Préoccupations citoyennes autour de la finance

Antoine Mach, Covalence SA

3 minutes de lecture

De récentes controverses et actions militantes questionnent le rôle des acteurs financiers. Regards croisés.

Les emprunts de villes et cantons suisses auprès de la FIFA ont récemment défrayé la chronique et suscité des débats parlementaires animés. Réunis par l’Alliance climatique suisse, des actionnaires de la Banque nationale suisse (BNS) viennent de déposer des résolutions demandant à la BNS d’aligner sa politique monétaire et de placement sur l’Accord de Paris. Toujours en ce début février 2023, des activistes d’Extinction Rebellion ont couvert de dessins et de peinture les murs de banques genevoises pour alerter l’opinion publique sur le lien entre finance et changement climatique et pour réclamer la tenue d’assemblée citoyennes.

Les préoccupations climatiques ne sont pas l’apanage de la jeunesse: en 2019, les Grands-Parents pour le climat rejoignaient le mouvement citoyen Divest Vaud pour demander à la Caisse de pension cantonale (CPEV) de décarboner ses placements. Dans un contexte similaire, la Caisse de prévoyance de l’Etat de Genève (CPEG) a été interpellée par un Groupe d’assurés pour le désinvestissement.

Que nous disent ces événements? Réponse de Sandrine Salerno, directrice de l’association Sustainable Finance Geneva: «Il y a une demande. La société civile se pose de plus en plus de questions sur la finance. On le voit aussi dans la presse, les journalistes disposent aujourd’hui de davantage de compétences pour questionner les enjeux du secteur. Cela va dans le sens de l’histoire.» Le regard de Marlyne Sahakian, Professeure associée en sociologie de la consommation et durabilité à l’Université de Genève: «Les enjeux de la crise climatique sont connus. De plus en plus de personnes intègrent la durabilité dans leurs choix. Ceux-ci concernent aujourd’hui des domaines comme la consommation d’énergie, la mobilité, l’alimentation ou les vêtements, mais la finance va sans doute devenir un axe prioritaire pour beaucoup de gens.»

Prudentes et nuancées, les stratégies de placement des caisses de pension ont du mal à convaincre les militants pour le climat.

Mais, la finance durable n’offre-t-elle pas déjà des moyens d’action aux investisseurs privés et institutionnels? Pour Edouard Cuendet, Directeur de la Fondation Genève Place Financière, en effet: «Les actionnaires de sociétés cotées ont déjà la possibilité de peser sur les choix financiers à travers l’exercice de leur droit de vote. C’est en créant des pools d’actionnaires, représentant un volume important de capital, que l’on parvient le plus efficacement à infléchir la stratégie d’une entreprise pour qu’elle s’oriente vers une transition durable.»

Plusieurs intervenants soulignent le rôle important des caisses de pension comme moyen pour les citoyens d’influencer la finance et l’économie. Ainsi, pour Christoph Baumann, spécialiste en finance durable au Département fédéral des finances: «Il est compréhensible que les cotisants demandent à avoir davantage d'influence sur la manière dont les actifs des caisses de pension sont investis.»

En Suisse, les caisses de pension sont gérées de façon paritaire avec une représentation égale des employeurs et des employés. Quel rôle jouent donc les syndicats dans la politique de placement des caisses? L’avis d’Umberto Bandiera, syndicaliste, administrateur d'une caisse de pension et candidat Vert au Grand Conseil de Genève: «Avec les syndicats genevois j'ai élaboré une «charte éthique pour les investissements responsables» déjà en 2019, une sorte de boussole pour s'orienter vers des choix plus durables. Les syndicats jusqu'ici n'ont pas exploité le potentiel qu'ils ont pour accélérer la transition vers la finance durable.» Pour Sandrine Salerno: «Les politiques et les caisses de pension elles-mêmes devraient en faire plus pour aider les citoyens à peser sur la finance. On doit ainsi réfléchir à la cohérence entre les orientations politiques et la stratégie de placement des caisses publiques.»

Bon nombre de caisses de pension ont adopté une stratégie d’investissement responsable. Elles sont réservées sur l’exclusion des énergies fossiles, pour deux raisons: d’une part, elles estiment que le devoir fiduciaire qui les lie à leurs bénéficiaires – et leur mission d’assurer le paiement des rentes – les obligent à considérer un large éventail de sources de rendement; d’autre part, elles tendent à considérer que l’engagement actionnarial est plus efficace que l’exclusion pour accompagner les entreprises dans la transition énergétique.

Prudentes et nuancées, les stratégies de placement des caisses de pension ont du mal à convaincre les militants pour le climat. Sara Gnoni est sympathisante d’Extinction Rebellion et Conseillère Communale de Lausanne (Verts). Elle a déjà participé à plusieurs actions de désobéissance civile. «Vu la lenteur du système politique et l’échec des mesures actuelles face à la crise climatique, les gens n’ont plus d’autre choix que de faire de la désobéissance civile. Ce type d’actions disruptives permet d’amener ces sujets sur la table au niveau politique.»

Certains réclament plus de réglementations contraignantes. C’est ainsi l’avis de M. Bandiera: «Les autorités ne peuvent plus se limiter à formuler de simples recommandations. Elles devraient plutôt construire des définitions et des taxonomies de la finance durable, sur le modèle de ce que fait l'Union Européenne.» Plusieurs voix en appellent à davantage de formation sur la durabilité et la finance, au sein de la population comme du monde politique. La notion d’action collective a aussi été évoquée: «Les actions d’Extinction Rebellion ont le mérite de stimuler notre imagination, de montrer au public qu’il n’est pas seulement question de choix individuels, mais qu’il y a des actions collectives qui sont possibles» estime ainsi Marlyne Sahakian.

Enfin, un consensus émerge sur l’importance du dialogue entre militants du climat, citoyens et professionnels de la finance. Pour Sara Gnoni: «Il est indispensable d’aller convaincre les citoyens, y compris les employés qui siègent dans les comités des caisses de pension, et de leur donner la possibilité de se former. C’est une des fonctions des assemblées citoyennes, où des scientifiques viennent expliquer les faits.» Susciter, faciliter la discussion, voilà aussi du pain sur la planche pour les organisations représentatives de la finance durable.

A lire aussi...