Fragmentation et récession

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

©Keystone
Au chevet du «Club Med»

Le meeting «last minute» de la BCE a permis de clarifier les choses. L’inflation sera combattue mais pas question de laisser partir dans le décor les spreads périphériques. Il y a un risque de fragmentation (que nous avions identifié dès le début des velléités hawkish de Christine Lagarde) que la zone euro ne peut pas se permettre, et en premier lieu les pays concernés! La politique monétaire de la BCE ne peut pas se calquer sur celle de la Fed et passer de dovish à neutre sera déjà un grand pas en avant. Les marchés vont tester la BCE car de grands discours ne suffisent pas: quels seront les mécanismes/instruments qui seront utilisés pour maîtriser les spreads périphériques?

Allez expliquer à Mario Draghi, qui empruntait encore à 10 ans à 2% fin mars, que 3,60% ce n’est pas catastrophique…

Il faudra que Madame Lagarde nous présente du concret sinon les dettes périphériques seront de nouveau attaquées après l’accalmie post-meeting extraordinaire de la semaine dernière. Hier après-midi, le Bund 10 ans s’échangeait à 1,71% tandis que le BTP de même maturité s’affichait à 3,61%. Nous sommes donc repassés sous les 200bp de spread après avoir dépassé 240bp le 14 juin, avec un BTP atteignant 4,17% de rendement (c’est d’ailleurs ce niveau qui a déclenché cette fameuse réunion exceptionnelle de la BCE). Il y a certes du mieux mais allez expliquer à Mario Draghi, qui empruntait encore à 10 ans à 2% fin mars, que 3,60% ce n’est pas catastrophique…

Et pendant ce temps-là, la BNS…

Devinette: je suis une banque centrale qui ne tergiverse pas et qui prend à revers les marchés qui s’attendaient à une politique copy/paste de celle de la BCE. Je suis bien évidemment la BNS qui a réussi son coup en montant ses taux de 50bp sans envoyer pour autant l’EURCHF sous la parité. Ce qui a fait réagir les soi-disant experts, c’est que ce tour de vis qui a surpris par son ampleur et son timing est mis en place par une banque centrale qui voit son indice d’inflation passer «seulement» de 1,5% à 2,9% depuis le début de l’année. Nous sommes donc très loin des chiffres de la zone euro ou des Etats-Unis.

La BNS a agi ainsi car elle a estimé pouvoir se le permettre compte-tenu des fondamentaux de l’économie suisse. Passer les taux de -0,75% à -0,25% ne l’expose pas non plus à un risque imminent de récession. Enfin, nous ne le répèterons jamais assez, contrairement à son homologue de Francfort, elle n’a pas à gérer le spread entre le canton de Zurich et le Tessin ou Genève. Bravo à nos banquiers centraux qui ont réussi un coup de maître. Espérons juste que le CHF ne se renchérisse pas trop dans le temps. Si cela devait être le cas, il n’y aurait pas que des inconvénients car l’inflation importée serait dans ce cas beaucoup plus supportable.   

Quelques mois de franche récession en 2023 pour casser la spirale inflationniste peuvent faire repartir les Etats-Unis vers le chemin de la croissance.
Une courbe US inversée pour de bon

Alors que les économistes sont encore en train d’évaluer les chances d’atterrir en douceur aux Etats-Unis, la courbe des Treasuries leur donne la réponse: quasiment aucune. Le 2-10 ans flirte avec la platitude, le 5-10 ans s’inverse de -12bp, le 5-30 ans de -6bp et cela va continuer. Après les 75bp de hausse des taux de la Fed, nous nous attendons à 75bp supplémentaires le 27 juillet. La Fed va donc passer de dovish à neutre plus rapidement mais il faut tenir compte du fait que le niveau de neutralité a sans doute progressé vers le haut après le CPI suivi d’un PPI à deux chiffres.

Revenons rapidement sur ces 75bp: Jay Powell ne s’est pas renié et la Fed n’a pas perdu en crédibilité. C’est même le contraire car elle montre qu’elle sait s’adapter, que sa main ne tremble pas. Lorsque les indices d’inflation continuent d’exploser, qu’on ne peut raisonnablement plus trop compter sur l’effet de base pour redescendre en fin d’année vers des niveaux acceptables, il faut changer de braquet! Enfin, comme l’ont noté de nombreux experts avant nous, à partir du moment où les marchés ont estimé que la probabilité d’une hausse de 75bp s’élevait à 100%, il faut en profiter et ne surtout pas les perturber.

Nous continuons de penser que la Fed va sciemment pousser l’économie US en récession et c’est tant mieux! L’inflation a tellement changé de nature au cours des derniers mois, avec une composante structurelle grandissante, que le seul moyen d’en venir à bout c’est de tuer la demande. Ils vont donc le faire et assumer leurs choix. Ils peuvent se le permettre d’autant plus que l’économie américaine a toujours eu un côté «stop and go» que l’Europe n’aura jamais. Quelques mois de franche récession en 2023 pour casser la spirale inflationniste peuvent faire repartir les Etats-Unis vers le chemin de la croissance. Il sera alors temps de rebaisser les taux fin 2023 pour l’accompagner, une fois les indices de hausses de prix de retour vers 2,5%. Mais nous n’en sommes pas là et entre-temps, nous allons devoir gérer la poursuite du bear market obligataire à très court terme, puis sa stabilisation et son come-back, probablement dès la rentrée de septembre. En attendant des jours meilleurs, bon été à tous!

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