Bien comprendre la réforme fiscale de l’OCDE

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

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Les nouvelles règles sont surtout favorables aux grands pays développés, en quête de recettes fiscales.

L’année prochaine, la mise en œuvre en Suisse de la réforme fiscale initiée par l’OCDE fera couler beaucoup d’encre. Comment faire en sorte que seules les entreprises concernées paient éventuellement plus d’impôts? Est-ce à la Confédération ou aux cantons de prélever ces impôts additionnels? Comment maintenir la compétitivité et l’attractivité de la Suisse pour les multinationales si elles y paient plus d’impôts?

Mais avant de se plonger dans ces questions, il est important de bien avoir en tête les changements que l’OCDE voudrait opérer. Ceux-ci sont partagés en deux volets, appelés Pilier 1 et Pilier 2. A ceux qui espèrent encore que rien ne se passe, rappelons que 137 pays ont déjà accepté de mettre en œuvre cette réforme, dont tous ceux de l’UE, de l’OCDE et du G20. Les Etats-Unis en particulier qui semblaient réticents sont à l’origine de la dernière version du Pilier 1 et ont déjà mis en œuvre une variante du Pilier 2. On attend maintenant les projets d’instruments multilatéraux qui doivent faciliter la mise en œuvre globale.

Un beau casse-tête administratif en perspective…

A l’origine, le but était de fragmenter l’imposition des grandes entreprises numériques, notamment les GAFAM. Le projet de l’OCDE prévoit certes que toutes les taxes nationales sur les services numériques devront être abolies. Mais le Pilier 1 vise désormais la répartition des bénéfices de toutes les entreprises, numériques ou non, avec un chiffre d’affaires d’au moins 20 milliards d’euros et une rentabilité supérieure à 10% (il y en aurait une centaine dans le monde). Il est déjà prévu d’abaisser le seuil de chiffre d’affaires à 10 milliards d’euros sept ans après l’entrée en vigueur, si la mise en œuvre est réussie.

Que se passera-t-il pour ces entreprises? Un quart de leur bénéfice avant impôt supérieur au seuil de rentabilité de 10% (appelé Montant A) sera réparti entre les juridictions de marché. Par exemple, si Starbucks a 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 4,5 milliards d’euros de bénéfice avant impôts, son Montant A sera de 500 millions d’euros (un quart de 2 milliards). Celui-ci sera attribué pour y être taxé aux pays où Starbucks réalise au moins un million d’euros de recettes, ou 250’000 euros de recettes pour les pays dont le PIB est inférieur à 40 milliards d’euros. En partant du principe que la Suisse fait partie de ces pays, il faudra déterminer quelle part des 500 millions d’euros lui revient et vérifier si les sociétés du groupe Starbucks en Suisse ont déjà été imposées sur au moins ce montant. Un beau casse-tête administratif en perspective… surtout pour savoir où retrancher ces 500 millions d’euros! Et comment prélever l’impôt si un groupe n’a pas de présence en Suisse?

Les règles GloBE prévoient des exclusions fondées sur des critères de substance, pour favoriser les entreprises «réelles».

Le Pilier 2 de la réforme est celui dont on parle le plus, car il prévoit une mesure simple en apparence: les entreprises multinationales qui réalisent un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros devront payer un impôt minimum de 15%. Mais 15% d’une base imposable définie selon les règles de l’OCDE, appelées règles GloBE, et qui ne déterminent pas le bénéfice imposable comme notre Code des Obligations, qui permet par exemple la déduction des impôts et d’amortissements sur participations. Et quels impôts considère-t-on pour vérifier si les 15% sont atteints? A Genève existe encore une taxe professionnelle communale calculée sur le chiffre d’affaires, les loyers et le nombre d’employés… A défaut de l’abolir, il faudrait au moins en tenir compte. Ces quelques exemples montrent qu’il ne suffit pas à un canton de connaître un taux d’imposition effectif sur le bénéfice des entreprises supérieur à 15% pour assurer la tranquillité aux multinationales qui y ont leur siège.

Les règles GloBE prévoient en outre des exclusions fondées sur des critères de substance, pour favoriser les entreprises «réelles». Ainsi la base imposable pourra-t-elle être réduite de 5% de la valeur nette des actifs corporels et de la masse salariale dans le pays concerné. La Suisse aurait voulu tripler cette exclusion, et même permettre une double déduction de la masse salariale liée à la recherche et au développement. Au final, l’OCDE aura seulement consenti une période transitoire de 10 ans pendant laquelle l’exclusion passera graduellement (surtout les 5 dernières années) de 8% à 5% pour la valeur nette des actifs corporels et de 10% à 5% pour la masse salariale.

L’OCDE a un plan de mise en œuvre très ambitieux, puisqu’elle souhaitait que toutes ces règles soient appliquées dès 2023. La Suisse a demandé un délai de 3 ans à partir de la finalisation des règles, compte tenu de son processus législatif démocratique. Il s’agit surtout d’éviter que la Suisse soit pénalisée si elle met plus de temps que les autres pays à introduire les nouvelles règles, car les autres pays pourraient alors taxer les multinationales suisses dans l’intervalle. L’OCDE a fait un geste en décalant l’entrée en vigueur de la règle correctrice à 2024, ce qui reste un délai très difficile à respecter pour la Suisse.

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