Un paradis fiscal la Suisse, vraiment?

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

2 minutes de lecture

On se demande à qui des parlementaires européens ont parlé pour continuer à véhiculer un tel cliché.

Il y a un mois, une délégation de trois parlementaires européens a passé deux jours à Berne, pour parler fiscalité et transparence. Son chef, l’eurodéputé travailliste néerlandais Paul Tang, a ensuite déclaré dans une interview que «malgré des progrès, la Suisse reste un paradis fiscal». Pour se débarrasser de cette réputation, la Suisse devrait «montrer que les flux d’argent venant de personnes voulant éviter de payer des impôts ne passent plus chez [elle]». Comme s’il était possible d’apporter la preuve d’un fait négatif!

«Il faut des résultats chiffrés, que la Suisse n’est pas capable de produire aujourd’hui» poursuit M. Tang. Manifestement, en deux jours comme en six ans, l’eurodéputé ne veut pas comprendre que la Suisse applique depuis 2017 l’échange automatique de renseignements (EAR) mis en place par l’OCDE, avec désormais plus d’une centaine de juridictions. Cette semaine, le Conseil des Etats va encore élargir l’EAR à une douzaine d’Etats supplémentaires, à partir de 2023. En 2022, quelque 9000 institutions financières (banques, trusts, assurances, etc.) enregistrées auprès de l’administration fiscale fédérale ont transmis à celle-ci des renseignements sur environ 3,4 millions de comptes financiers liés à des résidents étrangers. Ces résultats ne sont-ils pas assez chiffrés pour M. Tang?

Les reproches à l’égard de la Suisse portent essentiellement sur des «abus à l’impôt sur les sociétés» et non sur «l’évasion fiscale privée».

Apparemment pas, puisque M. Tang ose affirmer que «dans la gestion de fortune, il existe toujours une industrie de l’évasion fiscale». Mais qu’entend-il par évasion fiscale? Se cacher? En tout cas pas dans les banques. On comprend de ses propos qu’il veut «s’en prendre aux véhicules qui permettent de protéger les personnes qui évitent l’impôt: les niches fiscales, les conseillers fiscaux». Donc à ceux qui appliquent des règles votées par des parlements nationaux… Cela me fait penser aux pays qui avaient mis en place un impôt sur les fenêtres, comme la France de 1798 à 1926, où l’Angleterre de 1696 à 1851: faut-il s’étonner que les gens construisaient alors moins de fenêtres, ce qui n’a d’ailleurs pas manqué d’affecter la salubrité des logements?

En novembre 2020, l'ONG Tax Justice Network a publié un rapport sur l'évasion fiscale dans le monde. L'économiste Thomas Piketty a alors déclaré: «c'est un rapport historique et particulièrement accablant pour les Pays-Bas (36 milliards de dollars de recettes fiscales volées chaque année aux autres pays), le Luxembourg (28 milliards), l'Irlande (16 milliards), et plus généralement pour l'UE». Dans ce rapport, la Suisse est le 13e des 15 principaux responsables de pertes fiscales, loin derrière les îles Caïmans, le Royaume-Uni ou les Etats-Unis (cf. p. 82).

Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que les reproches à l’égard de la Suisse portent essentiellement sur des «abus à l’impôt sur les sociétés» et non sur «l’évasion fiscale privée». Or ces «abus» (au demeurant légaux) sont en passe d’être corrigés par le projet de l’OCDE d’imposer les bénéfices des grands groupes d’entreprises à un taux d’au moins 15% dans chaque pays. Sur ce point, M. Tang reconnaît que la Suisse va davantage de l’avant que l’Union européenne. Tout en insistant sur le fait qu’il faudra «une mise en œuvre qui ne souffre d’aucune exception entre les pays». On se réjouit de voir la position du Parlement européen face à la «Corporate Alternative Minimum Tax» américaine votée en août de cette année avec des paramètres beaucoup plus souples que ceux de l’OCDE, qui permettent notamment de compenser des pays à basse fiscalité avec des pays à haute fiscalité…

Et si M. Tang s’inquiète vraiment des pays où «il reste facile de cacher l’identité des véritables bénéficiaires de certains véhicules financiers», il devrait aller faire un tour aux Etats-Unis. Un pays dont la ministre des Finances a dit il y a un an qu’il était sans doute le meilleur endroit pour blanchir de l’argent. En effet, les banques n’y sont obligées d’identifier les bénéficiaires économiques des comptes d’entités juridiques que pour les comptes ouverts à partir du 11 mai 2018, et les trusts ne font pas partie des entités juridiques visées. En outre, identifier ne veut pas encore dire communiquer, puisque les règles FATCA ne prévoient la transmission par les Etats-Unis à un Etat donné que des comptes directement détenus par un résident de cet Etat!

A lire aussi...