Comment le «capital-risque» change le monde – Weekly Note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

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Jusqu’à présent, la crise sanitaire a eu un effet «haussier» sur les marchés boursiers et les bénéfices des entreprises. Qu’en sera-t-il désormais?

La pandémie marque un fort rebond, et une nouvelle mutation du coronavirus cause des turbulences. Jusqu’à présent, la crise sanitaire a eu un effet «haussier» sur les marchés boursiers et les bénéfices des entreprises. Qu’en sera-t-il désormais? Nous tournons également notre regard vers les États-Unis et étudions le secret de leur succès économique, qui réside dans la Silicon Valley et qui a déjà contribué à la création de sept entreprises du top 10 mondial. Les développeurs de vaccins à ARN messager, Biontech et Moderna, lui doivent eux aussi leur existence. Et en cette période de l’Avent, nous puisons une fois encore, dans les trésors de la musique, des œuvres qui méritent d’être écoutées.

1. Pourquoi la pandémie a-t-elle un effet haussier sur la bourse?

Comme la bourse fait état d’un jugement dénué d’émotions, la pandémie a littéralement donné des ailes à l’économie et aux marchés. Même si ce constat peut sembler dur, le marché haussier n’est pas né malgré mais à cause de cette maladie infectieuse mortelle qui s’est répandue à travers le monde. Pourquoi?

Les annonces selon lesquelles les mesures de confinement seraient compensées par des fonds étatiques et des solutions de politique monétaire ont certes donné le coup d’envoi de la reprise boursière, mais elles ne peuvent expliquer à elles seules ni la durée ni l’ampleur du rallye observé depuis le 23 mars 2020. Si celui-ci n’avait été stimulé que par l’argent bon marché, ce sont les valorisations qui auraient augmenté en premier lieu, non les bénéfices opérationnels des entreprises. En outre, pas un seul franc des fonds publics devant être investis dans les infrastructures du monde entier n’a encore été déboursé. Or, depuis la pandémie, les bénéfices et les marges des entreprises ont affiché une hausse supérieure à la moyenne à l’échelle internationale. Nous devons cette évolution au choc créatif induit par la crise sanitaire dans pratiquement toutes les entreprises.

Par conséquent, la pandémie a non seulement dopé la numérisation dans le monde entier, mais elle a permis aux entreprises de presque tous les secteurs de faire de nombreux petits pas dans l’amélioration opérationnelle de leurs processus ou de leurs produits. Bien que de telles évolutions soient courantes après une période de marasme, c’est parce que la récession que nous venons de traverser n’était «à nulle autre pareille» que la croissance actuelle des bénéfices se révèle si exceptionnelle. En tout cas, celle-ci ne résulte pas uniquement des achats d’obligations par les banques centrales. L’augmentation de la productivité et des bénéfices devrait se poursuivre en 2022.

Les nouvelles concernant l’émergence du variant Omicron du coronavirus ont propulsé l’indice de volatilité VIX de 18,6 à 28,6 et fait faire aux marchés boursiers un tour de montagnes russes. Autant de raisons de jeter un coup d’œil sur les crises de panique antérieures du VIX, que mon collègue Jonathan Golub a analysées cette semaine pour en dégager les chiffres suivants:

2. Boom du capital-risque: investir dans les stars boursières de demain

Parmi les évolutions sous-estimées sur les marchés européens des capitaux figure l’augmentation des investissements en capital-risque. Ces placements de niche, dont les gestionnaires étaient encore qualifiés de «capitalistes-sauterelles» par les responsables politiques allemands en 2005, se sont imposés silencieusement en maints endroits ces dernières années. Les conséquences sont considérables et remarquables à plusieurs égards.

«Rien ne réussit mieux que la réussite»

Cette citation de Benjamin Disraeli, l’architecte de l’Empire britannique, peut également s’appliquer au succès des fonds de capital-risque. Au cours de la dernière décennie, ceux-ci ont enregistré, en moyenne, une réjouissante performance annuelle de 17%.1 Même si ce pourcentage élevé peut difficilement être exploité à des fins d’extrapolation étant donné l’afflux croissant d’argent frais, il met en évidence le niveau des primes de risque offertes par le capital-risque et explique pourquoi cette classe d’actifs suscite un intérêt grandissant. Celle-ci demeure en effet un placement de niche: les investissements en capital-risque représentent moins de 2% des placements totaux des caisses de pension. Mais certaines des entreprises ayant bénéficié d’un tel soutien ont déjà changé le monde. Moderna et Biontech, les deux principaux développeurs et fabricants de vaccins à ARN messager, ont démarré leur activité il y a quelques années grâce au capital-risque. Avant eux, Google, Apple, Facebook, Tesla, Netflix, Airbnb ou encore Spotify en avaient profité eux aussi. En 2020, quelque 300 milliards de francs suisses ont été placés dans le capital-risque. Cette année, le montant devrait dépasser 533 milliards, soit dix fois plus qu’il y a dix ans et vingt fois plus qu’il y a vingt ans.

Start-up aujourd’hui, acteur du changement demain?

Le boom du capital-risque ne profite pas seulement aux investisseurs et aux clients, mais aussi à la collectivité. Les investisseurs en capital-risque ont en quelque sorte parrainé la création de sept entreprises qui figurent actuellement dans le top 10 mondial. Ces sociétés sont ainsi passées du statut de start-up à celui d’«acteurs mondiaux du changement» en développant les vaccins à ARN messager déjà mentionnés, les iPhones, les réseaux sociaux, les voitures électriques et le moteur de recherche Internet le plus performant. Aujourd’hui, elles représentent ensemble une capitalisation boursière de 17'000 milliards de francs suisses, ce qui correspond environ à 24 fois la performance économique annuelle de la Suisse ou à celle de la Chine en 2021. Le fonds de capital-risque Breakthrough Energy créé par Bill Gates investit exclusivement dans des start-up susceptibles d’apporter une contribution à la transition climatique mondiale (j’en ai déjà parlé il y a deux semaines). Tout cela ne serait-il qu’un vœu pieux? Non. Les entreprises financées par le capital-risque représentent chaque année 0,5% de l’ensemble des créations d’entreprises aux États-Unis. Mais, selon une étude récente du magazine britannique The Economist2, elles constituent plus de 75% de la capitalisation boursière des sociétés fondées depuis 1995.

Avantages pour les clients, les investisseurs et la collectivité

Il n’est pas étonnant que toutes ces success-stories concernent des entreprises américaines. En effet, le capital-risque et la Silicon Valley sont peut-être les deux principaux éléments du secret de la réussite de l’économie outre-Atlantique. Jusqu’à il y a deux ans environ, plus de la moitié des placements mondiaux en capital-risque étaient effectués dans la Silicon Valley, la Chine se classant en deuxième position (voir le graphique 1). Aujourd’hui, ces entreprises ne procurent pas seulement des avantages aux clients et aux investisseurs, mais aussi des emplois, des revenus et des recettes fiscales dans leurs pays respectifs, servant donc également la collectivité. Sans le capital-risque, les États-Unis et la Chine seraient plus pauvres au sens propre comme au sens figuré. Et l’Europe? Un vent nouveau y souffle depuis peu.

Success-stories en Europe

À présent, le capital-risque fait également école en Europe. Non seulement ses rendements élevés, mais aussi la qualité du site, la pénurie de placements et la césure causée par la pandémie y ont contribué. Récemment, des fonds de capital-risque américains ont ouvert des bureaux à Londres, Berlin et Amsterdam. De tels fonds performants ont également vu le jour sur le Vieux Continent ces dernières années. En 2002, plus de 80% de l’ensemble des investissements en capital-risque étaient destinés aux États-Unis. Aujourd’hui, ce chiffre s’est réduit à 49%, tandis que la part de la Chine est passée de 5 à 37%, même si ces investissements y ont reculé cette année. Mais l’Europe rattrape son retard depuis la pandémie. Nul doute que les placements en capital-risque donneront de précieuses impulsions à son économie à moyen terme. Le groupe «Financial Times» estime que sur les 170 villes «licornes» du globe, 65 se trouvent désormais sur le Vieux Continent. Il s’agit de villes qui hébergent le siège social de start-up valorisées à plus d’un milliard de dollars américains. Selon cette estimation, on compte plus de licornes en Europe (296) qu’en Chine (276) pour la première fois depuis cinq ans. Mieux encore: 2021 a été particulièrement favorable au capital-risque sur le Vieux Continent, où 72 licornes ont vu le jour au cours des douze derniers mois, selon la plateforme de données sur les start-up Dealroom. C’est plus du triple du chiffre enregistré en Chine (22). L’Angleterre est le terrain le plus fertile de l’Europe pour ces start-up, vingt licornes y ayant prospéré depuis le début de l’année. Viennent ensuite l’Allemagne (14), la France (10), les Pays-Bas (9) et la petite Suisse (8).

Sur le plan sectoriel, la scène européenne des start-up est très diversifiée, ses points forts résidant dans l’industrie ainsi que dans le domaine de la transition énergétique et climatique. En termes de valorisation néanmoins, ce sont les entreprises fintech et de biens de consommation technologiques qui dominent, comme par exemple Checkout.com, Klarna, Revolut, Spotify, Deliveroo ou encore Arrival.

Qu’est-ce que cela signifie pour les investisseurs?

L’augmentation des investissements en capital-risque devrait se poursuivre. Les fonds spécialisés dans ce domaine sont généralement bien interconnectés à leur niveau et sur le plan sectoriel. Leur contribution au succès des entreprises ne se cantonne ordinairement pas aux aspects purement financiers. En effet, leurs gestionnaires siègent fréquemment aux conseils d’administration, ils créent des synergies avec d’autres entreprises, fournisseurs et acheteurs, ou ils aident à pourvoir des postes clés au sein de la direction. Ainsi, leur succès génère souvent de nouveaux succès.

Comme les investissements en capital-risque interviennent à la création d’une entreprise, ils permettent en priorité de développer la puissance d’une meilleure idée, non les usines existantes ou les positions de force sur le marché. Comme notre imagination et notre capacité d’innovation sont illimitées et que la proportion d’entrepreneurs indépendants augmente dans le monde entier, les opportunités ne devraient pas se tarir de sitôt. Autant de facteurs qui confortent l’hypothèse selon laquelle la décennie 2020 sera peut-être la plus innovante depuis bon nombre d’années.

Si les rendements d’un placement individuel en capital-risque sont supérieurs à la moyenne, il en va de même pour les risques. Dans de nombreux portefeuilles de capital-risque, un succès spectaculaire compense plusieurs échecs. C’est l’une des raisons pour lesquelles les investisseurs privés et la plupart des caisses de pension préfèrent tout particulièrement les instruments collectifs aux placements directs dans le capital-risque. Cependant, l’assistance opérationnelle fournie par les investisseurs professionnels dans ce domaine va également au-delà des activités normales d’un processus de placement. En résumé: pour les investisseurs privés et institutionnels, des véhicules de placement variés en capital-risque peuvent constituer, à notre avis, un excellent moyen d’étoffer et de diversifier leur portefeuille.

3. Musique pour les jours de fête

Je me sens d’humeur festive aujourd’hui, d’une part parce que nous abordons le deuxième week-end de l’Avent, d’autre part parce que je fête aujourd’hui mon anniversaire en famille. Deux bonnes raisons de savourer un peu de musique. J’aimerais vous recommander en quelques mots deux albums totalement différents, mais que j’apprécie particulièrement.

Johnny Cash at San Quentin

Il s’agit de mon concert préféré de Johnny Cash. Cet album à succès, qui date de 1969, a été enregistré devant des détenus et leurs gardiens lourdement armés dans la prison de haute sécurité de San Quentin, en Californie. Plus tard, Cash a raconté qu’il avait galvanisé son public à tel point qu’à la fin de cette performance incroyablement électrique, «un seul mot de sa part aurait déclenché une émeute». Une atmosphère que l’on perçoit encore aujourd’hui en l’écoutant.

Après la «At Folsom Prison», le concert At San Quentin est le deuxième album que Johnny Cash a enregistré dans une prison. Il aimait chanter dans les établissements pénitentiaires, s’identifiant à eux tant sur le plan personnel qu’à travers sa musique, «car, a-t-il déclaré un jour, il aurait pu être lui-même l’un de leurs détenus». Je trouve que son attitude s’intègre bien dans la période de l’Avent étant donné que celle-ci ne se vit pas seulement dans les rues commerçantes illuminées, mais aussi dans le silence, là où personne ne pose le regard, comme à San Quentin par exemple.

Johann Sebastian Bach – Suite pour violoncelle n° 2 en ré mineur, BWV 1008, 4e mouvement: Sarabande

Bach marque à bien des égards le début de l’histoire de la musique moderne. Bien entendu, je pourrais également vous recommander ses cantates ou même son grandiose Oratorio de Noël. Mais il me faudrait plus de temps. D’ailleurs, l’ensemble de son œuvre, avec plus de mille titres répertoriés, n’a pour ainsi dire pas de limites. Il est impressionnant de voir comment Bach, en dehors de son activité de création, est parvenu à cumuler plusieurs postes tout en s’occupant de ses épouses successives et de ses vingt enfants. Doté d’un talent extraordinaire pour la composition, il a surtout su allier une maîtrise technique inouïe à une sensibilité humaine qu’aucun compositeur ou auteur de chansons n’a jamais surpassée. Il a étudié tous les styles musicaux que l’Europe offrait à l’époque, en reprenant les éléments les plus intéressants et les complétant avec une sensibilité fascinante. En résumé: Bach est le père de l’histoire de la musique, l’artisan de la transition. Sans lui, ni le jazz, ni le funk, ni le hip-hop, ni la techno, ni la house, ni bien d’autres styles encore n’auraient vu le jour.

Les six suites de Bach pour violoncelle revêtent un caractère un peu mystérieux en comparaison de l’ensemble de son œuvre. À l’époque en effet, le violoncelle n’était pas vraiment un instrument soliste. Chacune de ces six compositions possède une qualité qui lui est propre. Toutes conjuguent une joie exubérante avec une beauté exceptionnelle. Je les aime depuis que je les ai entendues pour la première fois en live, lors d’un concert donné par le violoncelliste russe Mstislav Rostropovitch. La Suite n°2 pour violoncelle en particulier est inoubliable, ne serait-ce que parce que le musicien l’a interprétée spontanément au Checkpoint Charlie après la chute du mur de Berlin, exprimant ainsi de manière merveilleuse la joie liée au début d’une nouvelle ère. Une autre référence à l’Avent.

 

1 Les performances antérieures et les scénarios élaborés pour les marchés financiers ne sont pas des indicateurs fiables des résultats futurs.

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