Rally en novembre, souci fin décembre?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Adjudications du trésor

A juste titre, les marchés obligataires ont récemment changé leur fusil d’épaule. Alors que jusqu’à présent, le comportement de la Réserve fédérale vis-à-vis de l’inflation pointait en tête de liste de leurs inquiétudes, c’est désormais la taille et la fréquence des nouvelles émissions du Trésor américain qui les préoccupe au plus haut point. En effet, le trésor US va devoir accroître sensiblement le volume de ses nouvelles émissions et par conséquent, certaines adjudications pourraient mal se dérouler, comme cela s’est produit récemment sur le 30 ans.

Les principaux investisseurs internationaux en marché primaire de dette du Trésor tels que la Chine, le Moyen Orient et surtout le Japon sont de moins en moins - voire plus du tout -intéressés par ces émissions. Le Japon a vu ses taux augmenter suite à la décision de la banque centrale japonaise d’assouplir sa politique de «Yield Curve Control»: Le taux 10 ans, actuellement proche de 0,8%, se tend progressivement vers le niveau de 1% et pourrait atteindre 1,5% voire 2% en 2024.

Les marchés pourraient avoir le plus grand mal à absorber les futures adjudications du Trésor, provoquant une vague de hausse des rendements des US Treasuries.

Les investisseurs japonais s’orientent aujourd’hui vers des obligations domestiques en yen plutôt qu’en dollars couverts en yen à rendement désormais inférieur à cause du coût prohibitif du risque de change. Avec des taux monétaires proches de 5,3%, les investisseurs américains sont, quant à eux, peu enclins à prendre un risque de duration. Par conséquent, nous constatons une explosion de l’offre et simultanément une chute de la demande, à la fois domestique et internationale. Dans ces conditions, les marchés pourraient avoir le plus grand mal à absorber les futures adjudications du Trésor, provoquant une vague de hausse des rendements des US Treasuries.

L’inflation est sous contrôle, sauf si…

Les marchés ont le sentiment que le risque inflationniste est en train de diminuer, ce qui est factuellement le cas, pour sans doute disparaître courant 2024, ce qui est loin, très loin, d’être garanti. Tant que l’inflation n’est pas vaincue à 100%, il est prématuré de considérer que le problème est sous contrôle. En cas de retour d’inflation, notamment dans le sillage d’un rebond des matières premières énergétiques, quelle pourrai être la réaction de la Fed? Et celle des marchés?

Les marchés financiers valident pour l’instant le scénario selon lequel la première baisse de taux intervient environ 8 mois après la dernière hausse de taux. Avec une dernière hausse des taux Fed funds en juillet 2023, les marchés entrevoient une première baisse des taux le 20 mars ou le 1er mai 2024. En cas de rebond inattendu de l’inflation, la Fed ne pourra pas faire autrement: elle montera ses taux, prenant les marchés à revers et dans un tel scénario, des taux Fed funds à 6% voire légèrement au-dessus ne sont pas exclus.

Paradoxalement, si la Fed devait amorcer une telle volte-face hawkish pour juguler un retour de l’inflation, c’est la partie courte de la courbe, 2-5 ans, qui souffrirait le plus. Plus nous sommes proches des taux monétaires, plus les évolutions de taux reflètent le niveau des taux de la Fed. En revanche, la partie très longue, qui évolue au gré des anticipations de croissance et d’inflation (mais également de l’appétit des investisseurs pour les adjudications de nouvelles émissions dans le contexte actuel), pourrait amorcer une détente après une légitime tension due aux mauvaises surprises lors de la publication de statistiques d’inflation décevantes voire inquiétantes. En effet, ce qui rassure les taux longs, c’est de savoir que l’inflation est jugulée à 100% grâce à une Fed qui n’a pas tergiversé et qui a fait le job jusqu’au bout. Une Fed hawkish favoriserait sans doute les taux longs car ils seraient rassurés. Ils pourraient même envisager un Jerome Powell déclarant avec aplomb que ce rebond d’inflation en 2024 n’est que «transitoire».

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