Investisseur dans les cryptoactifs: vous intéressez (vraisemblablement) le fisc

Michel Abt & Romain Baume, FBT Avocats

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Si «tout travail mérite salaire», en fiscalité, «tout revenu entraîne impôt», sauf exonération.

En matière de cryptoactifs, il est chose aisée de se perdre tant les concepts sont foisonnants et le jargon complexe: Liquidity Mining, Smart Contract, ICO (Initial Coin Offering), ITO (Initial Token Offering), TGE (Token Generating Event), Payment-Token, Stablecoins, Asset-Token, Utility-Token, Non-Fungible Token, Native Token, Non-Native Token, Airdrop. S’il en est toutefois un qui entend s’y retrouver, c’est le fisc car si «tout travail mérite salaire», en fiscalité, «tout revenu entraîne impôt», sauf exonération. Tout investisseur dans le domaine des cryptoactifs sera ainsi intéressé à savoir si oui ou non ses gains sont imposables.

En 2021, la capitalisation boursière de tous les cryptoactifs a excédé 2'000 milliards de dollars, ce qui correspond à 1% de tous les actifs financiers. Autant dire, que le domaine connaît une expansion économique exponentielle. Des richesses considérables émergent. Au sortir de la pandémie et des déficits publics non moins considérables qui l’ont accompagnée, les Etats sont plus que jamais en quête de rentrées fiscales.

En droit fiscal suisse, les plus-values financières (également appelées «gains en capitaux») sont exemptées d’imposition si elles sont réalisées par un contribuable dans sa fortune privée, en dehors de toute activité professionnelle.

Cette approche basée sur l’absence de «professionnalisme» semble a priori garantir à la plupart des investisseurs en cryptomonnaies d’échapper à une imposition lorsqu’ils réalisent une plus-value liée à l’achat et la revente de monnaies cryptographiques, étant donné que cette activité est généralement déployée à titre exclusivement privé.

Il ne s’agit cependant que d’une garantie de façade, car la notion de «professionnel» connaît de longue date une acception extensive en fiscalité helvétique.

Les investisseurs «successful» sont potentiellement des professionnels qui s’ignorent… et risquent donc une imposition de leur(s) plus-value(s)

L’imposition des plus-values, respectivement leur exonération, dépend d’une appréciation au cas par cas de l’administration fiscale compétente.

La fiscalisation interviendra aussitôt que les investissements réalisés et les revenus qui en dérivent relèvent d’une «activité lucrative indépendante», laquelle se définit juridiquement comme une activité entreprise par une personne à ses propres risques, induisant la mise en œuvre de travail et de capital, dans le cadre d’une organisation librement choisie, dans le but d’obtenir un gain. Une telle activité peut être exercée à titre principal ou accessoirement à une autre activité (salariée par exemple), de manière durable, temporaire ou même ponctuelle.

Pour être qualifiée d’indépendante, il est décisif que l’activité dans son ensemble soit orientée vers l’obtention d’un gain.

N’est en revanche aucunement pertinente la perception que le contribuable a de sa propre activité. Il est dès lors absolument sans incidence, par exemple, que le contribuable ne se soit jamais annoncé comme travailleur indépendant auprès des organismes compétents en matière d’assurances sociales. Dans le cadre de la fixation des impôts, les autorités fiscales sont en effet souveraines pour déterminer si oui ou non une activité économique est soumise à imposition.

Du point de vue général, la notion d’activité indépendante s’interprète de manière large, de telle sorte que seuls sont considérés comme gains privés en capital exonérés de l’impôt sur revenu ceux qui sont obtenus par un particulier de manière fortuite ou dans le cadre de la simple administration de la fortune privée.

Une seule plus-value unique peut déjà déclencher une imposition

A l’occasion d’un précédent resté dans les mémoires datant désormais de deux décennies, les autorités fiscales bernoises sont arrivées à la conclusion qu’un couple amateur de grands vins a déployé une activité lucrative indépendante imposable en accumulant durant de nombreuses années un stock de grands crus réputés et réalisé in fine une plus-value à la revente de quelques 200'000 francs sur un prix de vente de 800'000 francs environ.

Si nécessaire, ce cas démontre qu’un investisseur qui aurait par hypothèse acquis pour un prix dérisoire des cryptomonnaies ayant depuis lors vu leur cours exploser, pourrait s’exposer – au moment de la revente – à une imposition de la plus-value qu’il aura réalisée.

Tout investisseur disposant dans son patrimoine de plus-values latentes (i.e. non encore réalisées) sera dès lors avisé de s’enquérir auprès d’un professionnel de la fiscalité du traitement que l’administration fiscale dont il dépend risque de lui réserver au regard des spécificités concrètes de sa situation. Il en va de même pour les investisseurs qui auraient déjà matérialisé leurs gains en procédant à une unique ou à diverses reventes.

Du reste, il est à prévoir que les autorités fiscales soient, dès cette année et à l’avenir, plus sourcilleuses et demandent plus systématiquement le détail des transactions intervenues au cours de l’exercice, dès lors que des cryptomonnaies sont déclarées au titre de la fortune.

Le nombre de litiges entourant la fiscalisation des revenus tirés du trading de monnaies virtuelles est donc appelé à croître, en proportion des gains potentiellement colossaux réalisés sur ce marché.

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