Bientôt l’économie durable

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

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Les données des entreprises permettront d’établir des produits financiers plus proches de la réalité.

La durabilité recouvre bien d’autres aspects que le climat: la préservation de l’eau, de l’environnement, de la biodiversité, la gestion des déchets, le bien-être des employés… Mais le climat est le sujet le plus urgent et celui pour lequel les développements sont les plus avancés. C’est pourquoi cette contribution se concentrera sur celui-ci.

On parle beaucoup de finance durable, comme s’il n’y avait qu’elle qui devait l’être. Il y a certes matière à orienter les flux financiers, pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat par exemple. Mais selon la comptabilité environnementale de l’Office fédéral de la statistique, les émissions de gaz à effet de serre directement imputables aux activités la place financière ne représentent que 0,5% de toutes les émissions suisses. Logique pour des bureaux et des ordinateurs!

La Confédération est en train de préparer, à juste titre, un modèle de «fiche climatique» pour les investissements.

En réalité, les émissions de gaz à effet de serre proviennent surtout des transports, de l’industrie, de l’agriculture et de la production d’énergie. Avant de savoir si un produit financier, c’est-à-dire un investissement dans une ou plusieurs entreprises, est durable, il faut commencer par définir ce qui est durable et demander aux entreprises de mesurer leurs activités à l’aune de cette définition.

Cette logique semble pourtant avoir été oubliée par la Commission européenne, qui a commencé par demander que l’on classifie les produits financiers selon la «Sustainable Finance Disclosure Regulation» (les fameux articles 6, 8 et 9 SFDR), avant de terminer sa «Taxonomy Regulation» (le gaz et le nucléaire seront-ils effectivement inclus?) et de demander aux entreprises d’annoncer l’impact de leurs activités, par une transformation de la Non-Financial Reporting Directive (NFRD) en Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD).

En Suisse, il n’est pas envisagé de reprendre la taxonomie européenne telle quelle, car il s’agit plus d’une politique industrielle que d’une classification. Au contraire, la Confédération est en train de préparer un modèle de «fiche climatique» pour les investissements, qui distingue à juste titre deux aspects: l’empreinte carbone actuelle (émissions de CO2 et exposition aux activités liées aux combustibles fossiles) et la transition vers l’objectif de zéro émission nette (engagements pris et leur gestion active).

Les sociétés «polluantes» ne vont en effet pas pouvoir cesser de polluer du jour au lendemain. On ne peut pas non plus leur dire de cesser leurs activités, car nous avons besoin de leurs produits et services (transports, construction, énergie, alimentation), en attendant que les alternatives soient disponibles en quantité suffisante. On peut en revanche s’intéresser à leur détermination à modifier leur modèle d’affaires. C’est pourquoi elles doivent communiquer tant sur leurs émissions actuelles que sur leurs objectifs et leur plan de transition.

Il est réjouissant que la Suisse reprenne un standard international qui est en train de s’imposer dans le monde.

C’est précisément ce que prévoit l’ordonnance que le Conseil fédéral vient de mettre en consultation jusqu’au 7 juillet 2022. Celle-ci concrétise le volet climatique des articles 964a à 964c du Code des Obligations, qui sont entrés en vigueur au 1er janvier 2022. Ceux-ci prévoient que les sociétés cotées ou soumises à la surveillance de la Finma, fournissant plus de 500 emplois à plein temps et avec un bilan de plus de 20 millions de francs ou un chiffre d’affaires de plus de 40 millions de francs publient un rapport annuel sur les questions non financières. Les PME ne sont ainsi clairement pas visées.

L’ordonnance prévoit que le rapport sur les questions climatiques doit traiter tant l’impact du climat sur l’entreprise que l’impact des activités de l’entreprise sur le climat. Cette double matérialité correspond à l’approche préconisée par la Task Force on Climate-related Financial Disclosures (TCFD), un groupe de travail mis en place en 2015 par le Conseil de stabilité financière, basé à Bâle. On rappellera que le Conseil fédéral a appelé début 2021 déjà les entreprises suisses à appliquer volontairement les recommandations de la TCFD. Celles-ci devraient devenir obligatoires pour les entreprises précitées à partir de 2024 pour l'exercice 2023.

Il est réjouissant que la Suisse reprenne un standard international qui est en train de s’imposer dans le monde. La CSRD européenne reprend aussi les travaux de la TCFD. La Securities and Exchange Commission américaine vient aussi de proposer des règles inspirées de celles de la TCFD (même si des délais transitoires sont prévus sur plusieurs années). Et le récent International Sustainability Standards Board (ISSB) vient de mettre en consultation jusqu’à fin juillet des règles d’annonce fondées sur les recommandations de la TCFD. Les régulateurs semblent ainsi s’aligner pour que les sociétés publient des données fiables et comparables, qui pourront être reprises par les instituts financiers.

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