Une semaine pour rien?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Des Retail Sales en trompe-l’œil

Commençons cette chronique par une citation de Talleyrand: «si cela va sans dire, cela ira encore mieux en le disant». Il s’agit en effet de la première réflexion qui nous est venue à l’esprit en découvrant les chiffres de ventes au détail mardi dernier. Nous avons assisté à une belle progression de +0,9% sur le mois, assortie d’une forte révision du chiffre du mois précédent de +0,5% à +1,4%. Quelle vigueur! Malheureusement, la réalité est moins flamboyante car l’inflation est majoritairement responsable de ces bons chiffres. Ces derniers sont calculés en prix et non en volumes. Par conséquent, les violentes hausses de prix nous portent à croire qu’en volume, les ventes sont au mieux stables et au pire en baisse. D’où le recours à Talleyrand pour illustrer notre propos: ne nous emballons pas. Il est vrai qu’à l’époque pas si lointaine de l’inflation zéro (ou négligeable), les Retail Sales pouvaient être interprétés au premier degré. Il faut croire que tout le monde n’est pas encore habitué au nouvel environnement de hausse des prix car le 10 ans US est passé de 2,92% à 2,98% lorsque la statistique a été publiée, pour clôturer la journée à 2,99%.

La semaine passée était cruciale pour les taux longs qui ne devaient pas franchir des niveaux-clés qui les auraient fait replonger en tendance haussière.

La volatilité est toujours élevée car après avoir franchi de nouveau la barre des 3% mercredi après-midi, nous sommes redescendus à 2,77% vingt-quatre heures plus tard. Alors, une semaine pour rien? N’allons pas trop vite en besogne car les mouvements de taux nous ont appris beaucoup de choses. Attardons-nous désormais sur le Long-Bond à 30 ans: il était en attente d’une confirmation d’un changement de tendance depuis quelques jours mais toute velléité de repasser franchement au-dessus de 3,13% au cours de la semaine aurait dû invalider le mouvement précédent. Les chiffres de ventes au détail ont eu raison de la solidité du 30 ans mardi après-midi et ce dernier s’est installé au-dessus de ce fameux niveau de 3,13% pour culminer à 3,20% mercredi.

Alors adieu le changement de tendance et retour en bear market? pas du tout. Le Long-bond est redescendu vers 3% (2,97% jeudi) et nous replonge dans la perplexité. Ce qui nous incite à croire que nous avons toujours 50% de chances (peut-être plus?) d’avoir connu le pire du bear market, c’est que l’inversion 5-10 ans est revenue par intermittences (-2bp hier après-midi avec 2,83% et 2,81% respectivement). En conclusion, la semaine passée était cruciale pour les taux longs qui ne devaient pas franchir des niveaux-clés qui les auraient fait replonger en tendance haussière. Les Retail Sales, mal interprétés dans un premier temps, leur ont fait casser ces niveaux mais pendant une trop brève période qui n’a pas suffi à confirmer clairement un retour en bear market.

Des spreads toujours intéressants

Du single-A 3-5 ans en USD à 3,70%, du BBB même maturité à 4,25%, cela commence vraiment à devenir un no-brainer. Le marché en EUR, délaissé pendant très longtemps pour cause de rendements négatifs n’est pas en reste: nous privilégions le BBB 3-5 ans à 2% et les crédits hybrides non-bancaires proches de 5% de rendement. Ces derniers vont peut-être bénéficier indirectement d’un éventuel désintérêt des investisseurs pour la dette bancaire AT1, présentée souvent à tort comme une classe d’actif concurrente alors qu’elle est complémentaire.

La réponse de la BCE sur le cadre réglementaire des AT1 pourrait avoir des répercussions négatives sur les dettes bancaires subordonnées.

La Commission européenne a demandé à la BCE de revoir le cadre réglementaire des AT1 et la réponse de la banque centrale pourrait avoir des répercussions négatives sur les dettes bancaires subordonnées. Nous ne détenons pas d’AT1 ou CoCos pour la simple et (unique) bonne raison qu’il s’agit d’un marché d’experts très pointus dans ce domaine. Attendons donc la réponse des spécialistes avant de nous inquiéter inutilement. En revanche, nous sommes investis en hybrides corporates depuis très longtemps. Nous ne mettons jamais en concurrence ces deux marchés. Malgré quelques similitudes, ils sont très différents et complémentaires. Il faut donc les mettre côte à côte et non dos à dos!

Comme nous l’avons déjà mentionné plusieurs fois depuis un mois, nous sentons un nouveau souffle d’intérêt des investisseurs pour l’Investment Grade. En USD, les indices IG corporates affichent une performance désastreuse depuis le début de l’année, aux alentours de -13% suivant les indices. C’est 3% de moins que le High Yield qui baisse de -10% YTD. Un tel comportement des crédits de grande qualité est tout à fait exceptionnel et anormal. C’est le revers de la médaille des programmes de Quantitative Easing. Lorsque ces derniers s’arrêtent, les marchés concernés souffrent, à la fois en absolu et en relatif par rapport aux classes d’actifs qui n’étaient pas concernées par les volumes d’achats massifs des grandes banques centrales. Le message est limpide: profitons-en, cela ne va pas durer.

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