Abolir la valeur locative: juste ou non?

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

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La déduction des intérêts passifs privés devrait être limitée, mais pas celle des frais d’entretien.

Le 21 septembre dernier, le Conseil des Etats a accepté par 20 voix contre 17 d’abolir l’imposition de la valeur locative pour les résidences principales. Même si le Conseil National doit encore se prononcer, cette décision mérite que l’on s’y attarde.

D’abord, on rappellera que la valeur locative est un revenu fictif attribué au propriétaire qui se réserve la jouissance d’un bien immobilier. On entend souvent que cette fiction est justifiée par souci d’égalité avec les locataires, qui ne peuvent pas déduire leur loyer de leur revenu imposable, alors que les propriétaires peuvent eux déduire les intérêts hypothécaires qu’ils sont nombreux à payer.

Cela est-il justifié? La Suisse est l’un des rares pays à connaître encore un tel revenu fictif. A plus petite échelle, on ne cherche pas à rétablir l’égalité entre celui qui achète une voiture et celui qui la prend en leasing. Pourtant, personne ne nie que disposer d’une voiture – comme d’un logement – est un avantage économique, qui est imposable s’il est fourni par un employeur par exemple. Mais acheter revient en fait à prépayer un grand nombre de loyers, plus les droits de propriété résiduels. La différence tient donc au fait que les frais de financement sont déductibles, mais pas les frais de consommation. C’est cette différence-là qu’il convient de corriger.

Le rendement imposable de la fortune ne contiendrait plus la valeur locative, qui en constitue souvent l’essentiel.

Dans ce contexte, certains Parlementaires voulaient supprimer toute déduction des intérêts passifs privés. Le Conseil des Etats a cependant suivi le Conseil fédéral, en prenant une décision qui limite quand même largement cette déduction, de trois façons:

  • les intérêts passifs privés ne seraient déductibles qu’à concurrence de 70% du rendement imposable de la fortune, au lieu de 100% actuellement;
  • le rendement imposable de la fortune ne contiendrait plus la valeur locative, qui en constitue souvent l’essentiel;
  • le rendement imposable de la fortune ne sera plus «augmenté d’un montant de 50’000 francs», comme actuellement.

On aurait tendance à se concentrer sur le pourcentage des revenus de la fortune qui est pris en compte (70% au lieu de 100%), mais en réalité la restriction de leur définition aura un impact beaucoup plus important. Pour un couple qui n’a que quelques centaines de milliers de francs d’économies en plus de sa résidence principale, savoir s’il pourra déduire 70% ou 100% d’un montant de quelques milliers de francs est bien moins important que la disparition de la valeur locative et d’une majoration de 50’000 francs du plafond déductible.

Le fait de ne plus pouvoir déduire l’entier des intérêts passifs privés que l’on paie est une atteinte au principe de la capacité contributive. Cette atteinte se laisse cependant justifier si l’on considère que ces intérêts ne servent pas à maintenir la valeur d’un patrimoine, mais représentent un loyer, celui de la dette.

Pour les banques privées, il n’y a pas véritablement d’enjeu.

Jusque-là, la solution du Conseil des Etats semble donc acceptable, et qui plus est apte à répondre au souci exprimé par le FMI et l’OCDE quant à un endettement excessif des ménages propriétaires de leur logement en Suisse. La logique voudrait que la même règle s’applique aussi aux résidences secondaires, mais si le Conseil des Etats a réussi à trouver une majorité, c’est sans doute justement parce qu’il a renoncé à priver les cantons dits «touristiques» de la manne fiscale que leur procurent les résidences secondaires.

En revanche, la décision du Conseil des Etats de ne plus autoriser la déduction des frais d’entretien, au sens large, pour les résidences principales est contraire au principe que les dépenses nécessaires au maintien de la fortune sont déductibles. En outre, cela n’encouragera pas les propriétaires à rénover leurs biens et l’état de nombreux logements se dégradera. Enfin, les entreprises et artisans qui effectuaient ces travaux d’entretien se mobiliseront contre un tel changement – ou seront incitées à effectuer ces travaux au noir, ce qui n’est pas souhaitable.

Il sera donc très intéressant d’observer ce que le Conseil National décidera lors des prochains mois. Pour les banques privées, il n’y a pas véritablement d’enjeu, la décision d’un client de prendre une hypothèque ou non continuera de résulter de la comparaison entre le coût de celle-ci et le rendement que les fonds correspondants permettent d’obtenir. Pour les propriétaires en revanche, la réforme peut s’avérer attrayante en cette période de taux d’intérêts très bas, quand leur montant est très inférieur à la valeur locative, mais qu’en sera-t-il lorsque les taux remonteront?

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