La BCE rattrapée par la réalité

Axel Botte, Ostrum AM

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La BCE n’exclut plus de monter les taux en 2022, coups de semonce sur les marchés obligataires.

© Keystone

La tonalité de la conférence de presse de Christine Lagarde, jeudi dernier, est révélatrice des préoccupations des membres du Conseil au sujet de l’inflation. Il semble que le tournant restrictif de la Banque interviendra formellement en mars avec l’actualisation des prévisions économiques.

Les Banques centrales éclipsent les publications économiques

Le tableau d’ensemble est éloquent: l’inflation en zone euro est au plus haut historique, à 5,1% en janvier, et le taux de chômage, à 7% en décembre, est au plus bas. L’envolée des prix de l’énergie résonne dans les coûts de production et entretient une large diffusion des pressions sur les prix à la consommation. Les difficultés de recrutement s’aggravent, ce qui modifie sensiblement le risque d’inflation salariale que doit intégrer la politique monétaire. L’euro est sous-évalué. La politique budgétaire a aussi largement pris le relais de l’impulsion monétaire. Pour toutes ces raisons, l’arsenal monétaire de la BCE (achats d’actifs, TLTROs, taux directeurs, quantité de réserves exonérées des taux négatifs) devrait être repensé dès cet été. Une fin prématurée de l’APP, parfois considéré comme «permanent», engendrerait de multiples questions concernant notamment la politique de réinvestissement des tombées et la «flexibilité» requise dans l’action de la BCE pour contenir les risques asymétriques (souverains périphériques, crédit BBB/BB…).

Il s’agit sans doute d’un tournant majeur pour les marchés. Cette décision suit le relèvement des taux au Royaume-Uni. Le repo de la BoE augmente de 25pb et quatre des neuf membres du MPC étaient prêts à l’accroître de 50pb. Quatre mouvements supplémentaires sont prévus en 2022, en parallèle de la réduction du bilan. Des ventes «sèches» de Gilts seront nécessaires pour résorber l’excédent de liquidités, à un rythme probable de 20 milliards d’euros chaque mois, à partir de cet été. Enfin, la RBA fait un pas vers le resserrement monétaire en refermant son programme d’achats d’actifs. La «prudence» prévaudra, mais l’inflexion du discours rend caduc le statu quo jusqu’en 2024 communiqué jusqu’à présent. À l’inverse, dans le monde émergent, le rythme de resserrement s’atténue, dans le sillage d’une PBoC encline à poursuivre l’allègement.

La hausse annoncée de la production de l’OPEP+ (400k bpj) s’avère en réalité difficile à mettre en œuvre.

Les publications économiques ont donc été éclipsées par les Banques centrales et les résultats spectaculaires des valeurs de la tech américaine, notamment Meta et Amazon. Omicron entraîne une perte d’activité dans les services au sud de l’Europe, après l’Allemagne en décembre. L’emploi aux États-Unis (+467k en janvier) surprend favorablement, au gré des révisions annuelles et d’une amélioration bienvenue de la participation qui monte à 62,2 %. Le taux de chômage se situe à 4 %, avec un taux de salaire horaire bien orienté.

Une réaction des marchés financiers à la mesure de la surprise monétaire

L’action des prix, après la BoE et la BCE, efface le rebond précédent, nourrie par quelques 22 milliards de dollars de flux entrants sur les fonds d’actions mondiales (106 Mds YTD, malgré la correction). Les marchés du crédit et de high yield enregistrent, à l’inverse, des sorties historiques.

La perspective de hausses de taux en zone euro change la donne pour la monnaie unique qui s’envole au-delà d’1,145 dollars. Le dollar efface en partie sa prime géopolitique. Elle entraîne aussi une forte remontée des rendements de maturités entre 2 à 5 ans. Le spread 5-10 ans se comprime de près de 15pb, désormais, depuis le début de l’année. Le Bund, en territoire positif, tire d’autres taux à la hausse. Les JGBs se dégradent vers 0,20%. Le T-note américain repasse le seuil d’1,80% après la communication de la BCE, avant d’accélérer après la statistique de l’emploi vers 1,90%, son sommet de 2022. L’annonce du refinancement trimestriel avait été bien accueillie, avec une réduction homogène des adjudications sur les différents points de courbe. Les émissions d’emprunts indexés vont néanmoins augmenter d’1 milliard par mois. Les points morts d’inflation plongent, avec le retrait du stimulus monétaire, malgré un pétrole au plus haut depuis 7 ans à 93 dollars le baril de Brent. La hausse annoncée de la production de l’OPEP+ (400k bpj) s’avère en réalité difficile à mettre en œuvre, compte tenu des contraintes de production en Russie, au Nigeria ou au Kazakhstan. Au sein de la zone euro, les spreads périphériques sont chahutés. L’attrition attendue du QE milite pour une réduction des positions sur les dettes souveraines à risque. Le BTP italien à 10 ans s’échange au-delà de 150pb en fin de semaine. Les titres portugais et espagnols s’élargissent conjointement. Les obligations grecques (186pb à 10 ans) subissent l’incertitude entourant la politique de réinvestissements.

Le marché du crédit subit donc des dégagements importants. Les spreads de crédit européen s’affichent en hausse de 11pb en 2022. L’écartement du high yield devrait se poursuivre sous l’influence des achats de protection sur l’iTraxx Crossover. L’environnement de volatilité élevée favorise l’élargissement du Crossover qui se traite au-delà de 300pb.

Sur les marchés d’actions, les différences sectorielles et stylistiques sont très marquées depuis le début de l’année. La volatilité extrême, avec des mouvements intra-journaliers de 4-5 %, est alimentée simultanément par le resserrement monétaire, le risque de conflit à l’Est et l’incertitude sur la dynamique bénéficiaire au niveau microéconomique. Sur le marché européen, la thématique de croissance et les petites et moyennes valeurs perdent du terrain sur les valeurs décotées. Les valeurs à dividendes élevés surperforment au détriment de la qualité. Cette rotation vers la thématique value se confond avec la remontée des taux et l’amélioration de la distribution.

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