Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.
Dans un monde traditionnel, la publication du PIB américain à 4,9% aurait dû déclencher au minimum un mini sell-off sur les marchés obligataires. La nouvelle n’a pourtant pas ébranlé les marchés de taux et le 10 ans US, qui s’affichait à 4,98% avant la publication de la statistique, a clôturé la séance du 26 octobre au-dessous de 4,85%. Nos manuels universitaires nous auraient donc menti? En revanche, les marchés n’ont pas bronché le lendemain lorsque le PCE Deflator et le Core PCE sont sortis en ligne avec les attentes. Ces deux importants piliers de l’économie américaine ne vont pas modifier l’attitude de la Fed demain soir (à 19 heures, attention à l’heure d’hiver!). Ce qui nous fait poser l’équation suivante 4,9 + 3,7 = 5,3, autrement dit PIB très élevé + inflation Core qui décroît trop lentement = statu quo de la Fed à 5,25%-5,5% (soit 5,325% milieu de fourchette).
Ce qui maintient les taux longs en-deçà de leurs récents plus hauts, c’est en premier lieu que de nombreuses stars des marchés, Bill Ackman en tête, ont décidé de commencer à prendre leurs profits sur leurs positions ultra-shorts en taux longs US lorsque le 10 ans a touché le niveau de 5%. Si l’on rajoute à cela le risque géopolitique grandissant, le baril de pétrole stabilisé à 85 dollars, la récession en Europe, un début de saison des résultats décevant, un S&P 500 à -10% depuis fin juillet, il apparaît logique que les investisseurs commencent à voir d’un autre œil les marchés obligataires.
Comme l’a bien résumé un gérant célèbre sur Bloomberg TV: «on ne peut pas continuer à shorter les taux dans un monde devenu autant dangereux à tous points de vue». Nous ne pouvons pas nous empêcher de croire que la proximité de 2024 y est également pour quelque chose. Il va falloir commencer à repositionner les portefeuilles et les trois années consécutives de performances en chiffres rouges pour les Treasuries semblent plaider en leur faveur pour l’année prochaine. La saison 2024 a commencé, nous avons toujours eu pour habitude de nous fixer comme deadline la fête de Thanksgiving pour implémenter la stratégie de l’année suivante. Il ne nous reste donc plus beaucoup de temps.
Ces deux anglicismes seront selon nous les stars de l’année qui s’annonce belle pour les marchés de taux. On nous promettait un millésime 2023 excellent pour les obligations, les experts se sont juste trompés d’une année et c’est au moment où les plus pessimistes cèdent à l’écœurement qu’il faut les convaincre de patienter encore un peu. Les semaines et les mois qui viennent seront vraisemblablement marquées par la remise en cause du «higher for longer» par les investisseurs. Dès que les marchés auront compris que le cycle de hausses de taux est terminé, la partie courte de la courbe redescendra bien en-dessous de son niveau actuel. Les premières baisses de taux seront attendues pour le printemps prochain et le bullish steepening s’installera pour de bon. Il ne faudra toutefois pas commettre l’erreur de tout miser sur la partie courte car un mouvement de taux de grande ampleur sur des titres à faible duration s’avère moins performant qu’une détente légère sur les taux longs à duration élevée. Cela va sans dire mais cela va mieux en le disant.
Le barbell sera également intéressant en 2024. Nous allons donc continuer de privilégier une stratégie que nous avons déjà commencé à mettre en place dès septembre. Il s’agit de carrément «couper en deux» les portefeuilles avec, d’un côté, une forte allocation en crédits Investment Grade, TIPS et Treasuries à taux nominaux à maturités 3-4 ans maximum dans une logique «buy and hold» et de l’autre côté, un overlay de duration composé de 10, 20 et surtout 30 ans Treasuries afin de profiter du prochain rally des long bonds. L’année 2024 a sans doute déjà commencé le 23 octobre, ce fameux jour où le 10 ans US a franchi la barre symbolique de 5%.