contre une baisse de pouvoir d’achat si l’inflation devait se maintenir à un niveau élevé durant plusieurs années?

Cette question se pose en particulier pour les jeunes générations qui n’ont jamais été confrontées à l’inflation jusqu’à ces dernières années. Or, l’inflation, quand elle persiste, se traduit par une perte de pouvoir d’achat année après année. Si l’inflation avoisine les 3% et que vous ne recevez que 0,5% sur un compte d’épargne de prévoyance, cela signifie que vous perdez du pouvoir d’achat chaque année. C’est pour cela qu’il est utile de rappeler qu’il est aussi possible d’investir son argent du pilier 3a dans des fonds de placement qui offrent des rendements potentiellement plus élevés et qui contribuent à vous protéger contre l’inflation. C’est le cas aussi avec les plans d’épargne en fonds de placement. Ces derniers ont l’avantage d’encourager les personnes encore jeunes à avoir une certaine discipline en matière d’épargne, en les incitant à verser chaque mois un montant donné - 100 francs par exemple - très tôt dans leur vie professionnelle.

«Les connaissances de la population suisse en matière de prévoyance stagnent à un faible niveau, surtout en ce qui concerne le 2e pilier.»  
Pour les personnes qui ne travaillent qu’à temps partiel, est-il aussi possible d’améliorer sa prévoyance?

C’est un enjeu important qui est du reste abordé dans le cadre de la réforme de la prévoyance professionnelle (LPP 21) qui sera soumis en votation en 2024 suite au référendum qui a abouti en juin dernier. Indépendamment du débat politique, les personnes assurées peuvent, par elles-mêmes, agir sur ce plan en interrogeant leurs caisses de pension à propos des déductions de coordination. Plus un grand nombre d’assurés les contactent à ce sujet, plus cela mettra les caisses de pension sous pression et les incitera à proposer des conditions plus favorables pour les personnes qui travaillent à temps partiel.

La question du «Gender Gap» revient souvent dans les discussions concernant la prévoyance. Vaut-il la peine selon vous de proposer des offres de conseil ou des solutions de placement spécialement conçus pour les femmes?

Oui, je pense que c’est important. Nous organisons du reste des séances d’informations spécialement à l’intention des femmes et qui sont animées par des conseillères à la clientèle formées dans ce but. Quand une conseillère, qui est aussi mère de famille, peut relater sa propre expérience, je pense que cela a une autre crédibilité que si le sujet est présenté par un homme de 25 ou 30 ans.

«Le retrait du capital du 2e pilier est le moins populaire en Suisse romande avec une part de seulement 13,2%, comparé à 19,2% en Suisse alémanique et à 22,6% au Tessin.»
Quels sont les éléments particuliers qui ressortent du dernier Baromètre de la prévoyance 2023, comparé aux années précédentes ?

Il s’agit d’une étude très vaste qui porte sur de nombreux aspects. Je citerais notamment les points suivants. Premièrement, les connaissances de la population suisse en matière de prévoyance stagnent à un faible niveau, surtout en ce qui concerne le 2e pilier. Deuxièmement, les possibilités offertes par le 3e pilier sont encore très loin d’être pleinement exploitées. Toutefois, l’épargne en titres dans le troisième pilier continue de gagner en importance. Troisièmement, on constate que les questions en rapport avec la possibilité d’effectuer un travail à temps partiel après la retraite tendent désormais à gagner en importance.

Observez-vous des différences dans les réponses apportées par les personnes interrogées en Suisse romande et en Suisse alémanique?

Dans l’ensemble, les écarts ne sont pas aussi marqués que ce que l’on constate parfois dans d’autres domaines. Par exemple, en ce qui concerne la prévoyance individuelle du 3e pilier, les personnes habitant au Tessin utilisent beaucoup moins les possibilités offertes par le pilier 3a. C’est comme cela depuis de nombreuses années. En revanche, il y a peu de différences entre Romands et Alémaniques à ce sujet.

Néanmoins, on a pu observer des différences à propos des points suivants: le retrait du capital du 2e pilier est le moins populaire en Suisse romande avec une part de seulement 13,2%, comparé à 19,2% en Suisse alémanique et à 22,6% au Tessin. De même, la possibilité de placer soi-même son argent du 2e pilier obtient la plus faible approbation en Suisse romande avec seulement 4,2%, comparé à 10,8% en Suisse alémanique et 5,6% au Tessin. Par ailleurs, l’idée de passer à un modèle de retraite basé sur le nombre d’années où l’on a cotisé («Lebensarbeitszeitmodell») ne séduit que 33,4% des personnes sondées en Suisse romande, contre 44,1% en Suisse alémanique et même 47,6% en Suisse italienne.

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