Réforme de l’OCDE: une nécessaire synchronisation

Jan Langlo, Association de Banques Privées Suisses 

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Les règles suisses doivent être préparées sans tarder et leur mise en vigueur coordonnée avec les autres pays.

Il y a un peu plus d’un an, l’OCDE annonçait en grande pompe que plus de 135 Etats, représentant plus de 90% du PIB mondial, s’étaient mis d’accord sur de nouvelles règles d’imposition des grands groupes internationaux. L’objectif était celui d’une répartition plus juste des bénéfices entre les pays et une harmonisation des velléités de taxation nationales.

Par la suite, seule l’idée d’une imposition à un taux minimum de 15% dans chaque pays, dite Pilier Deux, a réellement progressé, avec la publication en décembre 2021 de règles modèles puis en mars 2022 d’un commentaire de ces règles et d’exemples illustratifs. Depuis, plus rien, même si l’OCDE a annoncé un «Implementation Framework» d’ici la fin de l’année pour simplifier la mise en œuvre de certaines règles encore assez floues.

Pourtant, il manque encore un élément très important: une convention multilatérale, qui permettra de régler les conflits lorsqu’un Etat considérera que des profits dans un autre pays n’ont pas été assez taxés, alors que leur Etat d’origine pensera le contraire… En effet, la «beauté» du Pilier Deux est de dire aux pays: «si tu ne taxes pas tes multinationales à 15%, les autres pays pourront prélever la différence». L’OCDE estime que ces règles généreront 150 milliards d’impôts supplémentaires par année. Les grands pays endettés pensaient sans doute récupérer cette manne, mais il apparaît plutôt que la plupart des pays où l’imposition n’atteint pas 15% augmenteront celle-ci et garderont la différence.

La Suisse ne doit rien changer à l’approche qu’elle a prévue, pour être prête le cas échéant.

Comme l’OCDE avait prévu une entrée en vigueur, très optimiste, en 2023, la Suisse a décidé de passer par une base constitutionnelle et des ordonnances fédérales, afin d’être prête en 2024. Une loi fédérale remplacera ensuite les ordonnances. Cette approche est justifiée et la votation sur la base constitutionnelle est déjà fixée au 18 juin 2023.

En 2022 pourtant, les autres pays industrialisés – et concurrents de la Suisse – n’ont pas vraiment progressé dans leur mise en œuvre du Pilier Deux. L’Union européenne a préparé une directive qui reprend les règles modèles de l’OCDE, mais celle-ci est bloquée par la Hongrie (l’unanimité est requise au sein de l’UE pour les questions fiscales). Cinq grands pays européens se sont déclarés prêts à intégrer le Pilier Deux dans leurs règles nationales, mais les autres n’ont pas l’air près de suivre. Et le Royaume-Uni a décalé l’entrée en vigueur de ses nouvelles règles au 1er janvier 2024, ce qui n’est pas très rassurant, sachant que leur année fiscale commence le 6 avril.

La vraie interrogation vient surtout des Etats-Unis, où le Président Biden n’a pas réussi à mettre en œuvre le Pilier Deux comme il l’aurait voulu. A la place, le Congrès américain a voté en août 2022 une «Corporate Alternative Minimum Tax», qui diverge largement des principes de l’OCDE: elle est prélevée sur le bénéfice résultant des comptes de la multinationale (au lieu de l’assiette uniforme prévue par l’OCDE), si son taux global d’imposition n’atteint pas 15% (au lieu de le vérifier dans chaque pays) et si son chiffre d’affaires dépasse un milliard de dollars (au lieu de 750 millions d’euros). En outre, aucun changement n’a été apporté à ce qui a été présenté comme l’inspiration du Pilier Deux, le régime GILTI (pour Global Intangible Low-Taxed Income), qui taxe certains revenus seulement à 10,5%.

On pourrait se dire que si les Etats-Unis ne taxent pas suffisamment, les autres pays préleveront les impôts qui manquent (c’est le principe du Pilier Deux). Mais une multinationale américaine qui n’a pas de filiales dans un pays qui applique le Pilier Deux s’en sortirait mieux que ses concurrentes. Et les multinationales cherchent avant tout la sécurité et la prévisibilité juridique, de sorte que certains pays pourraient renoncer à mettre en œuvre le Pilier Deux si les Etats-Unis ne le font pas (sérieusement). Et l’absence de convention multilatérale, évoquée plus haut, dûment signée et ratifiée par tous les pays pour régler les conflits entre eux n’est pas de nature à les pousser à se dépêcher. Enfin, l’architecte de toutes ces nouvelles règles, Pascal Saint-Amans, vient de quitter l’OCDE et rien ne dit que son successeur saura se montrer aussi persuasif sur la scène internationale.

Dans ce contexte, la Suisse ne doit rien changer à l’approche qu’elle a prévue, pour être prête le cas échéant. En revanche, dans un an, lorsque le Conseil fédéral devra décider de la date d’entrée en vigueur des ordonnances visant à mettre en œuvre le Pilier Deux, il sera bien avisé de regarder quels pays ont prévu d’appliquer ces nouvelles règles au 1er janvier 2024. S’il n’y a parmi eux pas de partenaires commerciaux importants de la Suisse, celle-ci devrait préserver sa compétitivité et reporter l’entrée en vigueur du Pilier Deux.

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