TIPS: une protection bien imparfaite contre l’inflation

Levi-Sergio Mutemba

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La duration des obligations indexées à l’inflation a plus que neutralisé l’effet positif de la hausse des anticipations d’inflation. Rien ne pouvait résister à l’agressivité de la Fed.

©Keystone

Pourquoi les obligations indexées à l’inflation ont-elles non seulement perdu de la valeur mais également sous-performé les obligations non indexées? L’inflation étant ce qu’elle est actuellement, n’auraient-elles pas dû largement surperformer ces dernières et enregistrer des rendements positifs en 2022? Depuis le début de l’année (au 3 novembre 2022), le rendement total des Treasury Inflation-Protected Securities (TIPS), reflété par le fonds passif iShares TIPS Bond ETF (ticker ‘TIP’), est de -18% environ. Même l’iShares Core US Aggregate Bond ETF (‘AGG’) fait mieux, avec un rendement de -17%. Ces obligations spéciales sont pourtant censées protéger le portefeuille contre l’érosion du pouvoir d’achat que provoque la hausse des prix à la consommation.

Oui et non. Tout dépend de la dynamique des anticipations d’inflation et plus encore de la duration. Ben Carlson, portfolio manager chez Ritholtz Wealth Management, explique que les TIPS protègent contre l’inflation non anticipée. À ce titre, elles ont parfaitement rempli leur fonction en 2021, l’inflation ayant pris le marché par surprise en affichant une progression largement supérieure à ce qu’attendait le marché (+4%), ce dès le mois d’avril de l’année dernière. Ainsi, le rendement total des TIP s’est élevé à 5,5% en 2021. De son côté, le fonds AGG, non couvert contre l’inflation, enregistre un rendement négatif de -1,67%.

«Des instruments complexes, souvent mal compris par les investisseurs»

Mais 2022 est une année complètement différente. Et ce, à cause des banques centrales. De la Fed en particulier. Aucune obligation, même indexée à l’inflation, ne peut tenir bien longtemps face à l’agressivité de la politique monétaire. «Récemment, les TIPS ont sous-performé les obligations nominales, car l’action décisive de la Fed a incité les marchés à anticiper une baisse de l’inflation», explique Stéphane Monier, CIO à la Banque Lombard Odier & Cie, contacté par Allnews.

«Si le nominal des TIPS s’ajuste en fonction de l’inflation constatée, leur prix dans le marché reflètent l’inflation anticipée, ce qui en fait une protection imparfaite contre des envolées subites des prix», souligne pour sa part Alan Mudie, CIO chez Woodman Asset Management (Woodman), que nous avons également contacté. «Les TIPS sont en effet des instruments complexes, souvent mal compris des investisseurs», poursuit ce dernier. «Fin octobre, par exemple, le rendement des Treasuries à 10 ans s’élevait à 4,02% et celui des TIPS à 10 ans à 1,51%. Cela veut dire que l’inflation anticipée à 10 ans n’était que de 2,51%. On est donc bien loin de l’inflation officielle en septembre, qui s’était élevée à 8,2%!», observe Alan Mudie.

La duration a en outre exacerbé l’effet de la politique monétaire. Celle-ci est calculée en années et mesure le temps qu’il faut attendre jusqu’au paiement des coupons et au remboursement du nominal. Plus la duration est longue, plus le prix d’une obligation, quelle qu’elle soit, est sensible aux variations de taux d’intérêt. Et vice-versa. De sorte qu’une variation de 1% des taux d’intérêt provoque une variation en sens inverse de 1% de la valeur d’une obligation dont la duration est d’une année.

Les TIPS de duration plus courte ont limité les pertes dans une large mesure.

Or celle des TIPS contenues dans l’ETF TIP est de 6,75 ans! Elle est même supérieure à la duration de 6,24 ans des obligations non couvertes contre l’inflation détenues dans le fonds AGG. La sensibilité des TIPS aux taux d’intérêt a donc totalement neutralisé leur effet protecteur contre l’inflation. «Dans une année aussi volatile, l’impact négatif de la remontée des taux réels a plus que compensé l’impact positif de la hausse de l’indexation sur l’inflation», confirme Stéphane Monier.

«De ce fait, les taux réels ont augmenté davantage que les taux nominaux, ce qui a entraîné une baisse plus marquée des TIPS, malgré des données d’inflation réalisée élevées en glissement mensuel», ajoute le CIO de la banque privée. Notons cependant que les TIPS de duration plus courte ont limité les pertes dans une large mesure. C’est le cas du fonds Vanguard Short-Term Inflation-Protected Securities ETF (‘VTIP’), dont la duration moyenne est de 2,4 ans. Sa performance depuis le début de l’année est de (seulement) -7,50%, précisément en raison d’une moins grande sensibilité aux taux d’intérêt.

En 2021, le fonds VTIP a même enregistré un rendement total comparable à celui du fonds concurrent TIP, soit 5,32% pour une duration presque trois fois moins élevée. Il reste maintenant à voir si les obligations indexées à l’inflation de duration longue subiront dans une ampleur similaire, mais en sens inverse, la baisse future des taux d’intérêt. C’est-à-dire si, paradoxalement, leur valeur s’appréciera en période de baisse de l’inflation, grâce à l’effet neutralisant des amples fluctuations baissières des taux d’intérêt à venir.

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