Anticipez la perception des pensions de retraite suisses en cas de résidence en France

Stéphanie Barreira, FBT Avocats

6 minutes de lecture

Taxation en France des pensions de retraites suisses: des dispositifs fiscaux «accueillants».

La France est le pays accueillant la plus grande communauté suisse installée à l’étranger. À la fin de l’année 2020, 22% des Suisses de l’étranger étaient des personnes de 65 ans ou plus. Un nombre toujours plus important de ressortissants suisses viennent s’installer en France pour profiter de leur retraite.

Le système suisse de retraite repose sur trois piliers:

  • 1er pilier (obligatoire/niveau étatique/par répartition): Il s’agit de l’assurance-vieillesse et survivant (AVS), l’assurance invalidité et les prestations complémentaires. La cotisation à cette prévoyance étatique est obligatoire pour tous les affiliés suisses et est destinée à la couverture des besoins vitaux lors de la période de retraite. Le versement des droits aux bénéficiaires s’effectue sous la forme d’une rente mensuelle.
  • 2e pilier (obligatoire/niveau professionnel/par capitalisation): il s’agit d’une prévoyance professionnelle, obligatoire pour tous les salariés. Elle est destinée à maintenir le niveau de vie du bénéficiaire lors de sa retraite. Il convient de noter que cette pension peut être versée sous la forme d’une rente mensuelle ou en capital.
  • 3e pilier (facultatif/individuel/par capitalisation): il s’agit d’une prévoyance privée qui constituera un complément de revenu lors de la retraite du bénéficiaire. De manière identique aux paiements issus du 2ème pilier, il peut être versé sous la forme d’une rente mensuelle ou en capital.

Lorsque des contribuables suisses décident, après avoir développé toute leur activité professionnelle sur le sol helvétique, d’établir leur résidence fiscale en France, et y percevoir leur pensions de retraite sous forme de capital de type 2ème ou 3ème pilier, une analyse comparative des différentes modalités d’imposition en France doit être impérativement menée par anticipation, tant les conséquences fiscales et sociales peuvent être complexes, voire dommageables si les options offertes ne sont pas sollicitées dans les délais impartis.

Il ressort de la convention fiscale franco-suisse que les pensions de retraite privées versées à un résident fiscal de France au titre d’un emploi exercé en Suisse sont exclusivement imposées en France.

En conséquence, si le retraité suisse subit une imposition à la source en Suisse sur le capital perçu en France, la convention fiscale franco-suisse offre la possibilité de solliciter auprès des autorités suisses le remboursement de cet impôt. Le bénéficiaire de la prestation en capital devra en faire la demande auprès de l’administration des contributions du canton suisse dans lequel l’institution de prévoyance a son siège, au plus tard dans les trois ans suivant l’échéance de la prestation.

Les produits attachés au capital sont soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ou au prélèvement forfaitaire unique à 12,8%.

En France, les pensions de retraite en capital bénéficient de plusieurs dispositifs d’imposition permettant d’atténuer la pression fiscale subie au titre de l’année de leur versement.

I. Les différentes modalités d’imposition en France des pensions de retraites versées sous forme de capital

i) Le principe: l’imposition du capital au barème progressif de l’impôt sur le revenu

Les pensions de retraites servies sous forme de capital sont en principe soumises au barème progressif de l’impôt sur le revenu (taux marginal de l’imposition étant de 45%), après déduction des cotisations de sécurité sociale et de la fraction déductible de la CSG, et après application d’un abattement de 10% (plafonné à € 3’707).

La taxation de ces revenus en France se justifie notamment par le fait que les cotisations versées pendant la période de constitution des droits à la retraite ont pu être généralement déduites du revenu imposable.

Toutefois, la réglementation fiscale de certains Etats ne permet pas systématiquement la déduction des cotisations versées pendant la période de constitution des droits, de sorte que la prise en compte de ces pensions en capital parmi les éléments de traitements et salaires pourrait entraîner une fiscalité très lourde, compte tenu de la progressivité du barème de l’impôt sur le revenu.

Afin de tenir compte de ces spécificités étrangères, la législation fiscale française prévoit plusieurs dispositifs d’atténuation de l’impôt. Le premier dispositif d’atténuation de la progressivité réside dans le bénéfice du système du quotient. Ce système consiste à calculer l’impôt correspondant au revenu exceptionnel en divisant le montant de ce revenu par quatre, en ajoutant au revenu global le chiffre résultant de cette division, puis en multipliant par quatre la cotisation d’impôt supplémentaire obtenue. Ce système permet d’éviter l’application des tranches les plus hautes dans cette circonstance.

Le législateur français est allé encore au-delà de la simple atténuation de la progressivité de l’impôt en prévoyant un régime d’exonération du capital perçu et une option possible à un prélèvement forfaitaire libératoire de 7,5%.

ii) Première exception: l’exonération d’impôt du capital issu de contrats de source étrangère à cotisations non déductibles

Lorsque les pensions de retraite sous forme de capital sont versées en exécution d’un contrat souscrit auprès d’une entreprise étrangère et à condition que le bénéficiaire justifie que les cotisations versées durant la phase de constitution des droits n’étaient pas déductibles de son revenu imposable, et n’étaient pas afférentes à un revenu exonéré à l’étranger, la part du versement correspondant au capital proprement dit n’est pas imposable.

Toutefois, les produits attachés au capital sont soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu, dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ou au prélèvement forfaitaire unique à 12,8%. Cette part imposable est constituée par la différence entre le montant brut du capital perçu et le montant des primes versées pendant la phase de constitution. Ces produits sont également assujettis aux prélèvements sociaux en France, au taux global de 17,2% en cas d’affiliation au régime de sécurité sociale en France ou au taux de 7,5% en cas de maintien de l’affiliation à l’assurance maladie suisse.

Le caractère non déductible des cotisations pendant la phase de constitution des droits s’apprécie au regard de la législation de l’Etat auquel était attribué le droit d’imposer les revenus desquels ces cotisations auraient pu être déduites.

Dans la plupart des cas, l’Etat auquel est attribué ce droit est celui où est exercée l’activité professionnelle dans le cadre de laquelle les cotisations n’ont pas été déduites. Toutefois, s’agissant des travailleurs frontaliers, il peut s’agir de l’Etat de résidence (i.e. travailleur imposable dans son Etat de résidence au titre des revenus perçus pour un emploi exercé dans l’autre Etat).

Afin de bénéficier de ce régime, le contribuable doit joindre à sa déclaration une note précisant:

  • la nature et le montant du versement;
  • l’absence de déduction des cotisations: le contribuable doit être en mesure de produire, à la demande de l’administration fiscale, tout document permettant de justifier la non déduction des cotisations (bulletins de salaires, déclarations de revenus et avis d’imposition, documentation concernant la législation fiscale applicable à l’étranger, etc.);
  • le montant des produits imposables.

Il s’agit ici notamment des pensions qui peuvent être versées depuis le 3e pilier, ou le pilier 2(a) pour le canton de Genève. Les versements effectués pour la constitution des droits sont volontaires et non déductibles. Aussi, la sortie en un seul versement sera appréhendée du côté français comme une simple reprise du capital. Il conviendra alors de bien déterminer les fruits ayant été générés au cours de la constitution pour leur appliquer la juste imposition.

En cas d’option pour le régime suisse, le bénéficiaire cotisera au système d'assurance maladie suisse.

iii) Deuxième exception: l’option pour le prélèvement forfaitaire libératoire de 7,5%

Les prestations de retraite versées sous forme de capital peuvent, sur demande expresse et irrévocable du bénéficiaire, être soumises à un prélèvement au taux de 7,5%, qui libère le capital auquel il s’applique de l’impôt sur le revenu.

Cette option est irrévocable et n’est possible que lorsque les conditions cumulatives suivantes sont remplies:

  • le versement du capital n’est pas fractionné; le capital doit être versé en une seule échéance;
  • les cotisations versées pendant la phase de constitution des droits, y compris le cas échéant par l’employeur, étaient déductibles du revenu imposable.

Le prélèvement de 7,5% est calculé sur le montant du capital diminué d'un abattement de 10%. Le montant du capital s’entend du montant dû au contribuable avant déduction des cotisations ou prélèvements sociaux ou fiscaux éventuellement opérés (CSG, CRDS, cotisation d’assurance maladie, impôt acquitté à l’étranger, etc.) et des frais supportés pour le versement du capital.

Cette option doit être effectuée sur la déclaration annuelle des revenus, à souscrire l’année suivant celle de la perception du revenu. Il convient toutefois de noter qu’en cas d’oubli ou de méconnaissance de ce mécanisme spécifique, le bénéfice de cette option peut être demandé a posteriori, par voie de réclamation, jusqu’au 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la perception du revenu.

L’application du prélèvement forfaitaire libératoire de 7.5% est pertinente concernant les versements issus du 2e pilier, soit directement, soit depuis un fonds de libre passage. En effet, les conditions de déductibilité au cours de la constitution des droits et la possibilité de versement en capital ouvrent droit à cette possibilité.

II - Assujettissement des pensions de retraites aux prélèvements sociaux en France

i) Le droit d’option entre le système d’assurance maladie suisse ou français

L'accord sur la libre circulation des personnes entre l'Union européenne et la Suisse entré en vigueur le 1er juin 2002, tel que complété par le Règlement (CE) n°883/2004 applicable dans les relations entre la Suisse et les Etats membres de l'Union européenne depuis le 1er avril 2012 prévoit que les ressortissants suisses résidant en France, ayant cotisé exclusivement au régime suisse lors de leur carrière professionnelle, titulaires d’une pension du régime suisse, bénéficient d'un droit d'option s'agissant des prestations en nature de l'assurance maladie, entre le régime de sécurité sociale suisse et français.

Ainsi, les bénéficiaires du seul régime suisse de retraite souhaitant s’installer en France, ou y résidant déjà au moment de leur départ en retraite, pourront soit s’assurer au système d'assurance maladie suisse (LAMal), soit opter pour l'assurance maladie française (CPAM).

Ce droit d'option doit être exercé impérativement dans les 3 mois à compter de la date d’installation en France ou de la date du premier versement de la rente suisse pour les bénéficiaires résidant déjà en France.  Passé ce délai de trois mois, le contribuable sera obligatoirement affilié auprès de l’assurance maladie suisse.

En cas d’option pour le régime suisse, le bénéficiaire cotisera au système d'assurance maladie suisse.

Quel que soit le régime d’assurance maladie retenu, le retraité suisse résident de France bénéficiera de la prise en charge des soins de santé reçus en France. Le remboursement des soins de santé sera effectué par l’assurance maladie française.

ii) Le taux des prélèvements sociaux conditionné par le régime d’affiliation choisi

Si affiliation au régime suisse

En cas de maintien du système de protection sociale suisse, le taux des prélèvements sociaux français sera limité au prélèvement de solidarité de 7,5%. C’est en réalité parce que ce prélèvement ne finance pas le système de sécurité sociale français et ne revêt donc pas la nature sociale stricto sensu, que la France est en droit de prélever ce montant sur les contribuables affiliés au système social suisse, tout en respectant le principe d’unicité de la législation sociale en Europe.

Il est nécessaire pour les personnes maintenant leur protection sociale suisse de veiller à conserver les documents prouvant cette affiliation et de valablement déclarer cette affiliation dans la déclaration annuelle des revenus, afin d’éviter une application par défaut du taux plein de prélèvement sociaux (i.e. 17,2%).

En cas d’oubli de la part du contribuable, ou d’application erronée des prélèvements sociaux en France, pour des personnes affiliées au régime suisse de sécurité sociale, le remboursement peut être obtenu par voie de réclamation.  

Si affiliation au régime français

Selon le montant du capital perçu, trois prélèvements sociaux peuvent être appliqués:

  • la contribution sociale généralisée (CSG) dont le taux applicable peut varier entre 8,30%, 6,60% ou 3,80% selon le montant du revenu fiscal de référence;
  • la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) prélevée au taux de 0,50%;
  • la contribution de solidarité pour l’autonomie (Casa) prélevée au taux de 0,30%. Cette contribution est prélevée uniquement si la CSG au taux de 8,30% ou de 6,60% est appliquée.

Concernant les autres revenus susceptibles d’être perçus après un départ à la retraite, ceux-ci seront assujettis au taux de 17,2% en cas d’option pour l’affiliation à la sécurité sociale française.

Il est donc aisé de comprendre toute l’importance pour un résident suisse désireux de transférer sa résidence fiscale en France d’anticiper toutes les conséquences fiscales et sociales de la perception d’une pension de retraite sous forme de capital en France.

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