Non-Farm Payrolls: merci la rentrée scolaire!

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

336'000 créations d’emplois, so what?

Ce n’est pas la première fois que nous nous faisons piéger par de bons chiffres de l’emploi début octobre. Il est déjà arrivé, dans le passé, que les chiffres de septembre soient «pollués» par les embauches d’enseignants en période de rentrée scolaire. Le mois dernier, les créations d’emplois dans le secteur Gouvernement se sont élevées à un peu plus de 900'000, la plupart dans l’enseignement. Nous allons donc relativiser cette statistique exceptionnelle, théoriquement synonyme de (très) soft landing et de retour potentiel des anticipations de hausse de taux le 1er novembre, date du prochain FOMC.

Paradoxalement, ces 336'000 créations d’emplois sont «long-bond friendly». Les taux longs montent pour plusieurs raisons, la principale étant la confrontation entre une offre en forte augmentation et une demande en chute libre. L’une des raisons majeures de ce bear market est également que les marchés seront plus à l’aise lorsqu’ils seront persuadés que la Fed a gagné à 100% son combat contre l’inflation. Si elle décide de stopper son effort alors que l’issue de la bataille n’est pas assurée définitivement, les marchés craindront un retour des pressions inflationnistes.

En poussant le raisonnement, toute pause de la Fed est néfaste pour les taux longs. Si les chiffres de l’emploi US permettent à la Fed d’oser un resserrement supplémentaire le 1er novembre, ce sera un pas de plus vers la victoire totale contre l’inflation, permettant à moyen terme d’observer une détente des taux longs. Dans le même temps, les taux courts commenceront également à baisser et la partie longue de la courbe souffrira moins de la concurrence de la partie courte et avant tout du marché monétaire.

Une dose homéopathique de vaccin anti-black swan à 5%, ce n’est pas une si mauvaise stratégie.

Après les terribles nouvelles provenant d’Israël, il est prématuré de formuler des hypothèses concernant le comportement des marchés de taux dans de telles circonstances dramatiques. Nous avons coutume de mentionner que le 30 ans américain est une assurance anti-black swan. Mais lorsqu’un événement inattendu de cette nature est synonyme de risque d’embrasement dans tout le Moyen-Orient, les marchés vont regarder en premier lieu le prix du baril de pétrole. Certes, le monde est de plus en plus dangereux et incertain, ce qui devrait inciter les investisseurs à acheter de la duration, mais le risque de flambée des prix énergétiques n’est clairement pas un signal d’achat sur les taux longs, tout du moins à court terme.

Lorsque l’idiosyncrasique se transforme en systémique…

Il faut être courageux pour trouver des qualités aux taux longs lorsque l’on sait que Larry Fink, Jamie Dimon, Jim Bianco, Ray Dalio, Bill Gross et 90% des investisseurs seront contre vous! Nous allons tout de même tenter de nous jeter à l’eau. En premier lieu, une dose homéopathique de vaccin anti-black swan à 5%, ce n’est pas une si mauvaise stratégie. Ensuite, les marchés peuvent rapidement retourner leur veste. Ils ont été convaincus par le «higher for longer» de la Fed, tout comme ils avaient cru Jerome Powell lorsqu’il affirmait «inflation is transitory». Au cours de la semaine dernière, les marchés commençaient à se poser une question légitime lorsque le 10 ans atteignait 4,8% et le 30 ans 5%. En laissant dériver les taux longs sans réagir, la Fed est-elle en train d’anéantir les derniers espoirs de soft landing en nous poussant tout droit dans les bras de la récession?

Les taux longs US devraient continuer de nous décevoir dans les prochaines semaines avant de récompenser leurs plus fidèles investisseurs, sans doute pas avant début 2024, sauf black swan de dernière minute. Le problème de ce dernier est que par définition, on ne sait ni quand il va survenir, ni quelle sera sa nature. Nous pourrions toutefois donner une définition au type de cygne noir que nous craignons le plus: lorsque l’idiosyncrasique se transforme en systémique. Des signes avant-coureurs sont apparus en mars.

Des catastrophes systémiques, SVB aux Etats-Unis et Credit Suisse en Europe, ont été miraculeusement transformées en accidents idiosyncrasiques par les autorités américaine et suisse. On peut même chiffrer le coût de ces transformations. Pour SVB et consorts, il suffit de taper FARBAST sur Bloomberg et constater qu’entre le 8 mars et le 22 mars, la Fed a engagé près de 400 milliards de dollars pour éviter la catastrophe systémique. L’histoire nous enseigne que les banques centrales ne sont pas en permanence à la rescousse et que les black swans ne sont pas que de vieux souvenirs. L’une des rares personnalités du monde de l’investissement à trouver de la valeur dans les taux longs n’est autre que Steen Jakobsen, CIO de Saxo Bank, qui a popularisé le concept de black swan dans le grand public avec ses désormais célèbres «10 outrageous predictions» publiées en début de chaque année pour le plus grand plaisir de tous. Est-ce un signe (noir)?

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