Un registre des bénéficiaires économiques?

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

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Face aux nouvelles exigences du GAFI, la Suisse devrait encore améliorer la transparence de ses sociétés.

Le Groupe d’action financière (GAFI) est un organisme intergouvernemental créé en 1989 par une trentaine d’Etats, dont la Suisse. Ses Recommandations sont les normes internationalement approuvées pour lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et ont vocation à être appliquées par tous les pays du monde.

Le 4 mars 2022, le GAFI a publié une nouvelle version de sa Recommandation 24 sur la transparence et l’identification du bénéficiaire effectif de personnes morales. Celle-ci prévoit que les autorités compétentes doivent avoir accès à des informations suffisantes, correctes et à jour. Cet accès doit être rapide et efficace. Le GAFI n’oblige pas les pays à prévoir des registres centraux des bénéficiaires effectifs, mais un système alternatif devrait être tout aussi efficace.

Lors de la consultation l’été passé, l’économie suisse a soumis une prise de position commune, soutenant l’approche ouverte permettant différents modèles de mise en œuvre. Elle a en revanche critiqué l’application extraterritoriale qui envisageait que chaque pays se préoccupe des personnes morales des autres pays, s’il y avait un «lien» suffisant avec lui. Cela conduirait à des doublons et à une bureaucratie inutiles. En outre, les sociétés cotées en bourse et leurs filiales ne doivent pas se voir imposer de nouvelles obligations de transparence. Il a aussi été rappelé que la Suisse répond désormais aux exigences du GAFI en matière d'actions au porteur, qui ont dû être converties. Reste donc le cas des actions nominatives qui ne sont pas émises sous forme de titres intermédiés.

Un tel registre central devrait être tenu par l’Etat et ne devrait être accessible qu’aux autorités et aux intermédiaires financiers soumis à la loi sur le blanchiment d’argent.

En Suisse actuellement, sous l’impulsion du GAFI déjà, les actionnaires qui, seuls ou de concert avec d’autres, acquièrent au moins 25% du capital ou des droits de vote d’une société suisse ont l’obligation d’indiquer dans le délai d’un mois à la société le nom et l’adresse du ou des ayants droit économiques de ces actions; tout changement doit être annoncé par les actionnaires dans un délai de trois mois (art. 697j CO). La société tient ainsi une liste de ces ayants droit économiques, «de manière à ce qu’il soit possible d’y accéder en tout temps en Suisse» (art. 697l CO). Si un actionnaire ne respecte pas ses devoirs d’annonce, il ne peut plus exercer les droits sociaux et patrimoniaux liés à ces actions, et le conseil d’administration est chargé de le vérifier (art. 697m CO). Des amendes pénales viennent aussi sanctionner les omissions volontaires.

Le système actuel est-il ainsi suffisant au regard de la nouvelle Recommandation 24 du GAFI? Il est à craindre que non, car il ne s’applique qu’aux actions acquises depuis le 1er juillet 2015, de sorte que les actionnaires antérieurs à cette date n’ont encore rien eu à annoncer. On peut aussi se demander si un délai de trois mois pour communiquer un changement n’est pas trop long, surtout au vu du délai initial d’un mois. Par ailleurs, ce système peut fonctionner lorsque l’on sait à quelle société s’adresser, mais pas lorsque l’on cherche toutes les sociétés dont M. X ou Mme Y serait le bénéficiaire effectif (sauf à poser la question à toutes les sociétés de Suisse à chaque fois !).

Il faut donc se demander s’il ne serait pas plus simple d’établir un registre central. Mais dans ce cas, ce ne doit pas être aux intermédiaires financiers de le remplir, car une société suisse n’a pas forcément un compte en Suisse. Ce sont bien les actionnaires qui doivent, comme maintenant, être responsables de fournir des informations correctes et à jour, car ils savent s’ils agissent pour eux-mêmes ou pour le compte d’un tiers. Un tel registre central devrait être tenu par l’Etat et ne devrait être accessible qu’aux autorités et aux intermédiaires financiers soumis à la loi sur le blanchiment d’argent. Ces derniers devraient pouvoir se fier aux données du registre comme s’ils demandaient directement à la société qui est leur cliente quels sont ses ayants droit économiques; cette source d’informations ne les dispenserait toutefois pas des autres vérifications qu’ils continueront d’effectuer en interne.

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