A ses dépens, un multimilliardaire imposable à Genève a offert un cinglant exemple des risques fiscaux que nous fait encourir une sous-déclaration de son patrimoine à l’ère d’Internet.
L’intéressé s’est vu notifier un redressement fiscal astronomique pour un montant total de plus de 405'000'000 de francs suisses. Les leçons à tirer sont toutefois valables pour l’ensemble des contribuables.
Installé de très longue date en Suisse, l’homme d’affaires dont il est question était connu du fisc helvétique comme étant une personne particulièrement aisée, imposée à des hauteurs déjà conséquentes sur la base des éléments de revenus et de fortune qu’il déclarait annuellement depuis le milieu des années 1980.
Par recomposition toutefois de divers articles de presse parus dans le courant de l’année 2017, l’administration fiscale cantonale genevoise en est venue à nourrir le soupçon que l’intéressé aurait massivement sous-déclaré son patrimoine. Il se trouverait en effet être le principal ayant-droit économique d’un gigantesque groupe industriel comportant plus de 215 sociétés à travers 40 pays, sans que ces éléments n’aient été portés à la connaissance des autorités fiscales suisses.
A la suite de ces découvertes, une procédure en rappel d’impôt a été ouverte à son encontre pour les années 2007 à 2011, laquelle a conduit à l’issue évoquée plus haut: une facture dépassant 400 millions de francs à titre d’impôts impayés, intérêts de retard et amendes pour soustraction fiscale.
Des onéreuses déconvenues de ce richissime personnage, trois enseignements peuvent être tirés par le commun des contribuables:
- Tout d’abord, la profusion d’informations à caractère personnel disponibles sur Internet est une réalité qui n’échappe pas aux administrations fiscales ; en particulier, les réseaux sociaux constituent une vitrine personnelle que les services de taxation ne s’interdisent plus de consulter. Un contrôle fiscal peut donc être ouvert sur la base d’éléments consultables en ligne.
- Ensuite, nul n’est concrètement en capacité de connaître, et encore moins de contrôler, les informations pouvant être rendues publiques à son sujet sur le net, souvent à son insu, par le biais par exemple de publications faites par des proches sur les médias sociaux.
- Enfin, les fragments de la sphère privée rendus publics via Internet ne peuvent que desservir les contribuables. D’une manière que d’aucuns pourront percevoir comme incohérente, les tribunaux suisses admettent en effet que des procédures de rappel d’impôt puissent être diligentées à la suite de découvertes faites sur Internet, mais refusent par contre catégoriquement de considérer que les administrations fiscales aient pu faire preuve de négligence si des éléments disponibles en lignes pouvaient d’emblée démontrer que les déclarations fiscales étaient lacunaires.
Dans le cas concret du multimilliardaire genevois rattrapé par le fisc, ce dernier a fait valoir qu’il figurait depuis de nombreuses années parmi les plus grandes fortunes suisses dans le classement publié par le magazine «Bilan», sans que ses déclarations fiscales annuelles ne soient cohérentes avec un tel classement. Un argument que les juges n’ont pas entendu.
On l’aura donc compris, l’espace de liberté que représente Internet pour les citoyens est pour le citoyen-contribuable une zone à risque, où il ne doit jamais être perdu de vue que l’audience devant laquelle on s’expose est illimitée, et inclut potentiellement son contrôleur fiscal.
Moralité : la plus grande prudence est de mise s’agissant du dévoilement de sa vie privée en ligne. Et pour ceux qui auraient manqué de s’astreindre à cette retenue, ils seraient bien avisés de s’enquérir auprès de conseillers fiscaux compétents des risques encourus et d’explorer, en tant que de besoin, leur éligibilité à une dénonciation spontanée, puis les modalités de mise œuvre concrète des moyens procéduraux permettant, le cas échéant, d’en bénéficier.
En effet, lorsqu’une démarche de régularisation est reconnue comme spontanée, la loi interdit au fisc d’infliger des amendes aux contribuables ayant manqué à leurs obligations déclaratives par le passé. Cela vaut également dans le cadre des situations transcantonales et transnationales.
L’enjeu financier des amendes est loin d’être neutre puisque celles-ci sont fixées en proportion des impôts éludés; au maximum, l’amende peut représenter le triple de l’économie d’impôts indûment réalisée.
En ce qui concerne le massif redressement fiscal de 405 millions de francs ayant dernièrement occupé les tribunaux genevois, la proactivité du contribuable, sous la forme d’une dénonciation spontanée satisfaisant aux conditions légales, lui aurait potentiellement permis de s’épargner quelques 140 millions de francs d’amende. De quoi lui laisser des regrets si la décision de la Cour de Justice devait être confirmée par notre plus haute instance.
(Référence jurisprudentielle: Arrêt de la Chambre administrative de la Cour de Justice de Genève ATA/711/2022 du 5 juillet 2022 ; contesté par-devant le Tribunal fédéral)