Fairfield - Actions révocatoires: état des lieux

Serge Fasel, FBT Avocats

2 minutes de lecture

Fairfield Sentry fait toujours la une aujourd’hui.

Quatorze ans après la découverte de la Fraude Madoff, les conséquences du scandale économique du siècle se font toujours ressentir par les banques ainsi que par leurs clients ayant bénéficié de versements provenant du Ponzi scheme avant 2008.

Les banques suisses, ainsi que leurs homologues sur la planète encourent à ce jour encore le risque des actions révocatoires dites de «clawback», intentées par les liquidateurs de la faillite de la société Bernard L. Madoff Investment Securities LLC (BLMIS) ou par certains de ses «feeder funds». En effet, depuis quatorze ans, le sort de ces actions demeure incertain. La liste des arrêts rendus par les tribunaux américains est longue et complexe. Depuis 2008, il est possible de suivre l’évolution judiciaire à ce jour, notamment par le biais de la liste publiée par le Madoff Recovery Initiative, mise à jour mensuellement.

Les procédures américaines tournent principalement autour de la question de savoir si les transferts opérés vers l’étranger, autrement dit les fonds ayant quitté le territoire américain, peuvent tomber sous le coup des actions révocatoires.

A ce sujet, il est important de ne pas confondre les procédures du Trustee de Bernard L. Madoff Investment Securities LLC (BLMIS) en liquidation, Irving H. Picard, avec les procédures Fairfield. Il s’agit de procès qui évoluent parallèlement, mais pas nécessairement au même rythme. Dans le cadre d’une analyse d’un blocage de compte suisse, il convient de déterminer si la banque retenant les avoirs de l’un de ses clients est assignée en justice par le Trustee ou dans une procédure Fairfield. A cela s’ajoute qu’il est tout à fait possible, voire probable, qu’elle soit défenderesse tant dans l’une que dans l’autre des procédures.

La révocation des paiements, soit l’obligation pour les banques de rembourser ce qu’elles ont perçu pour le compte de leurs clients, constitue toujours un risque concret.

Les banques suisses ayant effectué des transactions pour le compte de leurs clients et qui sont assignées en justice, notamment par les liquidateurs Fairfield, défendent l’opinion que les tribunaux américains, comme le US Bankruptcy Court, n’ont pas juridiction sur elles et qu‘elles ne peuvent par conséquent pas faire l’objet d’actions révocatoires (clawback).

Dans le cadre des procédures intentées par le Trustee Irving H. Picard, la Supreme Court a refusé en 2019 d’entrer en matière sur un recours formé par des banques défenderesses contre une décision du Second Circuit Court, lequel avait décidé qu’il importe peu de savoir ce qui est arrivé aux montants payés par les fonds d’investissement de la constellation Madoff une fois qu’ils ont quitté le territoire américain. Dès lors qu’ils proviennent des Etats-Unis, ils demeurent régis par le US Bankruptcy Code. La Cour suprême a clos ce débat et donne un caractère définitif à la décision du Second Circuit Court.

Dans les procédures intentées par les liquidateurs des fonds Fairfield, les voies de recours ne sont pas encore épuisées, ce qui laisse ouverte la question de savoir si l’action révocatoire sera admise ou pas et, ainsi, si les banques suisses devront se soumettre aux clawback claims.

Dans cette attente, certaines banques suisses maintiennent à titre de garantie le blocage des avoirs de clients pour le compte desquels elles avaient investi dans les fonds litigieux. Ces clients, mécontents, saisissent à leur tour la justice pour réclamer le déblocage de leurs comptes.

En parallèle des procédures américaines, les banques font donc face à des procédures intentées par leurs clients par-devant les juridictions suisses afin qu’elles débloquent les avoirs retenus à titre de garantie.

Comment justifier un tel blocage? Contractuellement, il s’agit d’un droit de gage, en principe prévu par les banques dans leurs conditions générales. La jurisprudence du Tribunal fédéral manque de cohérence concernant le droit de bloquer des avoirs par les banques. La doctrine, très critique envers notre Haute Cour, défend majoritairement le bien-fondé du droit de rétention des banques.

Le Tribunal fédéral ne s’est plus prononcé sur le sujet depuis 2016. Au vu de l’évolution de la jurisprudence américaine depuis lors, il semble probable que notre Haute Cour en vienne à adopter une position plus tranchée si elle devait être saisie d’un recours. Un arrêt qui confirmerait le bien-fondé des blocages d’avoirs effectués par les banques serait en tout cas bienvenu, afin que notre jurisprudence nationale prenne en compte les décisions américaines entrées en force à ce jour.

Quelle est donc la situation actuelle pour les banques et leurs clients? La révocation des paiements, soit l’obligation pour les banques de rembourser ce qu’elles ont perçu pour le compte de leurs clients, constitue toujours un risque concret, de sorte que le blocage des avoirs concernés par cette possibilité est justifié.

La durée de ces procédures, toujours actives quatorze ans après la débâcle Madoff, démontre l’importance de l’enjeu, tant pour les banques que pour leurs clients.

A lire aussi...