Après le rinçage, l’essorage?

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

Des tensions qui s’accumulent

Les investisseurs peuvent légitimement s’estimer «rincés» sur les marchés obligataires. Ils semblent tétanisés et attendent avec résignation le passage en mode essorage pour terminer le cycle. Il faut bien admettre que septembre a été un mois supplémentaire de souffrances et de très haute volatilité. Faut-il s’inquiéter et envisager une phase supplémentaire de dégringolade des marchés de taux? La semaine dernière a été riche en événements. L’histoire à peine croyable des taux longs anglais, forçant la BoE à un QE technique, les rumeurs plus ou moins folles à propos de la santé financière du Credit Suisse, les banques centrales toujours prêtes à une surenchère hawkish, tout cela ajoute de l’anxiété dans des marchés qui n’avaient pas besoin de cela. Ils devraient pourtant séparer le bon grain de l’ivraie. La BoE nous rappelle qu’en cas de coup dur, nous pouvons encore compter sur les banques centrales pour ramener le système dans le droit chemin. Les spéculations sur le Credit Suisse sont exagérées: si la situation est sérieuse, elle n’est pas désespérée et la banque passe un sale quart d’heure «à la Deutsche Bank» mais sûrement pas «à la Lehman Brothers».

L’unanimité vit ses premiers craquèlements et certains membres du FOMC se demandent si la Fed n’est pas en train d’aller trop vite, trop loin.

Sur le front des banques centrales, l’unanimité vit ses premiers craquèlements et certains membres du FOMC se demandent si la Fed n’est pas en train d’aller trop vite, trop loin. Nos banquiers centraux s’attendaient à provoquer une récession, prix à payer (sans mauvais jeu de mots) pour juguler la spirale inflationniste. Une récession, dans leur esprit, ce n’était qu’après tout deux ou trois trimestres à PIB négatif aux alentours de -0,5% et un taux de chômage repassant au-dessus de 4% mais pas beaucoup plus. Le problème qui se pose aujourd’hui est le suivant : sommes-nous à la veille d’un krach généralisé qui nous propulserait vers des niveaux de récession et de chômage similaires à ceux que nous avons connus en pleine crise du Covid? Comment réagirait Wall Street dans de telles circonstances? Dans ce contexte anxiogène, les chiffres de l’emploi de vendredi seront attendus avec fébrilité. Les marchés s’attendent à 265'000 créations d’emplois et un taux de chômage stable à 3,7%. Ils pourraient être déçus, sachant que le mois dernier, une partie des 315'000 créations d’emplois provenaient du secteur de l’éducation, rentrée scolaire oblige…

Fed funds contre PCE deflator

L’indicateur préféré de la Fed pour mesurer l’inflation, le PCE deflator est sorti vendredi: +6,2% pour le global et +4,9% pour le PCE Core. C’est un peu plus qu’attendu mais les marchés obligataires ont réagi de manière a priori contre-intuitive. A priori seulement car si vous prenez le PCE Core à 4,9%, que vous le comparez à des Fed funds à 3,25% aujourd’hui mais sans doute à 4% le 2 novembre, si vous rajoutez 1% supplémentaire dû à l’impact du Quantitative Tightening, les Fed funds réels (4% + 1% - 4,9%) ne sont plus négatifs! Il faudrait donc que la Fed s’arrête là! Conclusion, les taux longs US ont étrangement baissé alors qu’à première vue ils auraient dû mal accueillir ces chiffres d’inflation. Cela signifie que si les +75bp du 2 novembre sont quasiment acquis, rien n’est fait pour le 14 décembre. Tout commentaire de Jay Powell sur le QT sera d’ailleurs le bienvenu.

Les spreads de crédit (non bancaire) sont toujours attrayants mais une vague d’écartement supplémentaire n’est pas à exclure.

Les taux longs avaient commencé à dériver sérieusement et avec un 10 ans à 4% et un 30 ans à 3,9% mercredi dernier, nous étions bien obligés de constater que le fameux plafond de verre des 3,5% pour le long bond était enfin brisé. Cela n’aura pas duré très longtemps. Les Treasuries ont dû faire face à des flux contraires terriblement dangereux en plein QT: les Japonais vendaient des emprunts US pour acheter du yen et les Anglais pour acheter des Gilts (chacun son plan de sauvetage). Dans de telles circonstances, se retrouver hier avec des taux à 10 et 30 ans à 3,7% relevait de l’exploit. Cela signifie bien que des tensions existent et que les emprunts d’état américains, malgré tous les risques qu’ils représentent, restent une valeur sure en cas de tempête. Nous envisagions d’acheter un peu de 30 ans au-dessus de 4%, cela n’a pas été possible mais si une nouvelle opportunité s’offre à nous, nous n’hésiterons pas. Les spreads de crédit (non bancaire) sont toujours attrayants mais une vague d’écartement supplémentaire n’est pas à exclure. Cela dépendra de l’humeur de Wall Street. Aujourd’hui, le S&P500 à -25% YTD a-t-il atteint son point bas ou devons-nous nous attendre à une correction supplémentaire? C’est LA question du mois d’octobre qui va nous guider dans nos velléités d’investissements en spreads de crédit.

Bonus: les TIPS, fausse bonne idée!

Dernière remarque concernant le marché à fin septembre: l’indice US Treasuries affiche une performance YTD de -13,09%, celui des TIPS -13,61%. Les TIPS ne sont pas un hedge contre l’inflation! Ils sont dangereux pour ceux qui ne maîtrisent pas parfaitement leur fonctionnement car leur duration est similaire à celle des Treasuries. Elle est juste exposée au mouvement des taux réels à la place des taux nominaux. Résultat, lorsque les taux réels montent, le bain de sang est inévitable.

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