Seuls 25% des gérants indépendants intègrent toujours les critères ESG

Yves Hulmann

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Cette part est néanmoins en hausse sur un an, constate une étude présentée par Oliver Maas de l’Association suisse des gérants de fortune VSV-ASG, la Haute école de Lucerne et Vanguard.

Les questions en lien avec la durabilité n’ont cessé de gagner en importance au cours de la dernière décennie, en finance comme dans d’autres domaines. C’est du moins ce que l’on pourrait supposer en observant la place de choix qu’occupe désormais cette thématique aussi bien dans l’offre de produits proposés par les gérants d’actifs que dans l’actualité en général.

Toutefois, lorsqu’il s’agit de prendre en compte les critères de durabilité dans les processus d’investissement, la situation se présente de façon plus nuancée, en particulier chez les gérants de fortune suisses indépendants. C’est l’un des aspects qui ressort de la dernière enquête intitulée «VSV Investment Pulse» réalisée pour la deuxième année consécutive. L’enquête a été réalisée en collaboration avec l’Association suisse des gérants de fortune VSV-ASG, la Haute école de Lucerne et avec le soutien de Vanguard. Elle se base sur les réponses fournies par 109 gérants de fortune qui ont rempli l’entier du questionnaire.

Accentuation de la polarisation

Les auteurs de l’étude constatent même une «accentuation de la polarisation» entre les partisans et les non-partisans des approches de durabilité en comparaison de l’an précédent. Cette tendance s’observe en particulier à la lecture des réponses obtenues à la question suivante: «Est-ce que vous incluez les critères de durabilité dans votre processus d’investissement?». En 2023, 25% des participants à l’enquête ont répondu qu’ils le faisaient toujours, comparé à seulement 20% en 2022. Par ailleurs, 43% des gérants de fortune ont répondu également par l’affirmative lorsque cela était requis par les clients (comparé à 55% en 2022). En revanche, près du tiers (32%) des répondants ont indiqué ne pas inclure les critères de durabilité dans leur processus d’investissement, comparé à 25% un an plus tôt. «La prise en compte des critères ESG n’est pas encore mainstream», constate Manfred Stüttgen, professeur pour le secteur bancaire auprès de la Haute école de Lucerne (HSLU Hochschule Luzern), qui a commenté les résultats de l’étude jeudi à Zurich.

Le manque de données et de normes constitue un frein

Qu’est-ce qui constitue un frein à l’adoption des critères de durabilité par les gérants de fortune indépendants? C’est, premièrement, le manque de données et de normes à propos de la durabilité, citent les participants à l’enquête. Deuxièmement, ils mentionnent un profil risque-rendement qu’ils jugent insuffisants, avant de citer, en troisième position, les frais plus élevés pour les produits ESG.

Comment expliquer que le manque de données et de normes soit considéré comme le principal obstacle pour intégrer la durabilité dans les processus d’investissement, alors que toutes sortes de standards aussi bien en Suisse qu’en Europe permettent désormais d’évaluer la durabilité de ses placements? Pour Manfred Stüttgen, la perception des difficultés liées à l’intégration de ces critères peut jouer un rôle: « Souvent, les obstacles effectifs à surmonter sont moins élevés que ce qui est perçu par les investisseurs », avance-t-il en guise d’explication. Autre piste évoquée: la réputation est un moteur important pour l’intégration des critères ESG chez les investisseurs institutionnels, peut-être moins chez les privés qui constituent une large partie de la clientèle des gérants de fortune indépendants. «Les privés sont tendanciellement plus libres», observe-t-il.

L’âge des gérants et de leurs clients peut-il aussi jouer un rôle dans leur préférence concernant la prise en compte des placements durables? Oliver Maas, responsable pour la Suisse alémanique auprès de l’Association suisse des gérants de fortune VSV-ASG, précise que l’association ne dispose pas de statistiques à ce sujet: «La jeune génération est, de manière générale, davantage consciente des aspects liés à la durabilité», suppose-t-il néanmoins. Il estime qu’il faut toutefois rester prudent avant de tirer des conclusions trop hâtives à propos du lien entre l’âge et les préférences en matière d’investissements durables. Les nombreuses discussions dans les médias au sujet de l’éco-blanchiment peuvent aussi constituer un facteur qui incite certains gérants ou clients à la prudence: «Lorsque l’on entend constamment parler de Greenwashing dans les médias, cela peut conduire à une insécurité chez les gérants et leurs clients à propos des placements durables», met-il en perspective. Enfin, la dimension du risque – que la prise en compte des critères ESG contribue à réduire – n’est pas aisée à communiquer, ajoute de son côté Manfred Stüttgen. «Lorsque l’on doit évaluer un placement sur une base ajustée des risques, cela peut être difficile à communiquer aux investisseurs», ajoute le professeur, co-auteur de l’étude.

Les actions américaines n’ont plus les faveurs des gérants

Parmi les autres aspects abordés par l’étude, les préférences des gérants en matière d’allocation d’actifs font ressortir certains changements comparés à l’an précédent. Si les participants à l’enquête continuent, comme l’an dernier, de surpondérer les actions suisses et de sous-pondérer les valeurs européennes, le plus grand changement concerne les Etats-Unis. Alors que les actions américaines étaient encore surpondérées en 2022, elles sont désormais sous-pondérées. Du côté des obligations, celles-ci demeurent sous-pondérées en 2023 mais de manière moins marquée que ce n’était le cas en 2022.

Autre tendance: les gérants de fortune suisses préfèrent toujours investir de façon directe lorsqu’il s’agit d’actions ou d’obligations helvétiques mais ils recourent plutôt à des fonds ou à des ETF dès qu’il s’agit d’investir dans les pays émergents et en Asie, ou quand ils placent de l’argent dans des obligations à haut rendement.

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