Le concept de taux pivot à l’épreuve du QT

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

La Fed en mode «Patrick Bruel»

Le FOMC de demain est attendu avec fébrilité et c’est bien légitime. En revanche, les querelles concernant le niveau de hausse des Fed funds nous paraissent secondaires. On peut très bien imaginer 75bp demain puis 75 le 2 novembre et éventuellement 75bp supplémentaires le 14 décembre. Nous terminerions alors 2022 à 4,5%-4,75% ce qui serait compatible avec un CPI aux alentours de 7% en fin d’année si tout va bien. Aujourd’hui, il est absolument nécessaire que la Fed poursuive son tour de vis monétaire mais sans à-coups intempestifs et improductifs. Il ne s’agit pas non plus de provoquer un krach boursier qui viendrait s’ajouter au krach immobilier imminent. Plus que la décision de taux, c’est bien les mots choisis par Jay Powell qui seront déterminants.

Il ne se passe pas un jour sans que nous parviennent des commentaires à propos du fameux taux pivot de la Fed. Nous avons beaucoup de peine à estimer ce taux car la plupart des opinions émises sur le sujet omettent (volontairement ou non) de mentionner la politique de réduction de la taille du bilan de la Fed à travers son programme de Quantitative Tightening.

Comme nous l’avons déjà exprimé, le QT est sous-estimé par la plupart des intervenants, au moment même où la Fed enclenche la vitesse supérieure à coups de 95 milliards de dollars par mois. Le niveau de 4,5% sur les Fed funds nous semble cohérent mais nous pouvons très bien imaginer la banque centrale annoncer le 2 novembre un arrêt des hausses de taux compensé par un accroissement du QT afin de diminuer la taille du bilan plus amplement et plus rapidement. Cette dernière approche nous paraît séduisante mais c’est la Fed qui décidera et les marchés s’adapteront.

Quel que soit le scénario envisagé, il ne nous semble pas très sérieux de traiter le sujet du resserrement monétaire sur la base d’hypothèses construites sur un seul des deux outils à la disposition de la Fed. Si Patrick Bruel était membre du FOMC à la place de Jay Powell, il vous délivrerait peut-être demain soir le message suivant: «je sais bien que je l’ai trop dit mais je vous le dis quand même, les marchés sous-estiment le QT».

Les taux longs en mode «Jean de La Fontaine»

Comme le roseau de La Fontaine, les taux longs US plient mais ne rompent pas. Un CPI élevé suivi d’attentes plus hawkish concernant le FOMC de demain ont propulsé le 30 ans un peu au-dessus de 3,50% mais il n’y a pas, en tout cas pour l’instant, de franchissement très net du plafond de verre. Comme toujours, au lendemain du FOMC il faudra constater les dégâts mais surtout regarder le comportement du spread 5-30 ans, beaucoup plus intéressant que le 2-10.

La récession est déjà inscrite dans la courbe, il nous reste à déterminer si demain soir, après la performance orale de Jay Powell, elle semblera encore plus évidente, illustrée par une inversion encore plus prononcée du 5-30. La partie courte, jusqu’à 5 ans va devoir assimiler les probables hausses de taux des trois derniers FOMC de l’année. Dans les semaines qui viennent, assister à une correction du 2-3 ans en direction de 4,30% ne serait pas surprenant mais cela ne serait pas incompatible avec un maintien des taux longs à 3,5% ou légèrement en-dessous.

Nous l’avons exprimé mardi dernier, à très court terme, nous privilégions le monétaire. Si toutefois les taux courts devaient poursuivre leur envolée, cela nous offrirait des opportunités sur l’Investment Grade 2-3 ans à pratiquement 5%. Si ce scénario devait se matérialiser, nous en profiterions pour amasser des crédits de très bonne qualité sur ces niveaux. Sur la partie longue de la courbe (risque de duration), la partie semble plus délicate et finalement, la meilleure stratégie sera peut-être d’attendre pour ensuite miser sur le point le plus haut de la courbe, sans doute le 5 ans, au moment où nous nous rapprocherons de ce fameux taux pivot.

Enfin, à (beaucoup) plus long terme, si jamais un scénario déflationniste «à la Cathie Wood» (peu probable aujourd’hui mais on ne sait jamais) devait voir le jour, il nous faudrait reconsidérer les TIPS que nous avons abandonnés à leur triste sort depuis plus d’un an. Nous avons donc du pain sur la planche d’ici la fin de l’année et même si nous en sommes encore loin, 2023 s’avère déjà une année passionnante.

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