L’ambition verte européenne au défi du réel

Antoine Mach, Covalence SA

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L’UE adopte une version soft des normes ESRS, suscitant des inquiétudes parmi les investisseurs et les ONG.

L’été paraît propice à la publication de standards de durabilité. Fin juin, l’International Sustainability Standards Board (ISSB) publiait ses premières lignes directrices consacrées à la divulgation par les entreprises de données relatives au climat1. Puis, fin juillet, la Commission européenne adoptait les normes européennes d'information en matière de durabilité (European Sustainability Reporting Standards, ESRS).

Les normes ESRS couvrent l’ensemble des grands sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) considérés en finance durable: climat, pollution, eau, biodiversité, ressources, employés, fournisseurs, communautés, consommateurs, et conduite des affaires. Ces normes doivent être utilisées par les grandes entreprises et les sociétés cotées en bourse pour divulguer les informations sur les risques et les opportunités découlant des questions sociales et environnementales, et sur l'impact de leurs activités sur les personnes et l'environnement. L’objectif est d’aider les investisseurs, les organisations de la société civile, les consommateurs et les autres parties prenantes à évaluer la performance des entreprises en matière de durabilité, dans l’esprit du pacte vert pour l'Europe (European green deal).

Dans leur version initiale, les normes ESRS obligeaient les entreprises à divulguer des données sur un nombre important de critères. Après divers échanges et consultations, et sous l’effet du lobbying des organisations professionnelles, une certaine flexibilité a été introduite dans ces normes: désormais, les entreprises peuvent choisir de ne pas fournir d’information sur des sujets qu’elles jugent non pertinents (non matériels) ; si elles font ce choix sur la question du climat, elles devront néanmoins expliquer en détails pourquoi elles considèrent que cette question n’est pas pertinente en ce qui les concerne.

Cet assouplissement, voulu par la Commission européenne, a fait dire à la Commissaire en charge des finances Mairead McGuinness: les normes ESRS «établissent un juste équilibre entre la limitation de la charge pesant sur les entreprises concernées et la possibilité pour les entreprises de montrer les efforts qu'elles déploient pour respecter l'agenda du Green Deal et, par conséquent, d'avoir accès à un financement durable». Certaines organisations non gouvernementales (ONG) sont inquiètes, craignant que dans leur dernière version ces normes soient «diluées» (NordSIP). Ainsi, pour ClientEarth: «Les propositions actuelles de la Commission affaiblissent et compromettent le régime d'information sur le développement durable d'une manière qui n'est pas justifiée et qui compromet gravement les objectifs de l'UE en matière de développement durable.»

Plusieurs organisations d’investisseurs, notamment les Principes pour l’Investissement Responsable (PRI) et Eurosif, ont également fait part de leurs réserves quant à la flexibilité récemment introduite par la Commission européenne dans les standards ESRS. Elles craignent que leurs membres – de grands investisseurs institutionnels et gestionnaires d’actifs – ne disposent pas des informations nécessaires à l’exercice complet de leurs propres obligations de reporting (notamment dans le cadre de la réglementation européenne SFDR). Si une entreprise considère que la question climatique n’est pas pertinente dans le cadre de son activité, et qu’elle peut donc omettre de publier des données à ce sujet, les investisseurs détenant des actions de cette entreprise pourront-ils lui faire confiance, considérer qu’elle ne génère pas d’impact négatif et donc qu’elle ne contribue pas négativement à la performance ESG de son portefeuille? Pour l’assureur Allianz, cette situation crée un risque de greenwashing pour les institutions financières.

Pour Elise Attal, responsable politique européenne aux PRI, il serait sain que la situation évolue: «La Commission européenne devrait s'engager à rendre obligatoires les indicateurs clés de divulgation sur le climat et les indicateurs environnementaux et sociaux pertinents pour la SFDR lors de la première révision de cet acte délégué en 2026. D'ici là, elle devrait fournir des orientations claires, complètes et solides sur les évaluations de matérialité, afin que les informations matérielles de durabilité ne soient pas omises par les entreprises.»

Les réactions sont plus positives sur les efforts d’harmonisation entre les normes ESRS, les normes GRI (Global Reporting Initiative) et les standards ISSB. L’Union européenne assure s’être souciée de permettre un «degré d’interopérabilité très élevé» entre ces standards, afin d’éviter aux entreprises des efforts de double reporting, ce qui a été salué par la GRI mais aussi par des gestionnaires d’actifs comme Candriam. Si l’harmonisation des normes de durabilité est souhaitée par beaucoup d’acteurs, il demeure des différences importantes entre l’approche de matérialité simple (focus sur les risques financiers pour l’entreprise, défendue par l’ISSB) et celle de matérialité double (prise en compte de l’impact des entreprises sur la société et l’environnement, promue par le GRI et l’Union européenne).

 

1 La durabilité, une question de valeur ou de valeurs?

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