Remue-ménage autour de la notation ESG

Antoine Mach, Covalence SA

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Alors qu’une réglementation européenne est en chantier, petites et grandes agences de notation, entreprises notées et investisseurs font entendre leurs voix.

Longtemps la notation ESG a évolué en toute liberté dans une grande diversité. L’évaluation des entreprises sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) est le fait d’agences spécialisées qui se sont en effet développées, depuis une trentaine d’année, dans un cadre non réglementé et hétérogène. D’une agence à l’autre, les notes attribuées aux sociétés varient sensiblement. Une étude du MIT parue en 2019 a documenté cette diversité de résultats, constatant que la corrélation moyenne entre les notations ESG des principales agences était de 0,61, ce qui est relativement faible si on la compare à la valeur de 0,99 décrivant la corrélation entre les résultats fournis par les principaux pourvoyeurs d’un autre type de notation, plus classique, la notation financière, ou rating de crédit (dont Moody’s et Standard & Poor’s sont les plus connus).

Les différences de notation ESG peuvent s’expliquer de plusieurs manières. Le poids attribué aux catégories E, S et G, ainsi qu’aux critères et indicateurs sous-jacents, peuvent ainsi varier. De même, certaines agences se focalisent sur les pratiques des entreprises (le «comment»), alors que d’autres concentrent leur attention sur leurs produits et services (le «quoi»); relevons par exemple que Tesla, qui fabrique uniquement des véhicules électriques, est cependant moins bien noté que Toyota par S&P et par LSEG.

Autre facteur pouvant expliquer ces différences: le poids attribué aux controverses. Généralement, la notation ESG combine deux types de données, des données divulguées par les entreprises elles-mêmes (réponses à des questionnaires dédiés, rapports et indicateurs de durabilité), et des données provenant de sources tierces (points de vue de syndicats ou d’organisations non gouvernementales, articles de presse) qui mettent notamment en lumière les aspects négatifs, les problèmes, scandales, accidents ou manifestations d’écoblanchiment, bref les controverses. Chez LSEG (anciennement Thomson Reuters puis Refinitiv), par exemple, Nestlé est noté A dans l’évaluation s’appuyant uniquement sur les données internes, et C dans l’évaluation combinant données internes et externes (controverses), sur une échelle de A à D.

Enfin, les écarts de notation ESG s’expliquent aussi par la définition de ce qui est mesuré, par le champ d’application. Figurant parmi les leaders du marché, MSCI et Sustainalytics (Morningstar), tous deux américains, mesurent l’impact des questions sociales et environnementales sur l’entreprise en termes de risque (par exemple, les enjeux climatiques menacent-ils la santé financière d’une société?). On parle ici de «matérialité simple». D’autres agences mesurent à la fois ce type de risques et l’impact des entreprises sur l’environnement et la société (on parle alors de «matérialité double»).

Cette diversité de notations n’est pas toujours facile à comprendre, et à gérer, que ce soit par les entreprises notées ou par les investisseurs qui les utilisent pour guider leurs décisions de placement. L’Union européenne a lancé un projet de réglementation afin, précisément, de «renforcer la fiabilité et la comparabilité des notations ESG». Ce projet fait suite à d’autres réglementations s’inscrivant dans la promotion d’une économie durable et visant les entreprises de tous les secteurs (CSRD) ainsi que l’industrie financière où s’élaborent les stratégies d’investissement durable ou responsable (SFDR, taxonomies). Il a été mis en consultation cet été et a suscité des dizaines de réponses émanant de différents milieux.

Pour les grandes entreprises scrutées et notées par les agences ESG, le souci principal semble être l’usage qui est fait des controverses. DHL craint ainsi qu’une seule affaire puisse conduire à une baisse drastique d’une notation et donc à l’exclusion de l’entreprise concernée de portefeuilles durables. De son côté, l’association allemande de l’industrie chimique (VCI) s’inquiète du poids grandissant attribué aux controverses dans les notations.

Pour les utilisateurs de notations, en particulier les investisseurs institutionnels comme les caisses de pension, un élément d’importance centrale est le prix de ces notations. Dans ce contexte, l’association PensionsEurope encourage l’Union européenne à imposer aux agences le principe d’une tarification raisonnable, non-discriminatoire, transparente, et basée sur les coûts.

Cette perspective n’est pas du goût des grandes agences de notation ESG. MSCI estime ainsi qu’une réglementation imposant une tarification basée sur les coûts irait au-delà à ce qui est strictement nécessaire, et représenterait un «extraordinaire niveau d’intrusion». De son côté, Fitch s’inquiète du volet du projet de réglementation européenne consacrée aux conflits d’intérêt, qui pourrait empêcher les agences de notation ESG de proposer également des services de consulting ou de notation financière. En particulier, Fitch demande une clarification afin de s’assurer qu’une agence de rating de crédit puisse également fournir des informations sur l’impact des facteurs ESG sur ses notations.

Enfin, en Europe, plusieurs petites et moyennes agences de notation ESG, dont Covalence, viennent de fonder la European Association of Sustainability Rating Agencies (EASRA), afin de défendre leurs intérêts auprès des autorités européennes. L’EASRA milite en particulier pour un principe de proportionnalité: pour que les petites agences ne soient pas défavorisées par des coûts trop importants requis par leur mise en conformité aux réglementations à venir. L’association défend aussi une perspective européenne fortement attachée à la matérialité double, c’est-à-dire à l’idée que la notation ESG ne doit pas seulement mettre la durabilité au service de l’entreprise (gestion des risques, matérialité simple), mais qu’elle doit aussi mettre l’entreprise au service de la durabilité par la prise en compte de son impact sur la société et l’environnement.

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