De l’efficacité des sanctions

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

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Des décisions du Parlement fédéral va dépendre l’efficacité tant politique que pratique des sanctions suisses.

Les sanctions visant à faire respecter le droit international public sont un acte politique du gouvernement. En Suisse, la loi sur les embargos (LEmb) fait l’objet d’une révision, initiée avant la guerre en Ukraine, pour une question technique. En effet, en juin 2015, la Suisse a interdit à la Russie et à l'Ukraine d'importer des armes à feu, par voie d’ordonnance. Comme cette mesure allait au-delà de celles de l'UE, le Conseil fédéral a dû s'appuyer sur la Constitution pour l’édicter, conformément à la LEmb. Mais de telles ordonnances ne sont valables que quatre ans, renouvelables une seule fois, et à condition de soumettre en parallèle une base légale au Parlement.

C’est pourquoi le Conseil fédéral propose de lui donner le droit, dans la LEmb, d’étendre les sanctions décrétées par l’Organisation des Nations Unies, par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ou par les principaux partenaires commerciaux de la Suisse, à des Etats qui ne sont pas visés par ces mesures. En juin 2021, le Conseil des Etats a accepté cette proposition, en ajoutant la possibilité d’étendre ces sanctions internationales aussi à des personnes ou entités non visées. Un an plus tard, le Conseil national confirme, mais veut aller encore plus loin, en donnant le droit au Conseil fédéral de prendre des sanctions contre des personnes ou entités qui ont participé à de graves violations du droit international humanitaire, même si aucune sanction n’a été prise par les partenaires susmentionnés.

Pour la Commission de politique de sécurité du Conseil des Etats, cette extension signifierait un changement drastique de la politique de sanctions de notre pays et poserait de gros problèmes en termes d'état de droit et de neutralité. En outre, de telles sanctions unilatérales poseraient de graves difficultés d’application et de réputation. La Commission de politique extérieure du Conseil des Etats doit se prononcer ce début de semaine. Il est à espérer que lors de cette session d’automne, les deux Chambres renoncent à cette idée dommageable. En effet, des sanctions prises par un seul pays, sans coordination internationale, restent largement sans effet. Or ce qui compte, c’est l’effet produit et pas de se donner bonne conscience.

Restons-en donc à la reprise de sanctions internationales. Certains doutent déjà de leur efficacité en Suisse et demandent, par le biais d’une motion au Conseil national, l’instauration d'une taskforce en vue du gel des avoirs des oligarques russes et biélorusses. Cette motion devrait être rejetée, car les structures existantes et les mesures prises par la Confédération sont suffisantes. C’est particulièrement vrai pour les banques qui ont déjà annoncé tous les comptes détenus par ou pour les personnes visées par les sanctions, car elles connaissent les noms de tous les ayants droit de leurs comptes, et ce depuis plus de 40 ans. Une taskforce spécialement constituée ne ferait que créer des doublons, provoquer des séances de coordination inutiles et générer des conflits de compétences néfastes à une mise en œuvre ordonnée des sanctions. En revanche, il est vrai que le SECO a besoin de renforcer ses effectifs et sa communication en temps de crise comme maintenant. Cela pourrait être fait en confiant un mandat temporaire à l’une des grandes fiduciaires.

On peut imaginer que le sentiment d’une application incomplète des sanctions contre des personnes russes et biélorusses vient du fait qu’outre les comptes bancaires, seuls ont été identifiés et gelés 15 biens immobiliers en Suisse. La raison en est sans doute que d’autres sont détenus par des sociétés anonymes, dont le Registre foncier ignore qui sont les actionnaires, et plus encore les ayants droit économiques. Les sociétés elles-mêmes ne le savent pas forcément, car les actionnaires ne doivent annoncer les ayants droit économiques de leurs actions que pour les acquisitions d’au moins 25% du contrôle d’une société depuis le 1er juillet 2015 (article 697j du Code des Obligations).

Comme évoquée dans une précédente chronique, la mise en place d’un registre central des ayants droit économiques – alimenté par les actionnaires et réservé aux autorités – permettrait de lever ces doutes et d’appliquer plus efficacement les sanctions internationales. On trouverait aussi d’autres biens détenus par des sociétés suisses: participations, yachts, avions, voitures, œuvres d’art. Et cela règlerait du même coup la question de l’assujettissement des «conseillers», qui ne font que mettre en place ou administrer des structures, sans pouvoir sur leurs actifs: plus besoin de les soumettre à la loi sur le blanchiment d’argent, leurs clients eux-mêmes devraient annoncer les ayants droit économiques de leurs participations.

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