Alors que la guerre en Ukraine se dirige vers un élargissement du conflit, certaines perspectives se dessinent.
La volatilité des marchés ces jours-ci confirme le sentiment de dérive des investisseurs et leur manque de points de repères historiques. S'agit-il plutôt de la crise de Lehman Brothers, lorsque les marchés se sont grippés? Ou fait-elle écho aux attentats du 11 septembre qui ont pesé sur la sécurité mondiale? Est-ce aussi important que la construction du mur de Berlin ou est-ce que cela ressemble davantage à la révolution bolchévique? Et quels sont les effets des restrictions des relations avec la 11e économie mondiale?
La forte reprise économique après deux années de pandémie semble aujourd’hui remise en question. Les prévisions de réduction de l'inflation avec le retour à la normale des chaînes d'approvisionnement ne sont pas non plus d'actualité.
La principale crainte est que le conflit en Ukraine ne s'étende aux pays voisins et n'amène les troupes russes à combattre l'Otan. Mais alors même que cette terrifiante possibilité est envisagée, certains éléments économiques font déjà leur apparition.
L'année qui s'annonçait déjà difficile pour les autorités monétaires du monde entier vient de se compliquer, car elles doivent trouver le juste équilibre entre pression inflationniste en hausse et nécessité de soutenir la croissance. Dans un premier temps, elles seront probablement prudentes vu la volatilité des marchés et l'incertitude politique. Les chocs sur les produits de base vont également nuire à la demande des consommateurs et à la croissance. Mais l'inflation est persistante, et les manuels théoriques ne sont pas très utiles pour déterminer les paramètres monétaires les plus appropriés en période de stagflation.
Les gouvernements devront envisager des subventions pour aider à absorber la flambée des prix du carburant et des denrées alimentaires. Ces dépenses s'ajouteront aux promesses européennes de renforcer les capacités militaires et d'accélérer la transition climatique afin de réduire la dépendance aux combustibles fossiles russes. Tout cela arrive juste après la frénésie de dépenses du COVID, qui a porté les dettes publiques à des niveaux records.
Le mécanisme de coordination économique qui a permis de gérer la reprise après la crise financière mondiale de 2008 semble être confronté à un défi existentiel alors que les divergences se creusent entre ses principaux membres. Les Etats-Unis, l'Europe et le Japon pourraient trouver beaucoup plus utile de réunir au sein du club restreint du G7, compte tenu de ce qui risque d'être des conversations stériles avec la Russie, la Chine, et même l'Inde au G20.
Toutes les pertes de marché à venir ne seront pas forcément liées à la Russie. La crise financière de la Russie en 1998, ainsi que les tensions sur d'autres marchés asiatiques, ont conduit à la faillite du fonds spéculatif américain Long-Term Capital Management, qui a failli entraîner dans sa chute certaines des banques les plus cotées du monde. Ce choc est très différent, mais il aura tout de même des répercussions, car des pertes inattendues causent des dommages par des expositions imprévues. Les gros titres sur un producteur chinois de nickel qui a failli faire faillite dû à des appels de marge d'un milliard de dollars sur le London Metals Exchange ne seront pas les dernières surprises à venir.
La Russie ne sera pas considérée comme un fournisseur fiable de pétrole et de gaz avant longtemps. L'Europe, ne sera peut-être pas en mesure de se passer de l'énergie russe aussi rapidement que les Etats-Unis, mais l'invasion de Moscou accélérera la diversification auprès d'autres fournisseurs et la transition mondiale vers des alternatives renouvelables. Sur un marché de l'énergie déjà tendu, cela signifie des prix plus élevés que ce qui était prévu il y a un mois.
La Russie et l'Ukraine exportent normalement ensemble un tiers du blé mondial, mais pas cette année, ni même la suivante. Les exportations actuelles de l'Ukraine ne peuvent atteindre ses ports, et les cultures de l'année prochaine doivent être plantées rapidement, ce qui a fait grimper les prix de plus de 40%. L'interdiction par la Russie des exportations d'engrais réduira les récoltes bien au-delà de ses frontières. L'augmentation du prix des denrées alimentaires accentuera la pression sur les prix en Europe et aux Etats-Unis, mais la hausse des prix et la menace de pénuries réelles annonce des émeutes au sein de pays tel que l'Egypte, la Tunisie et le Liban.
Après avoir infligé un traumatisme économique sans précédent à la Russie, les monnaies américaine et européenne semblent plus puissantes que jamais. Certaines banques centrales peuvent choisir de se diversifier vers l'or ou le yuan chinois, mais cette stratégie n'a guère sauvé la Russie de coûts dévastateurs. La plupart de ce qui est acheté et vendu dans le monde est toujours libellé en dollars et en euros, une devise qui ne peut pas s'échanger entre ces deux monnaies devient inutile. Un rapide coup d'œil aux évolutions du bitcoin confirme que la plupart des alternatives crypto ne sont pas des options viables non plus.
Si peu de ces prédictions sont audacieuses, elles peuvent au moins servir d'appui jusqu'à ce que les grandes questions concernant les chocs financiers persistants, les lignes d'approvisionnement fracturées et l'insécurité mondiale croissante sembles résolues.