Les limites de l’investigation

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

2 minutes de lecture

Trouveriez-vous normal de voir la formule du Coca-Cola livrée en pâture dans la presse?

La semaine passée, beaucoup d’encre a déjà coulé sur la «fuite» de données dont a été victime la deuxième plus grande banque suisse. La présente contribution aimerait revenir sur deux aspects de cette triste affaire: la participation de la Suisse à l’échange automatique de renseignements fiscaux et le droit de la presse à divulguer des données volées.

Si l’on lit la déclaration de la source anonyme des Suisse Secrets dans la Süddeutsche Zeitung, on constate que celle-ci considère le secret bancaire suisse comme «immoral» et qu’elle critique surtout le fait que la norme internationale d’échange automatique ne s’applique pas à tous les pays en voie de développement. Elle en rend même responsable le Parlement et le peuple suisses!

Au vu de ses critiques, je ne suis pas certain que la source soit satisfaite du traitement que les «journalistes d’investigation» ont réservé à ses données. C’était évidemment beaucoup plus croustillant de chercher dans la liste des clients (depuis les années 1940!) tous ceux dont on sait maintenant qu’ils ont commis un crime ou l’autre. On rappellera juste qu’il est difficile de douter de la légitimité d’une personne exposée politiquement tant que celle-ci est reçue en grande pompe par les dirigeants de ce monde…

On peut bien critiquer le standard de l’échange automatique de renseignements, mais celui-ci est ouvert à tout le monde.

Aucune recherche en revanche n’a été menée sur les limites de l’échange automatique de renseignements (EAR). C’est dommage, car les journalistes auraient constaté que sur les 108 pays qui se sont engagés à pratiquer l’EAR d’ici 2021, la Suisse a accepté d’en avoir comme partenaires… 108! Et ce n’est pas fini, puisqu’une consultation est en cours pour en rajouter 12 d’ici 2024, alors que la plupart n’ont encore rien demandé à la Suisse.

On peut bien critiquer le standard de l’EAR, mais celui-ci est ouvert à tout le monde. L’OCDE fournit de l’assistance technique et juridique aux pays qui auraient de la peine à le mettre en place. Pendant ce temps, les Etats-Unis continuent d’appliquer leur loi FATCA qui exige une transparence totale sur les ressortissants américains, mais ne fait aucun effort pour identifier les ayant droit des autres pays. Et pour cause, les banques américaines savent à peine qui sont les bénéficiaires économiques de leurs comptes. Elles commencent tout juste à s’intéresser à ceux qui détiennent 25% ou plus de certaines sociétés, alors que la Suisse identifie depuis 45 ans tous les ayant droit des sociétés de domicile!

L’autre sujet dont la Süddeutsche Zeitung s’est fait l’écho (à la demande de qui?), c’est le renforcement de l’article 47 de la loi sur les banques (LB), qui est entré en vigueur le 1er juillet 2015. Il serait scandaleux que la presse ne puisse pas révéler les informations confidentielles qui lui parviennent sans le consentement de leurs propriétaires (les clients des banques).

On peut débattre si les ajouts à l’article 47 LB sont bien rédigés ou pas. Toujours est-il qu’il ressort des travaux parlementaires que l’idée était seulement de compléter cette infraction de la même façon que l’article 162 du Code pénal, qui punit non seulement celui qui révèle un secret de fabrication ou un secret commercial (qu’il devait garder), mais aussi celui qui aura utilisé cette révélation à son profit ou à celui d’un tiers.

Les articles sur les Suisse Secrets auraient tout aussi bien pu être écrits sans citer de noms de clients.

En réalité, le vol de données bancaires était punissable, mais pas leur recel. Pourquoi les données financières devraient-elles être moins bien protégées qu’un secret d’affaires? «Comme dans les autres dispositions du code pénal, le droit fondamental à la liberté de la presse est pris en considération par le biais des prescriptions spéciales de la partie générale du code pénal concernant la punissabilité des médias» (FF 2014 6000).

Les articles sur les Suisse Secrets auraient tout aussi bien pu être écrits sans citer de noms de clients. Ceux-ci ne servaient qu’à titiller les lecteurs. L’important est que les autorités puissent avoir accès à ces données. Les règles de procédure déterminent ensuite si ces données peuvent être utilisées telles quelles ou s’il faut les obtenir de façon légale.

Au-delà d’une seule banque, c’est bien la place financière suisse tout entière qui était visée, en réactivant les vieux clichés dont la Suisse s’est détachée – mais encore faut-il le faire savoir. Rappelons donc que la Suisse a obtenu de bonnes notes aux examens tant du GAFI que du Forum mondial sur la transparence fiscale, et les autres pays qui ont attribué ces notes ne peuvent être accusés de complaisance avec la Suisse! Si vous en doutez, allez donc discuter avec un «compliance officer» d’une banque suisse, qui vous expliquera comme son travail est source de tensions et comme il préfère éviter tout risque en annonçant un cas aux autorités dès que le moindre soupçon de crime apparaît.

A lire aussi...