Sur un marché latéral, le détail devient crucial

Peter De Coensel, Degroof Petercam Asset Management

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Un investisseur averti en vaut deux, il est temps d’abandonner les approches opportunistes pour revenir à une sélection basée sur les fondamentaux.

Les investisseurs ont été brutalement été sortis de leur routine quotidienne jeudi dernier, lorsqu’il leur a fallu revenir brièvement en mode «aversion au risque». Il ne s’agissait en réalité que d’un coup de semonce venu leur rappeler que si le filet de sécurité monétaire pouvait servir de soutien aux actifs risqués, il ne les immunisait pas pour autant contre les phases de correction. L’atmosphère d’incertitude qui a entouré la conférence de presse de Jay Powell la semaine dernière a également servi de mise en garde discrète contre les comportements de type spéculatif.

Si l’on revient sur les 11 années écoulées depuis la crise financière ainsi que sur les 10 années qui l’ont précédée, on se souviendra que durant la présidence d’Alan Greenspan, la Fed a dû intervenir afin de contrer les effets causés par les déboires du fonds spéculatif LTCM puis a dû ramener ses taux à 1% à la suite de l’éclatement de la bulle internet en 2000/2001.

La principale différence entre la période qui a précédé la crise et celle qui l’a suivie réside dans le passage des banques centrales à des interventions directes par le biais de programmes de rachats d’actifs, devenus parties intégrantes de leurs politiques. Le contrôle de la courbe des taux pourrait représenter l’étape suivante.

La politique monétaire pourrait être
sur le point de changer.
L’exemple australien

Le 19 mars dernier, la Banque centrale d'Australie (RBA) ramenait ses taux directeurs vers un nouveau plancher situé à 25 points de base (pb). Elle décidait également de maintenir le taux des emprunts d'État à trois ans à environ 25 points de base. Cette attitude nettement tranchée a abouti à des résultats surprenants.

Depuis le début mai, la RBA n'a plus procédé à aucun achat d'actifs et le trois ans australien a clôturé la semaine à 24,2 pb. Le différentiel entre les taux à 2 et 30 ans, à 1,48% vendredi dernier, a fluctué entre 1,35% et 1,7% depuis la décision de la RBA mi-mars. La banque centrale peut donc se réjouir d’avoir accompli sa mission, et ce sans induire les distorsions qu’un contrôle de l’ensemble de la courbe aurait provoquées sur le marché.

D’autres instituts ont suivi l’exemple de la banque australienne et fourni, implicitement ou explicitement, des indications prospectives pour les taux concernant la partie de leurs courbes allant jusqu’à trois ans. Dans le cas du Japon, où le contrôle porte jusqu’à dix ans, le contrôle semble trop complexe et n’a guère eu d’autre effet que celui d’exacerber la spéculation. Cette dernière est à éviter dans la mesure où l’inflation des actifs financiers est déjà très élevée, voire impossible à gérer sur la durée. Quoi qu'il en soit, les commentaires de Jay Powell à propos du contrôle de la courbe des taux et de son hypothétique mise en place montrent que la politique monétaire pourrait être sur le point de changer.

Hyper-sensibilité aux coûts de financement

La forte correction de la bourse américaine peut-elle être imputée à l'évolution inquiétante des taux d'infection par le Covid-19 dans un certain nombre d'États nord-américains ou faut-il plutôt y voir le résultat de l’annonce de la FED qu’elle augmenterait ses taux repo au jour le jour et jusqu’à une semaine et ses taux à un mois de respectivement 5 et 10 pb au-dessus du taux de rémunération des réserves excédentaires (IOER)? Ces deux facteurs se sont probablement renforcés mutuellement. Les valorisations élevées sur les marchés des taux, du crédit et sur celui des actions, qui supposent une reprise en V, accentuent la sensibilité de ces derniers aux ajustements des conditions de financement à court terme. Par conséquent, tout resserrement inattendu peut provoquer des mouvements de très grande ampleur dans tous les secteurs du marché.

La politique budgétaire doit réussir à établir un équilibre qu’il sera
difficile de maintenir en ces temps de populisme montant.
Le poids de l’équilibre

En fin de compte, la première quinzaine de juin a permis de répondre à la question de savoir si les banques centrales poursuivraient leur politique du «quoi qu'il en coûte». Et la réponse est clairement affirmative. Cependant, les banques centrales sont très conscientes de l’accroissement des tensions sociales à travers le monde et elles savent que, du fait de leur existence même, les programmes d'achat d'actifs creuseront encore davantage le fossé entre riches et pauvres.

Les gouvernements se voient donc chargés d’une lourde tâche puisqu’il leur incombe de bien répartir leurs mesures de soutien entre les ménages, les entreprises et le secteur public. L'emploi exige un secteur des entreprises en bonne santé. Le pouvoir d'achat des ménages exige de disposer de suffisamment d'argent en fin de mois. Le secteur public va monter en puissance. La politique budgétaire doit réussir à établir un équilibre qu’il sera difficile de maintenir en ces temps de populisme montant et de fracture du paysage politique international.

Au cours des trois derniers mois et demi, les marchés financiers ont probablement testé les hauts et les bas de différents secteurs. Néanmoins, un nouveau rééquilibrage devrait se produire à mesure que l’on s’approche de la fin du premier semestre. Il devrait venir soutenir l’offre d’obligations de qualité et éviter que les actifs risqués ne s’envolent avant d’entrer dans un second semestre qui s’annonce difficile. Aux approches opportunistes se substituera alors la sélection soignée de titres effectuée dans une optique d’investissement à plus long terme.

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