Un marché asphyxié

Axel Botte, Ostrum AM

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L’inflation américaine ravive les craintes d’un resserrement monétaire brutal.

©Keystone

L’inflation américaine est explosive. L’indice des prix en hausse de 7,5% en janvier traduit des pressions largement diffusées dans l’ensemble de l’économie. Les divers retraitements de l’IPC (inflation médiane, moyenne tronquée, inflation des prix présentant une forte inertie) excluant les mouvements de prix relatifs les plus spectaculaires estiment la tendance sous-jacente à plus de 7% en termes annualisés sur les trois derniers mois. La composante du logement se situe par exemple à 4,4% en janvier. Or cette dépense contrainte pèse un tiers du budget des ménages. L’énergie et l’alimentaire présentent des risques haussiers considérables. Les prix de l’habillement, inertes pendant deux décennies, enregistrent soudainement des hausses significatives (1,1% mom en janvier). 

La boîte de Pandore est ouverte

L’inflation élevée va rapidement déplacer le débat au sein du FOMC du rythme de hausses «acceptable» pour préserver la stabilité financière vers la question du taux «terminal». Le niveau des Fed funds à long terme communiqué par le FOMC se situe actuellement à 2,5%. Ainsi, les banquiers centraux s’accordent sur un taux réel neutre de 0,5% à l’équilibre macroéconomique issu d’une croissance en ligne avec le potentiel estimé à 1,8% et une inflation de 2%. Il s’agit désormais de déterminer le taux d’intérêt conforme à l’objectif de stabilité des prix. Ce niveau, qui n’a aucune raison d’être constant dans le temps et indépendant de la conjoncture ou des contraintes d’offre potentielle actuelles, est nécessairement supérieur au taux neutre. C’est pour cette raison que James Bullard, membre votant du FOMC cette année, entretient l’idée d’une intervention immédiate sur les Fed funds. Le fonctionnement actuel des marchés monétaires requerrait plutôt de relever le taux des reverse repos et de vendre rapidement les titres accumulés par le biais des programmes de QE. A ce sujet, la dynamique des prix immobiliers milite en effet pour vendre en priorité les avoirs de la Fed en titres hypothécaires, chiffrés à 2’651 milliards de dollars à ce jour. Quoi qu’il en soit, outre le rythme des hausses, le débat sur la réduction du bilan semble également devoir s’accélérer. 

L’opinion de Christine Lagarde et François Villeroy de Galhau apparaît clairement minoritaire au sein du Conseil.

De leur côté, Christine Lagarde et François Villeroy de Galhau s’emploient à calmer les ardeurs du marché qui table désormais sur deux hausses de taux en 2022. Mais, après la communication du 3 février, leur opinion apparaît clairement minoritaire au sein du Conseil, ce qui semble affaiblir la présidente et justifie la pression sur les dettes périphériques, notamment. La boite de Pandore est ouverte et toutes sortes d’interrogations sur le calendrier de l’arrêt des achats d’actifs, la politique de réinvestissements ou l’ampleur des hausses de taux apparaissent. 

Réactions abruptes sur les marchés 

Les mouvements de marché ont été particulièrement abrupts cette semaine. Le 10 ans américain a percé le plafond de 2% après la publication de l’inflation et les commentaires de James Bullard. La fragilité du marché s’est traduite par une concession importante en amont des adjudications de 10 ans et 30 ans, qui ont finalement attiré une forte demande des investisseurs finaux. La tendance reste à l’aplatissement, le seuil d’1,50% sur le 2 ans n’ayant pas tenu. On retrouvait néanmoins des vendeurs de Treasuries en fin de semaine. Le dollar s’est aussi montré très volatil. Le réflexe de rachat du billet vert en réaction à l’inflation a déclenché une chute instantanée du Nasdaq concomitante à un pic sur le 10 ans. Cette réaction épidermique s’est pourtant rapidement inversée au profit de l’euro, mais un nouvel accès de faiblesse des actions soutiendra ensuite le dollar. Finalement, le dollar s’impose comme la valeur refuge, à mesure que les anticipations de resserrement sont réévaluées. Les points morts d’inflation (+ 6pb sur la semaine sur le swap 10 ans) s’écartent, malgré une Fed plus agressive, peut-être le signe avant-coureur d’une montée de l’incertitude sur le taux d’équilibre des Fed funds. Le pétrole, à 93 dollars, soutient également les TIPS courts.

Sur les marchés du crédit, l’écartement initié par les rachats de protection sur les indices finit par peser sur les spreads obligataires.

En zone euro, les spreads souverains sont sous pression depuis la réunion de la BCE. Les swap spreads cotent à 60pb sur l’échéance 10 ans. Le renchérissement du Bund témoigne de l’aversion pour le risque souverain et les actifs connexes comme les covered bonds. Les conséquences de la réduction attendue du stimulus monétaire sont bien plus difficiles à appréhender. Le premier réflexe est d’alléger les surexpositions aux dettes souveraines périphériques bâties sur l’idée d’un soutien irréversible de la BCE, et de se repositionner sur le Bund. Le BTP italien s’échange au-delà de 160pb contre Bund. Le spread grec traduit en outre la non-éligibilité de ses titres obligataires à l’APP, dont les jours semblent désormais comptés. Le GGB 10 ans s’est écarté de 45pb depuis le début du mois. La BCE est bien confrontée aux risques asymétriques redoutés. 

Sur les marchés du crédit, l’écartement initié par les rachats de protection sur les indices (iTraxx IG à 66pb) finit par peser sur les spreads obligataires. Le marché est visiblement plus lourd et l’asymétrie de la liquidité crée des décalages de prix. Le spread moyen sur l’IG européen ressort en hausse de plus de 10pb sur une semaine. La hausse des rendements souverains (5 ans allemand à +0,08%) redéfinit les allocations. Les flux restent majoritairement sortants sur la classe d’actifs. Le high yield est également chahuté, de sorte que l’indice Crossover demeure proche des plus hauts de l’année à 323pb (contre 330pb au plus large). A l’instar de l’IG, le solde des flux s’est retourné depuis plusieurs semaines sur le high yield européen. Les spreads du high yield ressortent ainsi en hausse de 26pb sur la semaine écoulée.

La volatilité des actions reste élevée. Les indices européens dégagent une performance hebdomadaire positive, malgré les tensions sur les taux. Les hauts dividendes restent recherchés au détriment de la croissance. 

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