Quelle protection du preneur d’assurance-vie à l’avenir?

Véronique Chatelain Gomez, FBT Avocats

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Si l’introduction des nouvelles règles de la LSA ne devrait pas révolutionner le secteur, il est recommandé d’en anticiper l’entrée en vigueur.

La loi sur les services financiers (LSFin) impose aux prestataires de services financiers de respecter un certain nombre de règles de comportement. Les entreprises et intermédiaires d’assurance ont cependant été exclus de son champ d’application. Alors que leur assujettissement avait été envisagé dans un premier temps, le Parlement a finalement décidé que les règles prescrites par la LSFin ne pouvaient s’appliquer directement aux entreprises et intermédiaires d’assurance dès lors que la loi avait été conçue pour le secteur financier. Estimant toutefois que le placement des différents produits d’investissement doit être traité sur un pied d’égalité, le législateur a finalement décidé de réviser la Loi sur la surveillance des assurances (LSA) et d’introduire des règles de comportement spécifiques à la distribution d’assurances sur la vie qualifiées («assurance(s)-vie»), les assurances risque pur n’étant pas concernées. Quelles sont donc ces nouvelles règles?

La catégorisation des clients

La première obligation découlant de la LSFin est la classification de la clientèle, les règles de comportement s’appliquant de manière différenciée selon la catégorisation des clients. Applicables aux clients privés, les règles de comportement ne s’appliquent pas aux clients institutionnels; les clients professionnels (y compris par opting-out) ont quant à eux la possibilité de renoncer à l’application de certaines de ces règles. La LSA révisée introduit de son côté une catégorisation des clients et non pas une obligation de les catégoriser. Les conséquences diffèrent de celles de la LSFin; la catégorisation de la clientèle sous la LSA révisée a une incidence sur l’intensité de la surveillance et les conditions d’autorisation des entreprises d’assurance qui peuvent bénéficier d’allégements des obligations prudentielles qui leur sont applicables lorsqu’elles traitent avec des preneurs d’assurance professionnels. A cet égard, on peut se demander pourquoi le législateur n’a pas introduit, comme il l’a fait pour la LSFin, la possibilité d’appliquer les règles de comportement de manière différenciée selon les types de clients. En cas de recommandation d’une assurance-vie, un particulier privé fortuné qui en application de la LSFin pourrait demander à être qualifié de client professionnel ne peut renoncer à certaines règles de comportement selon la LSA (comme par exemple, la remise d’une feuille d’information de base («FIB») ou l’obligation de reddition de compte).

Le devoir d’information

Actuellement, les entreprises et intermédiaires d’assurance sont tenus d’informer les preneurs d’assurance, avant la conclusion d’un contrat, de leur identité et des principaux éléments du contrat d’assurance, conformément à la Loi sur le contrat d’assurance et la LSA. Sous la LSA révisée, à l’instar de ce que prescrit la LSFin, une FIB du produit devra être mise gratuitement à disposition du preneur d’assurance en cas de recommandation d’une assurance-vie dans la mesure où celle-ci comporte les caractéristiques d’un placement. La FIB présentera par exemple l’assurance-vie comme un produit dont le processus d’épargne expose le preneur d’assurance à un risque de perte et, par conséquent, à un risque de placement. On rappelle que la FIB est un document synthétique qui doit être aisément compréhensible, comporter les indications essentielles du produit de manière à permettre la comparaison avec des produits similaires; ces indications sont notamment le profil de risque, le rendement et la mention de la perte maximale sur le capital investi.

Les preneurs d’assurance devront par ailleurs être informés des rémunérations reçues de tiers (y compris de sociétés d’un même groupe), qu’elles soient ou non monétaires. On pense ici à toute commission de distribution ou rétrocession sur le management fee que le promoteur du fonds verserait lorsqu’une assurance-vie est liée à un fonds de placement, mais également aux analyses financières qui, en raison de leur nature, ne sont pas transmissibles. Les intermédiaires d’assurance non liés, soit selon la définition légale ceux qui proposent ou concluent un contrat d’assurance alors qu’ils entretiennent un rapport de loyauté avec les preneurs d’assurance et agissent dans l’intérêt de ces derniers, seront quant à eux soumis à des règles similaires à celles que connaissent les prestataires de services financiers qui entendent conserver les rétrocessions. Tout intermédiaire d’assurance non lié qui perçoit une rémunération de tiers, en plus de la commission que lui verse son client, devra l’informer préalablement de la nature et de l’ampleur de cette rémunération (ou, à tout le moins, lui fournir les critères de calcul et l’ordre de grandeur des rémunérations) et obtenir la renonciation expresse de son client à les percevoir.

Vérification du caractère approprié

A l’instar du prestataire de services financiers, l’entreprise ou l’intermédiaire d’assurance qui conseille son client sur des transactions isolées sans prendre en compte l’ensemble de son portefeuille devra désormais vérifier le caractère approprié d’une assurance-vie avant de la recommander au preneur, à l’exception du cas où le contrat est conclu à l’initiative du preneur d’assurance sans conseil préalable. Financièrement supportable, le produit doit correspondre à la capacité de risque du preneur d’assurance et être compatible avec sa situation de vie et ses objectifs de placement. L’examen du caractère approprié repose sur les connaissances et l’expérience du preneur d’assurance et sur sa capacité financière. Contrairement à la LSFin, la LSA révisée ne prévoit pas la possibilité pour l’entreprise ou l’intermédiaire d’assurance de présumer des connaissances et de l’expérience de preneurs d’assurance qui leur semblent expérimentés. Pour le législateur, la vérification du caractère approprié n’est pas nouvelle; elle résulte des droits et obligations réciproques d’ordre général des parties à un contrat de services découlant du principe de la bonne foi. En cristallisant cette obligation dans la LSA révisée, il entend renforcer la sécurité juridique.

Documentation et reddition de compte

De manière similaire à ce que prévoit la LSFin, les entreprises et intermédiaires d’assurance devront documenter de manière appropriée l’assurance qui a été conclue, les connaissances et l’expérience du preneur d’assurance, l’absence éventuelle de vérification du caractère approprié et le fait d’avoir déconseillé la conclusion d’une assurance le cas échéant. Ils seront tenus de remettre une copie de cette documentation à tout preneur qui en fait la demande. Ils seront également soumis à des obligations de reddition de compte, portant notamment sur l’évaluation et l’évolution des instruments financiers inclus dans le produit d’assurance et sur les coûts qui y sont liés.

Autres obligations

En sus de ces règles de comportement, il est intéressant de relever que la LSA révisée introduira, sur le modèle de la LSFin, une obligation d’affiliation à un organe de médiation et l’exigence de disposer des capacités et connaissances nécessaires à l’exercice de l’activité avec, pour conséquence, une obligation de formation initiale et continue.

A quand les règles de comportement?

L’entrée en vigueur n’a pas encore été fixée et devrait intervenir au plus tôt le 1er juillet 2023, étant précisé que le secteur des assurances souhaiterait la voir repoussée à 2024 ou plus tard. Les règles de comportement ne s’appliqueront d’ailleurs pas immédiatement; un délai transitoire d’un an a été prévu par le législateur.

Comment se préparer?

Si l’introduction des nouvelles règles de la LSA ne devrait pas révolutionner le secteur, il est recommandé d’en anticiper l’entrée en vigueur. Contrairement à la LSFin, la LSA révisée n’impose pas expressément l’adoption de directives internes en matière de règles de conduite; il conviendra néanmoins de revoir la documentation interne et contractuelle afin de s’assurer de sa conformité avec la loi révisée.

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