Hedge funds: «Nous aimons la dispersion»

Levi-Sergio Mutemba

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La peur de l’inflation renforce les suiveurs de tendance et les stratégies systématiques.

Bien qu’encore faible sur une base historique, l’inflation se situe aujourd’hui à des niveaux jamais vus depuis plus de dix ans. Et le taux d’inflation anticipé à 5 ans, calculé par la Fed de St. Louis, est passé d’un niveau de 0,86% en mars de l’année dernière à plus de 2,20% actuellement (au 23 novembre 2021). Cette exacerbation des craintes inflationnistes font cependant naître des tendances de marché suffisamment persistantes pour les rendre exploitables par des stratégies quantitatives systématiques. En particulier celles mises en œuvre par les gérants CTA ou managed futures, qui appliquent des techniques de suivi de tendance pour générer des rendements à la fois positifs et décorrélés de ceux des actions et des obligations. Celles-ci étant les deux grandes perdantes potentielles d’un régime de hausse importante du niveau des prix à la consommation.

S’appuyant sur la recherche académique et la pratique de l’investissement depuis plus de 40 ans, le suivi de tendance consiste à faire exactement le contraire de ce que recommande un investisseur value tel que Warren Buffet. À savoir acheter cher et vendre bon marché. La stratégie, également appelée stratégie «momentum», repose sur le constat que les actifs dont les prix montent devraient s’apprécier davantage encore et que ceux dont les prix baissent perdront encore de la valeur, pendant trois, six ou 12 mois, selon la classe d’actifs et le modèle du gérant. Une des conditions essentielles du succès du suivi de tendance est la durée et l’amplitude des mouvements de prix. Ce que tend à créer des régimes d’inflation élevée.

Un environnement dans lequel les indices bougent peu, alors que leurs constituants enregistrent d’importants écarts de cours.

«Les environnement où les flux de nouvelles parlent d’inflation extrême, ainsi que les réactions de prix qui s’ensuivent, ne viennent pas de nulle part», soutiennent les spécialistes de la gestion factorielle AQR. «Ils sont suffisamment persistants pour que les suiveurs de tendance s’en emparent et se positionnent en conséquence», poursuivent-ils dans une note consacrée à la gestion du risque d’inflation publiée le mois dernier. Dans laquelle ils recommandent la combinaison d’une stratégie consistant à être long et short sur des instruments ou dérivés macros basés sur les tendances de prix, à celle consistant en la même approche mais en fonction de variables macroéconomiques (inflation, taux d’intérêt, croissance économique, sentiment de risque…) au lieu des prix.

Dans une autre étude parue cet été, le spécialiste de la gestion alternative MAN AHL assure également que les stratégies de suivi de tendance sont parmi les mieux adaptées aux périodes de forte inflation, à côté des matières premières. «Selon nous, cela donne des raisons d’être optimistes quant au fait que les suiveurs de tendance pourraient être particulièrement bien équipés pour le futur environnement de forte inflation», écrivent les gérants de MAN AHL. Soulignons que le sous-indice de la gestion alternative HFR 500 Trend Following Directional Index enregistre un rendement de plus de 11% depuis le début de l’année (à fin octobre 2021) et de 18% sur l’année écoulée.

«Nous aimons la dispersion», souligne pour sa part Julien Messias, portfolio manager et cofondateur de la société de gestion alternative Quantology Capital, contacté par Allnews. «C’est-à-dire un environnement dans lequel le marché bouge peu alors que certains de ses constituants, eux, enregistrent de fortes variations de cours, à la hausse comme à la baisse et de façon plus ou moins durable», poursuit le gérant. Dont la méthodologie d’investissement s’appuie sur l’observation et la modélisation des biais comportementaux et cognitifs des participants de marché. Pour lui aussi, la tendance est la meilleure alliée.

«Notre stratégie systématique suit des règles strictes et transparentes pour ne pas avoir à nous poser de questions.»

«Au cours de ces dernières années, nous avons travaillé dur pour élaborer les «recettes» pouvant tirer profit de cette dispersion, dont une partie majeure se produit durant la période de publication des résultats.» La stratégie consiste en effet à capturer les signaux d’achat et de vente produits le jour de la publication des résultats d’entreprise, où la dispersion (écart de performances entre les titres) est maximale, sur différents horizons de temps, de la journée au trimestre, en passant par le mois. Julien Messias explique que ce qui sous-tend la philosophie de ces stratégies repose sur – entre autres facteurs – l’inertie et la réaction mimétique des investisseurs face à l’information comptable, qu’il s’agisse d’investisseurs particuliers et, plus encore, professionnels.

Un de ces signaux (vendeur) fut donné vers le mois d’août, lorsque Quantology fit part de sa position short sur le titre du télé-conférencier américain Zoom. Qui a dégringolé de plus de 20% depuis. Les gérants ont récemment initié la suppression de cette position, alors même que la tendance sur Zoom demeure négative. Mais le respect des règles d’investissement prédéfinies est ce qui caractérise une gestion purement systématique où la conviction des gérants ne compte pas.

«Notre stratégie systématique suit des règles à la fois strictes et transparentes, précisément pour ne pas avoir à nous poser de questions, pour ne pas avoir à improviser», insiste Julien Messias. «Notre modèle exige que nous soyons neutres peu de jours avant la publication des résultats», poursuit-il. «Depuis fin juin-début juillet, l’environnement devient à nouveau favorable aux stratégies quantitatives», ajoute-t-il. «Il n’y a plus ces effets de cisaille du premier semestre». Il précise que, dans l’idéal, un régime de marché doit perdurer au moins un trimestre.

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