Se concentrer sur la création de valeur plutôt que sur les variations à court terme

Yves Hulmann

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Tant qu’une société parvient à dégager un cash flow stable supérieur aux coûts du capital, c’est un gage de stabilité, y compris lors de phases difficiles, souligne Martin Moeller d’UBP.

La volatilité sur les marchés n’a pas faibli au cours des dernières semaines. Comment faut-il interpréter les fortes variations sur les marchés tout au long de ce printemps? Et comment faut-il se positionner dans une optique d’investissement à long terme? Le point avec Martin Moeller, co-responsable de la gestion actions suisses et globales (co-Head of Swiss & Global Equity) à l’Union Bancaire Privée (UBP), qui s’exprimait en marge de l’édition 2022 de l’UBP Investment Insight Summit qui a eu lieu à la mi-mai à Zurich.

Après avoir rebondi jusqu’au début du mois d’avril, les principaux indices boursiers ont ensuite fortement rechuté entre la mi-avril et la mi-mai. Comment expliquer ce second mouvement de correction cette année et de quelle façon en tenez-vous compte dans votre stratégie d’investissement?

Il est difficile d’attribuer la rechute des marchés entre fin avril et début mai à une seule cause spécifique. En ce qui concerne la situation en Ukraine, le retrait partiel de l’armée russe vers l’est du pays et sa concentration sur les régions du sud-est de l’Ukraine semble être le moins dommageable des scénarios. Il y a moins de risques d’une escalade immédiate du conflit avec d’autres pays que lorsque l’armée russe se trouvait aux portes de Kiev.

«On ne peut pas attribuer la récente correction des actions entre la mi-avril et début mai à un seul élément déclencheur.»

S’agissant de l’évolution des prix du pétrole, les cours du brut évoluent désormais dans une sorte de couloir assez stable depuis fin février. Il y a moins de risques d’«overshooting» des prix du pétrole comme on avait pu le voir début mars. Bien sûr, l’inflation reste à un niveau élevé dans de nombreux pays mais, ici aussi, on ne peut pas parler d’une surprise. Cela fait déjà de nombreux mois que la Fed a clairement annoncé la couleur quant à sa détermination à lutter contre la hausse des prix – la Réserve fédérale n’emploie plus le mot « transitoire » depuis maintenant presque une demi-année.

Quant à la saison de publication des résultats du premier trimestre, les chiffres dévoilés par les grandes entreprises ont été souvent meilleurs que prévu. Dans certains cas, celles-ci ont même parfois revu à la hausse leurs anticipations pour le reste de l’année. Bien sûr, toutes les entreprises ne disposent pas des mêmes capacités pour s’adapter à l’augmentation des coûts de l’énergie et des transports et afin de répercuter ces hausses de prix à leurs clients. C’est pourquoi, on ne peut pas attribuer la récente correction des actions entre la mi-avril et début mai à un seul élément déclencheur.

La faiblesse des cours observée durant les 4 à 6 dernières semaines est-elle alors due avant tout à un réajustement des politiques d’allocation d’actifs?

C’est une piste d’explication. Dès lors que les taux d’intérêt commencent à remonter, beaucoup de gens commencent à s’interroger s’il vaut la peine de continuer à privilégier les actions alors que l’on peut commencer à obtenir des rendements positifs avec les obligations d’entreprises Investment Grade (IG), voire attrayants avec les emprunts à haut rendement. Il y a eu ces dernières semaines beaucoup d’hésitations chez les investisseurs sur la question de savoir quelle est la part de leur portefeuille qu’ils doivent garder en actions et quelle est celle qu’ils devraient allouer aux obligations. Cette sorte de mouvement de pendule entre les deux classes d’actifs peut expliquer, en partie du moins, la forte volatilité récente sur les marchés.

«Le sentiment du marché envers les géants de la tech n’est pas très positif actuellement, même lorsqu’il s’agit d’entreprises profitables et qui continuent de croître.»
Assiste-t-on à la fin de TINA («There is no alternative», il n’y a pas d’alternative), l’argument qui a contribué à soutenir les actions ces dernières années?

Je n’ai pas une vue définitive sur ce point. Ce que l’on peut toutefois observer, c’est que - en plus du mouvement de balancier entre actions et obligations déjà évoqué – il y a eu beaucoup de transferts entre les placements jugés sûrs et ceux considérés comme plus risqués au sein de ces classes d’actifs. Dans les obligations, les emprunts les plus sûrs de niveau «IG» ont davantage souffert que ceux de la catégorie «high yield». Dans les actions, beaucoup de titres de qualité ont encore davantage corrigé récemment que certaines valeurs jugées plus risquées. La hausse des taux d’intérêt redistribue les cartes sur plusieurs plans.

Que pensez-vous de la correction observée dans la «tech», où les actions de certaines entreprises, parfois très solides, ont perdu entre 30 et 40% de leur valeur depuis le début de l’année?

On voit effectivement que des entreprises technologiques très profitables comme Google, qui disposent d’importantes liquidités et qui n’ont pas besoin de se financer de façon externe, ont aussi fortement corrigé. Dans certains cas, comme Netflix, cela s’explique plus aisément car cette société a perdu 500'000 abonnés au premier trimestre au lieu d’en gagner 5 millions tous les trois mois comme on y était habitué durant la pandémie. Facebook est toujours largement profitable mais les coûts élevés de ses projets actuels, dans le Metaverse notamment, fait qu’il est difficile de savoir si de tels investissements pourront être rentabilisés. Dans l’ensemble, le sentiment du marché envers les géants de la tech n’est pas très positif actuellement, même lorsqu’il s’agit d’entreprises profitables et qui continuent de croître.

«La Suisse est un marché où il est facile de trouver des entreprises avec un CFROI positif, souvent aussi parmi les moyennes capitalisations.»
Ce climat d’investissement, plutôt méfiant envers les actions, vous a-t-il incité à revoir les positions que vous détenez parmi vos 30 leaders globaux, comme les appelle l’UBP?

Notre approche de sélection ne repose ni sur des choix de type sectoriel – par exemple, les banques européennes -, ni en fonction de thèmes spécifiques – comme la consommation chinoise, par exemple. Notre critère de choix tient compte avant tout de l’évolution du CFROI (Ndlr: Cash Flow Return On Investment. Source: Credit Suisse Holt) que ces entreprises parviennent à générer sur la durée et l’observation de ce chiffre clé au fil des trimestres et années. Typiquement, une entreprise qui est parvenue à dégager année après année un CFROI stable est L’Oréal. L’exemple inverse est Nokia, qui a vu son CFROI, élevé au départ, s’éroder au fil des années. Tant qu’une entreprise parvient à dégager un CFROI stable qui dépasse les coûts du capital, c’est un gage de stabilité, y compris lors de phases de marché difficiles.

Y a-t-il des entreprises suisses qui présentent typiquement ces caractéristiques?

Je dirais qu’on est plutôt gâté en Suisse sur ce plan. La Suisse est un marché où il est facile de trouver des entreprises avec un CFROI positif, souvent aussi parmi les moyennes capitalisations. Il suffit de penser à une entreprise comme Sika, en plus des deux poids lourds de la cote que sont Roche et Nestlé. De manière générale, beaucoup d’entreprises helvétiques ont démontré leur qualité en tant que sociétés exportatrices. Les Etats-Unis – le marché le plus compétitif du monde – sont même devenus le premier marché d’exportations pour la Suisse, avant l’Allemagne, sa première destination d’exportations traditionnelle. De plus, la force du franc a aussi obligé les entreprises suisses exportatrices à faire preuve d’une grande discipline ces dernières années.

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