La prime à payer pour les actions suisses se justifie

Yves Hulmann

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Pour les experts d’UBP Norman Villamin (photo) et Eleanor Taylor Jolidon, les actions helvétiques se démarquent grâce à leur valeur ajoutée élevée.

Dans ses prévisions pour 2022, l’UBP anticipe un ralentissement de la croissance économique globale, aux alentours de 4% l’an prochain, dans le contexte d’une inflation toujours élevée. Aux Etats-Unis, l’inflation, qui s’est établie à 6,8% en novembre sur un an, n’avait plus été aussi élevée depuis le début des années 1980. Au Royaume-Uni, elle a atteint en octobre son plus haut niveau depuis 10 ans, tandis qu’en Allemagne, la hausse des prix a atteint en novembre, avec 5,2% sur un an, son plus haut niveau depuis 1992. Que faut-il attendre en matière d’inflation, pour l’économie et les marchés en général en 2022? Le point avec Norman Villamin (N.V.), CIO Wealth Management, et Eleanor Taylor Jolidon (E.T.J.), co-responsable équipe Swiss & Global Equity, auprès de l’Union Bancaire Privée (UBP).

«Beaucoup de gens ont les yeux rivés sur l’inflation aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Or, dans la zone euro, l’inflation présente un caractère beaucoup plus transitoire.»
Compte tenu de l’arrivée du variant Omicron, faut-il s’attendre à une inflation moins forte, en raison du ralentissement du rythme de la reprise, ou faut-il, au contraire, redouter une exacerbation de ce phénomène compte tenu des perturbations des chaînes d’approvisionnement en raison de la pandémie et des pénuries qui en résultent?

N.V.: Il faut différencier la situation qui prévaut dans différentes régions du monde. Beaucoup de gens ont les yeux rivés sur les grands titres de l’actualité qui portent sur les chiffres de l’inflation aux Etats-Unis et du Royaume-Uni. Or, si l’on considère la situation dans la zone euro, on peut s’apercevoir que l’inflation présente un caractère beaucoup plus transitoire. Après un pic atteint en cette fin d’année ou au début de l’an prochain, l’inflation dans la zone euro devrait décélérer tout au long de 2022, puis finir par baisser en fin d’année prochaine. Concernant la Suisse, par exemple, à la suite de l’augmentation de 2021, la hausse des prix à la consommation devrait être stable en 2022, avant de décélérer à nouveau dès 2023.

Maintenant, à la question de savoir quel sera l’impact du variant Omicron sur l’économie et l’inflation, il est encore trop tôt pour estimer quel sera son effet sur l’évolution de la pandémie ces prochains mois. A ce stade, l’arrivée d’Omicron ressemble beaucoup à celle du variant Delta l’an dernier à la même période. En revanche, contrairement à il y a un an, les restrictions mises en place dans beaucoup de pays sont plus mesurées. De fait, depuis fin novembre et selon les chiffres fournis par Apple, la mobilité aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et dans de nombreux pays émergents reste proche des niveaux records historiques à mi-décembre.

«Si l’euro se déprécie légèrement par rapport au dollar, cela poussera aussi la paire euro-franc en direction de la parité.»

En ce qui concerne les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, celles-ci résultent aussi du manque d’investissement dans ce domaine depuis de le début de la pandémie. Depuis mars 2020, plus personne ou presque n’a investi dans les chaînes d’approvisionnement. Par conséquent il faudra du temps pour que l’ensemble des chaînes d’approvisionnement fonctionnent à nouveau comme avant la crise du COVID-19.

Beaucoup d’experts s’inquiètent aussi de l’évolution des tensions géopolitiques dans différents endroits du monde. Si la situation se dégradait dans une région ou une autre, quelles pourraient en être les conséquences sur l’économie helvétique et les actifs en francs suisses?

N.V.: Quand des tensions géopolitiques apparaissent, le premier impact sur l’économie suisse est en général l’appréciation du franc. Dans le cas où ces tensions impacteraient l’activité mondiale, l’économie suisse est souvent la première à en ressentir les effets - comme ce fut le cas de la récente guerre commerciale sino-américaine -, du fait qu’elle dépend en grande partie de la bonne santé de l’économie mondiale.

Certains experts en devises estiment que la parité euro-franc suisse pourrait être atteinte l’an prochain. Est-ce pour vous un scénario réaliste?

N.V.: Les motifs de tensions sur le plan géopolitique ne manquent pas – il suffit de penser à la situation entre la Russie et l’Ukraine, à la rivalité persistante entre les Etats-Unis et la Chine ainsi qu’aux tensions autour de Taïwan. Toute poussée de fièvre autour de l’un ou l’autre de ces conflits inciterait une partie des investisseurs à se tourner, même si ce n’est que momentanément, vers les actifs considérés comme servant de valeur refuge, à l’exemple du franc suisse.

Maintenant, il ne faut pas oublier non plus les possibilités d’intervention de la Banque nationale suisse (BNS) si elle estime que le franc s’apprécie trop fortement. Il faut toutefois considérer l’évolution du franc non seulement par rapport à l’euro mais aussi par rapport à celle du dollar. Pour 2022, nous anticipons une légère appréciation du billet vert par rapport aux monnaies du G10. Si l’euro se déprécie légèrement par rapport au dollar, cela poussera aussi la paire euro-franc en direction de la parité. Si la BNS va certainement accroître ses interventions pour contrecarrer cette évolution, le cours euro-franc suisse continuer d’être orienté à la baisse, tandis que le dollar devrait, lui, au contraire regagner un peu de terrain face à la devise helvétique. Pratiquement, UBP anticipe un cours entre la monnaie européenne et la devise helvétique à 1,04 franc par euro en mars prochain, puis à 1,02 franc par euro en décembre 2022. A l’inverse, il faudra débourser un peu plus pour le billet vert, qui devrait coûter 0,92 franc par dollar en mars, puis 0,93 franc par dollar en décembre 2022.

«Les corrections pourraient ainsi être plus marquées durant l’année à venir.»
Quelles sont vos anticipations pour les actions suisses?

E.T.J.: Au cours des dernières décennies, on a pu observer que les actions suisses ont constamment généré une surperformance par rapport aux actions mondiales. Au cours des 20 dernières années, l’indice SPI a affiché un rendement cumulé de 268% comparé à 175% pour l’indice MSCI World, le tout avec une volatilité moindre pour les valeurs helvétiques. Certes, sur la base des multiples cours/bénéfices sur 12 mois (12m fwd P/E), les actions suisses du SPI se paient un peu plus chères que celles de l’indice MSCI AC World, et sensiblement plus que les titres européens inclus dans le MSCI Europe. A noter qu’avec un ratio cours/bénéfices sur 12 mois estimé à un peu plus de 19, les actions du SPI restent en revanche moins chères que les valeurs du S&P 500 aux Etats-Unis où ce ratio dépasse les 21. Même s’il faut payer un peu plus cher pour les actions suisses que pour la moyenne des actions mondiales, cette prime se justifie pleinement compte tenu de la valeur ajoutée élevée générée par les entreprises helvétiques ainsi qu’en raison de leur productivité et de leur capacité d’innovation. En comparaison internationale, les entreprises suisses ont consacré en 2020 près de 8% de leur chiffre d’affaires à des activités de recherche et développement (R&D), contre une moyenne de près de 6% du côté des firmes américaines et moins de 4% pour les sociétés européennes hors de Suisse.

Quelles actions suisses vous paraissent intéressantes en particulier actuellement?

E.T.J.: De manière générale, nous privilégions des entreprises qui sont capables de maintenir un CFROI (Cash Flow Return On Investment) à un niveau élevé et stable ou en phase d’amélioration pendant plusieurs années, comme Sika par exemple. Nous portons notre attention avant tout sur des entreprises qui disposent d’une qualité structurelle. Parmi les sociétés suisses qui ont cette caractéristique et qui bénéficient à la fois d’une tendance positive à court terme et à long terme, on peut citer des entreprises aux profils variés telles que Bucher, Givaudan, Lonza, Nestlé, Sensirion, SIG Combibloc, Sika ou encore VAT.

Quelles sont les attentes d’UBP sur le plan global concernant le marché des actions?

N.V.: Nous anticipons une performance de l’ordre de 8 à 10% pour les actions globales mais avec un risque de corrections plus élevé sur les marchés. Le fait que la croissance économique globale ait atteint un pic, combinée à une phase de réajustement de la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed) suggère que la phase de reprise est arrivée à son terme. Comparé à d’autres «mini-cycles» observés ces dernières années - à l’exemple de la crise dans la zone euro entre mars 2011 et août 2012 ou encore entre fin 2014 et janvier 2016 -, on constate que ces phases ont tendance à se caractériser par des performances plus modestes dans des marchés plus volatils. Les corrections pourraient ainsi être plus marquées durant l’année à venir.

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