Mandat d’administrateur: attention à la chute!

Julien Le Fort, FBT Avocats

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Le Tribunal fédéral a précisé ce qu’il advient d’un mandat d’administrateur lorsque la réélection a été omise. Cette jurisprudence renforce les actionnaires vis-à-vis du conseil d’administration.

En application de l’article 710 du Code des obligations, les membres du conseil d’administration sont élus pour trois ans. Les statuts peuvent déroger à cette règle, mais la durée du mandat ne peut excéder six ans.

Dans la pratique, les statuts prévoient généralement que les membres du conseil d’administration sont élus pour un an. Cela simplifie le suivi: les mandats d’administrateurs sont renouvelés chaque année, sans qu’il faille se demander si l’année en question est une année d’échéance des mandats. Les PME utilisent du reste souvent le même procès-verbal type année après année, lequel prévoit la réélection des organes en fonction.

Il peut toutefois arriver que les administrateurs, sans être formellement révoqués, ne soient pas réélus, par exemple parce que l’assemblée générale ne s’est pas tenue, ou parce que ce point a été omis à l’ordre du jour et au procès-verbal. Dans un tel cas, les membres du conseil d’administration restent généralement, de fait, en fonction.

Qu’en est-il d’un point de vue juridique? Les administrateurs non réélus mais qui demeurent en fonction sont-ils de «vrais» administrateurs? Leur mandat est-il prolongé jusqu’à ce que l’assemblée générale traite de la réélection?

«Il serait trop aisé pour un administrateur menacé de destitution de conserver son mandat en ne convoquant pas d’assemblée générale.»

Ces questions étaient débattues en doctrine. Le Tribunal fédéral y a répondu dans un arrêt rendu public le 21 décembre 2021 (arrêt 4A_496/2021 du 3 décembre 2021, en allemand).

La réponse est nette: le Tribunal fédéral a jugé que les mandats d’administrateur ne sont pas prolongés. Ces mandats durent au plus jusqu’à six mois après la clôture de l’exercice social (i.e. jusqu’au 30 juin si la société clôt son exercice le 31 décembre), car il s’agit du délai imparti pour tenir l’assemblée générale ordinaire (cf. art. 699 al. 2 CO). A l’issue de ce délai, faute de réélection, les mandats prennent fin automatiquement.

Le Tribunal fédéral justifie cette solution notamment par le fait qu’il serait trop aisé pour un administrateur menacé de destitution de conserver son mandat en ne convoquant pas d’assemblée générale.

Les conséquences de cette jurisprudence sont les suivantes:

  • Le registre du commerce bénéficiant de l‘effet de la foi publique, tout tiers à la société peut s’y fier et considérer que la société est valablement représentée par ses organes inscrits au registre du commerce. Au moment de la signature d’un contrat par exemple, le tiers n’est donc pas tenu de demander au représentant de la société inscrit au registre du commerce de prouver sa réélection en tant qu’administrateur. Le tiers qui sait que l’administrateur n’a pas été réélu ne peut toutefois se prévaloir de la foi publique attachée au registre.
  • L’administrateur non réélu qui continue à assumer cette fonction est un «organe de fait». Il encourt la même responsabilité personnelle qu’un administrateur réélu. Il n’y a donc pas d’échappatoire pour lui.
  • Si les administrateurs n’ont pas été réélus à l’issue d’un délai de six mois après la clôture de l’exercice social, la société n’a juridiquement plus d’administrateurs. Par conséquent, elle se trouve en situation de carence (art. 731b CO). Tout créancier ou actionnaire peut alors demander au juge de prendre les mesures nécessaires. Ces mesures peuvent inclure, selon le cas, la dissolution de la société.

Cette jurisprudence est susceptible d’avoir un impact sur des PME en situation conflictuelle. Le conseil d’administration doit obtenir sa réélection à l’issue de son mandat. Dans une situation de blocage où la réélection ne peut pas advenir, la société s’expose à une procédure judiciaire liée à la carence.

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