L’inflation atteindra son point le plus bas de ce cycle ces prochains mois aux Etats-Unis et en Europe avant de commencer à rebondir. Il en résultera une remontée des rendements obligataires, prévient Norman Villamin, chef stratégiste global d’UBP, lors d’une présentation des perspectives d’investissement en 2025, vendredi à Bâle. A la fin de l’année prochaine, l’inflation américaine devrait en effet atteindre 3%. Dès lors, les baisses de taux de la Fed et de la BCE seront moins nombreuses que prévu. Et le rendement des Bons du Trésor américain devrait encore s’accroître pour s’élever à 5% (4,4% actuellement), prévoit Norman Villamin. Dans ce cadre, la gestion obligataire sera un réel défi. Il s’agira d’éviter le risque de hausse des taux et de capter les revenus issus des coupons.
Dans ce processus de normalisation des taux d’intérêt, la banque, qui avait bien anticipé les marchés pour 2024, est favorable aux actions, à l’or- qui n’a fait que la moitié de son chemin haussier- et aux hedge funds. Eleanor Taylor Jolidon, co-Head of Swiss and Global Equity, répond aux questions d’Allnews:
Qu’attendez-vous des actions en 2025?
La croissance globale des bénéfices nous permet d’anticiper un cru 2025 assez favorable. Nous prévoyons une hausse de 10 à 15% des bénéfices globaux et de 10% pour les bénéfices des sociétés suisses. Il arrive fréquemment que les attentes soient supérieures au plan global que pour la Suisse. Le marché américain tend à être plus optimiste que son équivalent suisse et le marché global contient aussi davantage de secteurs cycliques que la bourse suisse. Mais le marché suisse dispose d’un important atout, la visibilité de la croissance bénéficiaire. Cet avantage tient à la forte pondération des valeurs de santé (38%).
Les 10% d’augmentation en Suisse dépendent de la croissance mondiale du PIB, d’une situation macroéconomique acceptable et d’un cadre politique stable. Dans la perspective de 2025, il importera donc de considérer les sociétés les moins sensibles à une volatilité des attentes bénéficiaires. L’exposition du marché suisse à la santé est donc intéressante de ce point de vue.
Est-ce que les actions suisses peuvent sous-performer deux années de suite?
Il est tout à fait possible que les actions suisses sous-performent plusieurs années de suite. La sous-performance de 2024 est liée au prix que l’investisseur est prêt à payer pour détenir des actions. Or le multiple des bénéfices (PER) a été davantage pénalisé que la croissance des bénéfices. On y ajoutera la contre-performance de Nestlé, qui pèse plus de 15% dans l’indice. Celle-ci est due à la faible croissance bénéficiaire en 2024 et l’année prochaine et au manque de confiance du marché à l’égard de la direction stratégique du groupe.
Un gérant actif peut éviter ce genre d’embûches et sélectionner les titres qui présentent une meilleure performance que la moyenne et qui sont soutenues par leur croissance des bénéfices et une création de valeur significative.
«Le niveau d’inflation a baissé en Suisse, alors qu’elle pourrait se situer au-dessus de 2% pour plus longtemps qu’actuellement excompté aux Etats-Unis»
Beaucoup de sociétés suisses ayant présenté de bons résultats ne sont-elles pas en baisse en 2024?
Le marché anticipe les perspectives. Des sociétés de petite ou moyenne capitalisation aussi bien que des grandes comme Alcon, Lonza, ABB ou les assurances ont présenté de bons résultats. Les attentes sont bonnes pour 2025, mais certaines sociétés risquent de croître à un moindre rythme. Les sous-traitants de sociétés technologiques par exemple ont souffert de l’attente d’une moindre croissance de groupes exposés à l’intelligence artificielle.
La Chine a aussi suscité des inquiétudes qui ont péjoré la performance des valeurs du luxe au plan global.
Dans l’analyse d’un marché, il importe de s’intéresser aux marchés finaux de chaque société pour savoir comment se positionner.
Quels sont les secteurs les plus attractifs dans l’optique de 2025?
L’investisseur doit s’intéresser à l’accélération des bénéfices d’un secteur par rapport à l’année précédente. En Suisse, la croissance sera par exemple plus soutenue dans la pharma et l’industrie en 2025 qu’en 2024. Par contre, les télécoms subiront un ralentissement des bénéfices l’année prochaine. Il arrive toutefois que la tendance d’un secteur puisse baisser uniquement à cause d’une seule société importante alors que d’autres progresseront significativement. Nous devons analyser chaque société, évaluer sa capacité à créer de la valeur à long terme et savoir s’il existe des vecteurs de création de valeur particulièrement forts en 2025.
Quels seront les plus grands risques?
Les plus grands risques seront politiques. Nous appartenons au tissu économique mondial. Si un pays imposait des restrictions au commerce, lui-même et tous ses partenaires en seraient affectés. La Suisse dispose ici de l’avantage d’une exposition géographique très équilibrée entre les grandes zones économiques. L’idée selon laquelle l’Allemagne serait le principal partenaire économique de la Suisse est largement répandue. Pourtant elle est fausse. Les Etats-Unis sont maintenant passés devant l’Allemagne. Le critère à considérer pour une société n’est pas le niveau de ses exportations mais les marchés finaux de ses produits. Elles sont souvent bien implantées dans les pays où elles généreront leurs revenus. Il est intéressant d’observer que les sociétés suisses sont depuis fort longtemps bien implantées aux Etats-Unis. Lors d’un voyage aux Etats-Unis, il apparaît fréquemment que les résidents soient surpris que les sociétés présentes dans leur ville soient suisses. Cette capacité des sociétés suisses à être perçues comme locales aux Etats-Unis concerne aussi bien les grandes pharmas que des plus petites sociétés qui sont moins visibles pour le citoyen américain, mais critiques pour le bon déroulement des processus de leurs clients.
«Les produits des groupes suisses ne concurrencent pas ceux de sociétés américaines stratégiquement importantes».
Est-ce que cela signifie qu’elles n’ont pas à craindre des droits de douanes plus élevés?
Les groupes suisses bénéficient de plusieurs avantages structurels. Tout d’abord, les produits des groupes suisses ne concurrencent pas ceux de sociétés américaines stratégiquement importantes. De plus, ces sociétés sont souvent des sous-traitants des groupes américains. Elles fabriquent des produits critiques dans la production d’un produit final. Un politicien peinera à utiliser sa rhétorique électorale pour cibler des produits intermédiaires. Il est plus facile de s’en prendre, par exemple, à un produit directement concurrentiel à un produit américain, comme les automobiles.
Enfin, ces sociétés suisses implantés aux Etats-Unis offrent de nombreux emplois aux locaux.
En ce qui concerne la santé, les Américains n’ont nul envie de se priver de traitements médicaux performants mais non américains. Il faut donc distinguer entre la rhétorique politique et la réalité économique et comprendre que la Suisse a de meilleures chances que d’autres pays d’éviter d’être dans le viseur des Etats-Unis.
L’arrivée de Robert Kennedy à la santé a fait chuter le secteur en bourse. La santé pèse 38% de la cote suisse. Faut-il s’inquiéter?
C’est une nouvelle inquiétante, mais il faudra s’intéresser moins aux discours qu’aux mesures qui seront prises. Il faut aussi savoir que le système démocratique américain comporte d’importants contre-pouvoirs. Les médias se sont concentrés sur la nomination de Robert Kennedy, mais ils auraient aussi pu mentionner celle de Vivek Ramaswamy, qui vient de la biotech. La nouvelle administration sera peut-être un lieu de discussions animées.
La bourse exagère-t-elle les aspects négatifs de l’’administration Trump?
C’est souvent le cas. La bourse est très réactive au narratif du moment. Il est d’autant plus important de se concentrer sur les fondamentaux d’une société, de se pencher sur les marchés finaux de ses produits, d’analyser son management, y compris de la gestion de ses sous-traitants, de son personnel et de ses clients. Cela fait partie des fondamentaux de notre approche de l’investissement. Nous voulons voir qu’une société crée de la valeur sur le long terme.
Il est par exemple possible qu’une société n’ait pas augmenté ses prix à court terme mais par contre qu’elle a été capable de conserver ses clients. Nous utilisons un système basé sur le rendement du cash-flow sur investissement.
Nous observons que le marché suisse crée énormément de valeur ajoutée. Certes, il sous-performe en 2024 mais il surperforme fréquemment l’indice MSCI Monde. Si nous pouvions exclure la Big Tech américaine de l’indice MSCI Monde, le marché suisse s’en sortirait nettement mieux cette année.
Il est sans doute intéressant de considérer les promesses technologiques, mais il faudra d’abord que ces promesses soient monétisées. C’est pourquoi il n’est pas interdit de s’interroger sur la prolongation de la tendance de la Big Tech. Les 7 magnifiques ne sont d’ailleurs plus 7.
Vous êtes un gérant actif. Quel secteur faut-il éviter pour battre les indices?
Les changements économiques sont si fréquents qu’il ne faut pas établir des règles définitives sur les secteurs à avoir ou éviter. Compte tenu de la situation chinoise, nous évitons les sociétés très dépendantes de ce marché. Je pense ici au luxe et de façon plus générale à la consommation discrétionnaire. Les Etats-Unis constituent un marché significatif de la consommation discrétionnaire, mais l’intérêt y est modéré pour les montres et les bijoux. La recomposition du commerce international devrait également pénaliser ce secteur.
La Chine est un acteur majeur d’autres secteurs, comme l’automobile. La prudence est donc de mise à l’égard de sous-traitants suisses de véhicules vendus en Chine -mais pas aux Etats-Unis.
La construction sort d’une année très difficile. Elle pourrait rebondir l’an prochain.
Qu’en est-il de l’énergie?
L’arrivée d’une nouvelle administration devrait modifier la donne dans plusieurs secteurs, dont celui de l’énergie. Nous pourrions penser que les énergies classiques devraient en profiter. Mais nous pensons que l’énergie, de façon générale, devrait renchérir. Les sous-traitants des énergies fossiles ou durables vont plutôt investir dans leur efficacité industrielle que dans l’expansion de leurs ventes.
Que pensez-vous des commodities dans un contexte d’inflation?
Nous ne trouvons rarement des sociétés de ce secteur qui soient capables de créer beaucoup de valeur. C’est aussi un secteur qui fait face aux restrictions liées à l’investissement durable.
Le narratif du marché suppose une Europe au plus mal et des Etats-Unis en grande forme. Pourtant la croissance économique sera très proche l’an prochain. Qu’en déduisez-vous?
Le plus grand défi des Etats-Unis sera celui de la visibilité. Il faut distinguer entre les discours électoraux et la mise en oeuvre du programme politique. L’établissement de barrières douanières freine le commerce international et accroît l’inflation. Comme le gouvernement Trump devrait lutter contre la hausse des prix pour soutenir le pouvoir d’achat des Américains, nous peinons à prévoir quel facteur sera prédominant.
L’Europe, de son côté, a toujours su traverser les crises et utiliser ces dernières pour mettre de l’ordre dans ses priorités.
Lorsque nous étudions des marchés très matures, y compris sur le plan démographique, nous sommes moins intéressés par la quête d’une croissance sous l’angle quantitatif que par la recherche de valeurs ajoutées. L’Europe n’a pas les priorités de croissance de la Chine.
La croissance européenne pourrait être molle au début de l’année prochaine, d’autant que l’incertitude sera grande sur la direction que prendra la politique économique américaine. L’endettement reste un sujet d’inquiétude. Ce sujet touche moins la Suisse que d’autres régions. Mais aux Etats-Unis il pourrait progressivement être mis à l’agenda des investisseurs. Il est vrai que l’administration Trump devrait être peu sensible à ce sujet. L’inflation pourrait permettre de répondre à l’excès de dette, mais l’électorat républicain est particulièrement sensible à la hausse des prix.
Les actions, notamment suisses, sont en baisse en ce moment. Est-ce l’occasion à saisir pour acheter massivement?
En tant que Suissesse, je préfère toujours la modération. En général, nous mettons en parallèle les marchés suisse et américain parce que tous deux sont de grands créateurs de valeur. Or les Etats-Unis, en raison en partie de la technologie, se traitent avec une valorisation étendue. Compte tenu des incertitudes, des possibles pressions inflationnistes et des questions sur la monétisation de l’IA, nous suggérons des alternatives à rajouter à ce marché.
La Suisse semble intéressante si l’on cherche une création de valeur moins incertaine et plus équilibrée.
En Europe, la stabilité politique fait défaut sur le Continent à la différence du marché britannique, où des opportunités d’investissement semblent émerger.
Est-ce que le PER du marché suisse est correct?
Le multiple des bénéfices se situe à un niveau assez correct, à 17,5 fois. Le niveau d’inflation a baissé en Suisse, alors qu’elle pourrait se situer au-dessus de 2% pour plus longtemps qu’actuellement escompté aux Etats-Unis. Ces conditions sont généralement favorables à la bourse suisse.