Les banques centrales confrontées à la guerre

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 
Stagflation, le scénario le moins pire?

Les chiffres de l’emploi US vendredi prochain vont sans doute passer au second plan. La guerre s’invite en Europe et bouscule tous les scénarios économiques et financiers échafaudés au moment où l’on espérait en avoir fini avec la crise du Covid. Il nous semble inutile de tenter de dresser des parallèles avec les épisodes de conflits précédents. Aujourd’hui, la Russie est un belligérant qui n’a rien à voir avec ceux que l’on a connus précédemment. C’est (entre autres) un géant des matières premières et pas seulement du pétrole et du gaz. Si l’on ajoute la hausse probable des prix de nombreuses matières premières et celle des coûts d’acheminement de bon nombre de produits qui voyagent autour du globe, nous allons sans doute être confrontés à des chiffres d’inflation en hausse sensible au moment où on attendait une légère décrue. Un conflit d’une telle nature nous fait craindre une récession et nous pourrions assister à un basculement des économies occidentales en inflation/récession. Ce scénario du pire ferait passer le spectre de la stagflation pour la moins pire des solutions. Pour les banques centrales, il s’agit donc d’un casse-tête terrible et les marchés, qui pour l’instant ne paniquent pas, ont bien compris que les programmes de tour de vis monétaire seront sans doute allégés. Mais de combien? Impossible de le dire!

Les taux longs se détendent beaucoup moins dans ce mouvement de bullish steepening.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, le 2 ans américain s’est détendu d’une vingtaine de points de base. C’est encore peu mais nous sommes tous désorientés car renoncer à de nombreuses hausses de taux directeurs à la veille d’une poussée supplémentaire d’inflation n’est pas une attitude très académique. Les taux longs se détendent beaucoup moins dans ce mouvement de bullish steepening et c’est assez logique compte tenu du contexte. Notons que les taux à dix ans américain et allemand sont logés à la même enseigne avec une détente d’une quinzaine de points de base chacun, de 2% à 1,86% pour le T-Note et de 0,28% à 0,16% pour le Bund. Nous aurions pu imaginer les taux allemands bouger plus violemment, étant donné la proximité géographique avec la zone de guerre ainsi que la dépendance des Allemands à la Russie en termes de source d’approvisionnement énergétique. Notons également qu’au moment de l’annonce de l’invasion de l’Ukraine, le 30 ans réel américain est repassé franchement en territoire négatif. Il est remonté ensuite mais avoisine 0% au gré des nouvelles venant du front.

Du côté des crédits, les spreads Investment Grade n’ont pas vraiment bougé des deux côtés de l’Atlantique. Les banques n’ont pas connu de stress et certains établissements exposés à la Russie, comme par exemple la Société Générale, ont vu leur CDS senior à peine bouger tandis que leur CDS subordonné ne s’écartait que d’une vingtaine de points de base. Un marché a souffert plus particulièrement: il s’agit des hybrides corporates car la liquidité de cette classe d’actifs est plus faible et certains poids lourds de l’indice sont directement concernés par le conflit avec la Russie.  

Une stratégie, oui mais une tactique, non!

Un portefeuille atteint par un conflit, cela ne se gère pas comme lorsqu’un événement d’une autre nature est susceptible de le perturber. Nous le voyons bien: depuis bientôt une semaine, nous sommes à l’intérieur d’une machine à laver en plein programme essorage. Vouloir jouer au plus malin, c’est se prendre les pieds dans le tapis à presque tous les coups! Nous avons revu les stratégies de nos différents portefeuilles et avons constaté qu’elles nous convenaient à moyen-long terme. Avant ce conflit, pour d’autres raisons bien entendu, nous avions diminué les durations, allégé les hybrides et vendu la plupart de nos émergents. Nous avons tout de même procédé à quelques ajustements à la marge car nous détenions un peu de BP, Total Energies ainsi qu'une position résiduelle en Renault (trois émetteurs significativement liés à la Russie). Pour le reste, nous avons décidé qu’il était urgent de ne rien faire. Un jour, le plus tôt possible, ce conflit se terminera et les tactiques à court terme n’auront servi qu’à rajouter de la volatilité et sans doute à détériorer la performance.

Si les corporates hybrides européens poursuivent leur correction, il sera temps de venir ou revenir sur ce marché pour prendre date avec le futur.

Savoir quelle direction vont prendre les marchés, c’est connaître le plan de Poutine et le comportement des grandes banques centrales dans un futur proche. Conclusion: nous sommes sûrs d’une chose, c’est que nous n’en savons rien et c’est déjà beaucoup. Si les corporates hybrides européens poursuivent leur correction, il sera temps de venir ou revenir sur ce marché pour prendre date avec le futur. Et puis il y a le 30 ans américain: il se rappellera tôt ou tard à notre bon souvenir parce que ce n’est pas une obligation comme les autres. C’est une assurance-vie, comme le franc suisse ou l’or avant l’apparition du Bitcoin. Lorsque le stress est à son comble, il n’est jamais inutile d’en détenir un peu, même si c’est à dose homéopathique.

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