Sanctions et intermédiaires financiers

Julien Le Fort, FBT Avocats

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Quatrième volet d’une série consacrée à l’impact des obligations contraignantes imposées aux intermédiaires financiers dans le cadre des sanctions économiques sur l’Ukraine.

De manière générale, les règles liées à la lutte contre le blanchiment d’argent (LBA) et celles liées aux sanctions internationales fondées sur la Loi sur les embargos (LEmb) sont indépendantes et s’appliquent sans interagir. En pratique toutefois, les règles LEmb se superposent aux règles LBA; celles-ci comportent un socle know your customer que l’intermédiaire financier utilisera également pour l’application des sanctions internationales.

Rappelons l’évidence: les personnes visées par un gel des avoirs (c’est-à-dire, dans le cas d’actualité, les personnes mentionnées à l’Annexe 8 de l’Ordonnance fédérale instituant des mesures en lien avec la situation en Ukraine) ne sont pas, de ce seul fait, coupables de la commission d’un acte illicite. Elles ne font en principe l’objet d’aucune prévention ou aucun grief de nature pénale. Le gel de leurs avoirs n’est pas fondé sur un comportement particulier. Ainsi, l’application du gel des avoirs lié aux sanctions n’exige pas de clarification préalable au sens de l’article 6 LBA mais s’applique de manière «automatique».

Lorsqu’un intermédiaire financier a gelé les avoirs d’un client sur la base des sanctions, cet intermédiaire financier n’est pas dispensé de ses obligations LBA. En particulier, si un montant suspect est transféré au crédit d’un compte gelé par les sanctions, l’intermédiaire financier doit effectuer les clarifications requises et appliquer la procédure habituelle, y compris une annonce au MROS si les soupçons ne peuvent être levés. Ainsi, les comptes gelés ne bénéficient d’aucun statut particulier du point de vue des obligations LBA.

Il n’existe pas de règles formelles pour les annonces au SECO. Les annonces doivent simplement mentionner le nom du titulaire des actifs et de l’ayant droit économique, et désigner les actifs avec leur valeur.

Les règles LBA et les règles relatives aux sanctions ont à vrai dire essentiellement un point commun: une obligation d’annonce à une autorité fédérale.

Sous le régime de la LBA, l’obligation d’annonce porte sur «les valeurs patrimoniales impliquées dans la relation d’affaires». L’intermédiaire financier doit surveiller les cocontractants, les ayants droit économiques et les signataires autorisés auxquels il a affaire (cf. art. 9 al. 1 LBA).

Sous le régime des sanctions actuelles contre la Russie, l’obligation d’annonce s’étend à «toute personne qui détient ou gère des avoirs ou qui a connaissance de ressources économiques dont il faut admettre qu’ils tombent sous le coup du gel des avoirs» (cf. art. 16 «ordonnance Ukraine», plus large que la disposition légale correspondante, soit l’art. 3 LEmb). Les sanctions instaurent ainsi un régime large de dénonciation obligatoire. A rigueur de texte, le voisin d’une personne russe sanctionnée qui saurait que cette personne sanctionnée conserve dans sa cave une collection de bouteilles de vin de grande valeur, ou des métaux précieux, est soumis à une obligation d’annonce. Cela illustre l’étendue de l’obligation d’annonce. Les personnes qui ne sont pas soumises à la LBA parce qu’elles ne répondent pas à la définition d’intermédiaire financier doivent néanmoins appliquer les sanctions LEmb. Bien que la situation juridique ne soit pas limpide, le secret professionnel des avocats prévaut, pour l’instant, sur l’obligation d’annonce au SECO tant que l’avocat pratique une activité dite typique d’avocat.

Toute personne est tenue de consulter la liste des personnes sanctionnées, de se tenir au courant des mises à jour de la liste et, cas échéant, sans délai, (i) d’appliquer le gel d’avoirs qu’il détient ou gère et (ii) de procéder à l’annonce au SECO. La mise en œuvre des sanctions exige ainsi un comportement (pro)actif de la part des intermédiaires financiers. Un réexamen régulier – comme il se pratique pour les personnes politiquement exposées (PEP) sous le régime LBA – n’est pas suffisant. Une omission ou une négligence à cet égard peut conduire à des sanctions administratives et même pénales.

Il n’existe pas de règles formelles pour les annonces au SECO. Les annonces doivent simplement mentionner le nom du titulaire des actifs et de l’ayant droit économique, et désigner les actifs avec leur valeur.

Un intermédiaire financier peut se retrouver dans une situation où il doit annoncer une relation d’affaires cumulativement au MROS et au SECO. Une annonce à l’une de ces deux autorités ne couvre pas l’annonce à l’autre; il s’agit donc bien de formuler deux annonces distinctes si les conditions en sont réalisées. L’intermédiaire financier doit ensuite gérer ces deux strates de blocage des avoirs et s’assurer d’avoir le double feu vert avant de libérer les fonds.

Premier volet de cette série

Deuxième volet de cette série

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