Quelques points de repère au milieu du chaos

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Une semaine éprouvante

Il y a quelque chose d’indécent à utiliser de tels termes pour décrire le comportement des marchés à l’heure où des populations entières vivent un drame épouvantable. Les marchés ont fait le yo-yo comme prévu, au gré des mauvaises et un peu moins mauvaises nouvelles venant d’Ukraine. Comme de nombreux intervenants l’avaient anticipé, les chiffres de l’emploi US de vendredi sont passés au second plan. Nous pouvons toutefois noter que la très bonne santé du marché de l’emploi, avec 678'000 emplois créés et un taux de chômage de 3,8%, s’est accompagnée d’une surprise du côté des tensions salariales puisque la progression mensuelle des Average Hourly Earnings, attendue à +0,5%, s’est soldée par un 0% inattendu. Ainsi, en rythme annuel, nous passons de +5,7% à +5,1% contre +5,8% anticipé par le consensus. Est-ce un phénomène passager ou le début d’une accalmie des hausses de salaires?

Malheureusement pour elle, la BCE va se trouver dans une situation inextricable, beaucoup plus problématique que celle de la Fed.

La journée d’après-demain risque d’être riche en informations. La réunion de la BCE va sans doute nous donner une première indication concernant l’attitude des banques centrales vis-à-vis de la nouvelle donne. Le FOMC aura lieu le 16 et nous attendons tous l’analyse de Jerome Powell mais malheureusement pour elle, la BCE va se trouver dans une situation inextricable, beaucoup plus problématique que celle de son homologue de Washington. Il y a d’abord la proximité géographique avec la zone de guerre, les problèmes d’approvisionnement en matières premières et les liens beaucoup plus étroits entre de nombreuses sociétés européennes et la Russie. Par conséquent, en découle pour la zone euro un risque élevé de très forte poussée d’inflation et simultanément une possible récession. Après son couac de janvier, Christine Lagarde n’a pas le droit à l’erreur.

Le même jour, aux Etats-Unis, sera publié le CPI de février et il y a de grandes chances que nous atteignions les 8% en rythme annuel. La Fed aura donc toute latitude pour procéder à une première hausse de taux le 16 mars en mettant en avant un taux de chômage extrêmement bas et un indice des prix extrêmement élevé. Une hausse de 50 points de base, que nous appelions de nos vœux dès janvier, semblait quasiment acquise avant la guerre en Ukraine. Aujourd’hui, une attitude plus prudente militerait pour 25 points de base mais l’option des 50 n’est pas exclue.

Il faut détenir du 30 ans US car dans les moments de stress extrême, il se comporte comme une assurance-vie.
Sur les marchés de taux

Dès le début du conflit, il nous semblait évident que la tactique à court-terme était un mauvais calcul. Nous considérons qu'il est encore plus périlleux aujourd’hui de vouloir tirer profit de la volatilité car les courbes de taux partent dans tous les sens au gré des nouvelles venant d’Ukraine. Nous campons sur nos positions, qui sont compatibles avec une stratégie à moyen-long terme. Il faut détenir du 30 ans US car dans les moments de stress extrême, il se comporte comme une assurance-vie. Les partisans du bullish steepening peuvent argumenter qu’il y a mieux à faire sur la partie plus courte de la courbe. Sans doute d’un point de vue théorique mais l’arithmétique est sans appel: Si vous investissez 1 million de dollars dans du 30 ans à 2,25% et que vous le revendez à 2,15%, vous engrangez un profit de 22'000 dollars. Si vous décidez de mettre la même somme dans du 2 ans à 1,50% et que vous voulez atteindre le même profit, soit 22'000 dollars, il faut que le rendement passe de 1,50% à …0,38%! CQFD: une baisse de 10 bp sur le 30 ans équivaut à une chute de 112 bp sur le 2 ans. Méfions-nous donc des analyses théoriques et dans l’expression bullish steepening, retenez surtout le «bullish» et négligez le «steepening».

Sur le marché des crédits hybrides, le sell-off continue et commence à offrir de belles opportunités pour ceux qui voient plus loin que l’horizon à très court-terme. Des rendements proches de 4% en euro, entre 5% et 5,5% en dollars, pour des émetteurs à rating senior Investment Grade, cela commence vraiment à devenir intéressant. Le nec-plus-ultra, dans un portefeuille en dollars, c’est de prendre des hybrides en euro hedgées. Un seul exemple: le portugais EDP, call 2026 en euro offre du 5,75% après couverture de change. Nous avons la désagréable impression de prêcher dans le désert mais notre conviction est intacte (et même renforcée avec de tels rendements): s’il y a un marché qu’il faut regarder en ce moment c’est bien celui des hybrides.

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