Point sur la compétitivité suisse

Salima Barragan

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«90% du chiffre d’affaires des entreprises suisses est exposé à l’étranger», déclare Eleanor Taylor Jolidon de l'Union Bancaire Privée.

 

Le Fonds monétaire international (FMI) table sur une croissance de l’économie suisse de 2,5% en 2018. Il s’agit de la plus forte embellie depuis l’abandon du cours plancher vis-à-vis de l’euro en janvier 2015. Si l’on ajoute à cela un taux de chômage à 2,9%, une inflation basse et une politique monétaire souple, le cadre semble propice aux entreprises helvétiques. Pour autant, ce ne sont pas ces bons facteurs macroéconomiques qui vont entraîner les actions suisses à la hausse, mais la croissance mondiale anticipée par le FMI à 3,9%. Selon Eleanor Taylor Jolidon, Coresponsable de la gestion Actions suisses et globales à l’Union Bancaire Privée (UBP), les chiffres macroéconomiques suisses n’ont que peu d’incidence sur le résultat des sociétés helvétiques, dont 90% du chiffre d’affaires est exposé à l’étranger.

Les entreprises du secteur industriel suisse ont particulièrement profité
de la hausse du PIB mondial au premier trimestre.

Pénalisées par une devise défavorable durant trois ans, les entreprises exportatrices ont dû se battre pour rester compétitives. «Les sociétés suisses ont eu l’agilité nécessaire pour déployer les activités à plus faible valeur ajoutée à l’étranger», explique Eleanor Taylor Jolidon. Face à l’émergence de la Chine, une concurrence frénétique s’annonce sur une multitude de secteurs. Elle souligne cependant l’adaptabilité des entreprises suisses: «La société Rieter produit des machines textiles en Chine. Non seulement les Chinois sont des acquéreurs de sociétés suisses (ChemChina, par exemple, a racheté Syngenta l’année dernière), mais ils représentent aussi une concurrence qui n’est pas différente des autres».

Le dynamisme des entreprises suisses s’illustre par les dernières données microéconomiques publiées, avec notamment des carnets de commandes bien remplis et un indice suisse des directeurs d’achat (PMI) à 62,4. Pour Eleanor Taylor Jolidon, ces indicateurs reflètent la solide conjoncture mondiale: «Tant que nous aurons une situation de croissance globale, les chiffres des sociétés suisses resteront bons». L’affaiblissement récent du franc suisse a renforcé ce climat positif. Mais il y a plus important que les cours de change: les marchés internationaux reprennent, et surtout, l’Europe connaît une évolution favorable. Dans ce contexte, les entreprises du secteur industriel suisse ont particulièrement profité de la hausse du PIB mondial au premier trimestre, ce secteur restant étroitement corrélé aux indicateurs macroéconomiques globaux.

Le SMI n’a pas brillé cette année
et évolue toujours en territoire négatif.

L’UBP a relevé son objectif de croissance des bénéfices des sociétés à 15% et s’attend à 3% de rendement des dividendes. «Pour 2018, nous nous attendons à une performance de 15 à 20% sur les actions suisses», précise Eleanor Taylor Jolidon. Elles sont les mieux classées en termes de CFROI (cash-flow return on investment - rendement interne du capital investi), cet indicateur étant considéré par l’équipe Actions suisses et globales de l’UBP comme le plus pertinent pour démontrer la capacité des sociétés à créer de la valeur pour les actionnaires. «Les équipes dirigeantes des entreprises utilisent le CFROI pour la prise de décision en matière d’investissement», explique Eleanor Taylor Jolidon.

Les petites et moyennes capitalisations tirent leur épingle du jeu

Malgré cet environnement global favorable et des révisions à la hausse des bénéfices, le SMI n’a pas brillé cette année et évolue toujours en territoire négatif. L’indice des grandes capitalisations boursières suisses n’est pas parvenu à rattraper ses homologues américains et européens depuis la correction entamée fin janvier. Il a perdu plus de 1’000 points depuis son pic historique de 9’611,61. Pour Eleanor Taylor Jolidon, cette sous-performance est clairement liée à la forte pondération des trois poids lourds au sein de l’indice: Novartis, Roche et Nestlé. «La société Nestlé a souffert du changement d’habitudes des consommateurs car la marque est un facteur moins important pour les consommateurs online. Quant au conglomérat Novartis, sa restructuration et la déception sur les ventes de certains de ses produits ont pesé sur le cours du titre. Enfin, Roche risque de souffrir de l’introduction des biosimilaires venant concurrencer ses produits phares, et la société n’a pas su se distinguer encore dans l’immuno-oncologie», précise Eleanor Taylor Jolidon. Les PME, en revanche, se sont bien comportées, comme l’atteste l’indice SPI Extra (qui regroupe les petites et moyennes capitalisations du SPI), lequel a progressé de plus de 3% depuis le début de l’année.

Les investissements en R&D découlent non seulement du secteur
de la santé mais aussi, notamment, de l’industrie.

Face aux surtaxes sur les importations d’acier et d’aluminium imposées par les Etats-Unis, la Suisse fait preuve d’ingéniosité pour en minimiser l’impact: «Les sociétés suisses ont tendance à utiliser les matières premières qui sont produites dans les pays où les ventes ont lieu.» Par exemple, les produits vendus outre-Atlantique sont composés d’acier américain. Il en est de même en Europe avec l’acier européen. Seule ombre au tableau, une guerre commerciale pourrait provoquer un ralentissement de la conjoncture mondiale. «D’une façon générale, les tarifs à l’importation ne sont pas judicieux dans la majorité des cas; ils constituent un frein aux échanges internationaux, et donc à la croissance économique globale», souligne Eleanor Taylor Jolidon.

L’innovation au cœur de l’ADN suisse

En comparaison des sociétés américaines, les dépenses consacrées à l’innovation au sein des entreprises suisses sont plus élevées en termes de pourcentage du chiffre d’affaires. Les investissements en Recherche & Développement (R&D) découlent non seulement du secteur de la santé mais aussi, notamment, de l’industrie. Ainsi, VAT Group dispose d’un budget R&D dont le rapport à son chiffre d’affaires est 6 fois supérieur à celui de ses concurrents. Certains observateurs ont prétendu que la fermeté du franc suisse avait obligé les sociétés à comprimer leur frais en R&D. Pour Eleanor Taylor Jolidon, ces affirmations sont fausses. Elle estime, au contraire, que cette contrainte a discipliné les entreprises suisses et les a incitées à redoubler d’efforts. «Nous sommes habitués à une devise surévaluée. Les sociétés suisses sont donc obligées de concurrencer les entreprises étrangères au niveau de la R&D».

La digitalisation devient un puissant moteur d’innovation. La Suisse semble idéalement placée pour figurer parmi les grands gagnants de la transformation numérique. «Il n’y a pas une entreprise suisse qui n’ait pas de projet lié au digital. Même les assurances, qui, dans certains cas, ont collecté des données sur les risques pendant 150 ans, peuvent les monétiser», explique Eleanor Taylor Jolidon.

Mais la Suisse ne doit pas pour autant se reposer sur ses lauriers. Selon le classement annuel mondial sur l’innovation publié par l’IMD, le pays est passé du 2e au 5e rang. «Nous devons veiller à rester à la pointe de l’innovation pour maintenir notre leadership dans le secteur industriel», conclut Eleanor Taylor Jolidon.