Lael Brainard, la colombe devenue faucon

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Un QT agressif, vraiment?  

Les taux US Treasuries poursuivent leur marche en avant vers les 3% et ce n’est pas Lael Brainard qui a freiné le mouvement. Celle qui passe pour être parmi les plus dovish de la Fed – sinon la plus dovish – a jeté un pavé dans la mare en déclarant que la volonté de la banque centrale américaine est désormais de s’attaquer à la taille de son bilan de manière plus agressive. Vouloir mettre en place une politique de Quantitative Tightening (QT) plus volontariste n’est pas en soi un problème, c’est sans doute une bonne idée dans l’environnement actuel. Le sujet d’inquiétude est l’activation simultanée de ce QT et des nombreuses hausses de taux envisagées dans les dot plots et anticipées par les marchés.

La Fed ne pourra pas, à moins de vouloir délibérément plonger l’économie en récession rapidement et fortement, courir deux lièvres à la fois: elle devra choisir entre hausses de taux violentes et QT agressif mais ne pourra pas mettre en place les deux politiques en même temps. Elle va devoir ajuster le curseur entre ces deux outils à sa disposition. Alors un peu plus de QT? pourquoi pas, mais ce sera au détriment des Fed funds et nous devrons dans ce cas revoir à la baisse nos anticipations de hausses de taux.

Les taux US vont dépasser 1% et les ambitions de la Fed en termes de QT seront inéluctablement revues à la baisse.

C’est Albert Edwards de la Société Générale qui a mis les pieds dans le plat la semaine dernière en publiant un papier de recherche intitulé «Pourquoi les Fed funds ne monteront pas au-dessus de 1%». Ce brillant exposé, basé sur les travaux de recherche de son collègue Solomon Tadesse, a le mérite de mettre des mots et des chiffres sur ce que nous avions intuitivement pensé. L’idée est simple et claire, encore fallait-il la transformer en données chiffrées.

Si la Fed, pendant la crise, a choisi de ne pas passer en taux négatifs contrairement à plusieurs consœurs, c’est parce que son Quantitative Easing gigantesque lui a permis de faire passer les «shadow Fed funds» (addition des Fed funds et des montants de QE transformés en équivalent Fed funds) en territoire largement négatif. A l’inverse, aujourd’hui, combiner de nombreuses hausses de taux et un QT agressif feront passer le «shadow Fed fund» à un niveau bien trop élevé et insupportable. Le titre est provocateur car affirmer que les taux de la Fed vont plafonner à 1% va à l’encontre du consensus et de notre propre conviction. Mais si nous relisons les hypothèses de départ du raisonnement, ce titre n’est plus du tout farfelu. En effet, si (et seulement si) nous prenons au pied de la lettre les affirmations de Lael Brainard sur la taille imposante du QT alors oui, il faudra bien que la hausse des taux Fed funds soit stoppée rapidement.

Les investisseurs institutionnels devraient regarder de plus près le marché des crédits car de nombreuses opportunités s’offrent déjà à eux.
Le 5 ans, sweet spot sur la courbe

Nous pensons en effet que les taux US vont dépasser 1% et que les ambitions de la Fed en termes de QT seront inéluctablement revues à la baisse. Tout se résumera in fine à une question de dosage, un peu plus de l’un, un peu moins de l’autre mais pas les deux à fond en même temps. Si nous voyons que les chiffres de QT prochainement affinés par la Fed, notamment à l’occasion du prochain FOMC le 4 mai, remettent en cause une ou deux hausses de taux, il sera alors temps de remettre de la duration. Toutefois, il ne sera pas utile cette fois-ci d’aller très loin sur la courbe et nous nous concentrerons sur le point le plus haut. Le 5 ans, qui a dépassé 2,80% hier, semble tout indiqué pour bénéficier d’un éventuel repricing des hausses de taux directeurs. Nous allons donc surveiller de plus près la partie intermédiaire de la courbe qui pourrait nous réserver de bonnes surprises.

Si le 5 ans Treasury navigue aux alentours de 2,80%, cela signifie que le rendement des dettes Investment Grade en dollars de même maturité, émises par des sociétés solides, se rapproche de 3,50%. Nous confirmons donc notre intérêt pour cette classe d’actifs en «buy and hold». Certes, en termes réels, les rendements restent négatifs mais pas plus que les autres marchés obligataires et pas plus que les dividendes des sociétés. Les investisseurs institutionnels devraient regarder de plus près le marché des crédits car de nombreuses opportunités s’offrent déjà à eux. Les adeptes du «don’t catch a falling knife» pourraient s’en mordre les doigts car à force de guetter le point le plus bas du marché, ils pourraient se retrouver sur le quai de la gare à regarder le train partir sans eux.   

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