Si les sanctions n'ont pas arrêté la guerre, elles peuvent encore façonner la paix.
Si les alliés de l'Ukraine doivent aujourd’hui décider de la force des sanctions à appliquer à la Russie, ils devront, un jour, faire des choix difficiles sur la façon de réduire la pression.
La plus grande expérience de politique économique jamais réalisée dans le monde est en cours, renvoyant la Russie 50 ans en arrière. Rien ne sera comparable à la douleur et à la souffrance causées par cette invasion pour les Ukrainiens, mais les dommages infligés à la Russie et aux Russes seront sans précédent.
Les alliés internationaux de l'Ukraine sont maintenant confrontés à deux décisions complexes alors qu'ils cherchent à diriger une réponse aux attaques militaires presque entièrement par des moyens économiques: quand l’intensifier et quand la réduire. Si relâcher la pression sur Moscou semble impensable dans le contexte actuel, il arrivera un moment où ce sera le meilleur moyen de moduler le comportement de la Russie et il faut y réfléchir dès maintenant.
Premièrement, en ce qui concerne l'escalade, une interruption significative des exportations de pétrole et de gaz de la Russie a toujours semblé être une ligne rouge qu'aucune des parties ne franchirait, c’est dorénavant de l’histoire ancienne. Les majors du pétrole comme BP et Shell ont déprécié leurs réserves russes et les négociants en pétrole «s'autosanctionnent» en évitant les transactions russes. Les partisans d'un embargo américain sur le pétrole russe se multiplient et même le Premier ministre italien, Mario Draghi a laissé entendre que son pays, pourrait se passer des importations russes alors qu’elle en dépend pour sa consommation de gaz.
Pendant ce temps, Vladimir Poutine fait la course à l’escalade des tensions et ne semble guère se préoccuper des perspectives de croissance de son pays. Si sanctionner la banque centrale russe rend ses recettes pétrolières et gazières inutilisables pour soutenir l'économie nationale, pourquoi Moscou n'envisagerait pas de couper les exportations?
Un arrêt complet du commerce de l'énergie en Russie semble improbable, mais les chances d'une forte contraction ont fait monter en flèche les prix du pétrole et du gaz. Peu de politiciens peuvent en ignorer les coûts, mais peu d'entre eux peuvent défendre confortablement d’acheter des matières premières russes pour près de 700 millions de dollars par jour à la suite de la brutale invasion de l’Ukraine.
Malheureusement, même cette prochaine étape sur l’échelle de l’escalade des sanctions, n'est pas susceptible d'affaiblir la détermination de Poutine, c’est donc une période de cruels combats, qui choqueront les consciences et feront vaciller la reprise globale, qui attend le monde. Ce qui suivra, s'annonce chaotique et instable. Un nouveau régime à Kiev renonçant à l'adhésion à l'OTAN aura besoin des troupes russes pour le protéger de remous intérieur persistants. À l'autre extrême, un coup d'État à Moscou renversant Poutine n'installera probablement pas un démocrate qui ordonne une retraite et offre des réparations.
Entre ces deux options, cependant, les sanctions qui n'ont pas permis d'éviter la guerre peuvent jouer un rôle important dans un processus de paix. Un résultat qui maintiendrait d'une manière ou d'une autre le gouvernement ukrainien actuel en place nécessiterait des portes de sortie pour Poutine ou ses successeurs. Aussi fantaisiste que cela puisse paraître aujourd'hui, une combinaison de courage ukrainien et d'un retour à l'économie mondiale fera partie de la solution.
Le scénario le plus probable est que la Russie va tenter de contrôler l'Ukraine pendant très longtemps et que les sanctions se maintiendront. Même après une chute rapide de la monnaie et un probable défaut de paiement de la dette, l'économie russe entrera dans une spirale infernale à mesure que les infrastructures essentielles tomberont en panne faute de pièces de rechange, que les soins de santé s'effondrent par manque de matériel médical et que le rouble passe du statut de réserve de valeur à celui d'unité de compte.
Mais une Russie beaucoup plus pauvre n'est pas une Russie moins dangereuse. Comme la Corée du Nord, un pays qui n'a aucune perspective d'amélioration de ses relations économiques avec ses voisins aura peu de raisons d'éviter de nouveaux conflits à ses frontières européennes, au Moyen-Orient ou dans le cyberespace.
Au moment opportun, l'allègement des sanctions pourrait être échangé contre un accès précieux à ces pièces de rechange, la permission de pénétrer à nouveau dans l'espace aérien européen. On pourrait même imaginer la reprise de contrôle des réserves de la banque centrale en échange du retrait des troupes, de la reconstruction ou d'une plus grande autonomie politique de l'Ukraine. Les compromis spécifiques devront être adaptés à la configuration politique qui émergera des combats; ces négociations pourraient se poursuivre durant de longues années.
Les décisions relatives à l'assouplissement des sanctions seront difficiles, d'où l'importance d'y réfléchir dès maintenant. Certains appelleront cela de l'apaisement dans le contexte actuel. Mais les stratégies d'endiguement de la guerre froide, qui ont permis de garantir la liberté de l'Europe de l'Est, utilisaient la carotte et le bâton économique sur fond de détermination politique et de force militaire.
Les alliés qui ont tenté de défendre l'Ukraine en coupant les lignes de crédit d'un pays prêt à envoyer des chars devront utiliser tous les moyens de pression dont ils disposent lorsque la poussière retombera. La meilleure façon d'obtenir des concessions de la part de la Russie envers l'Ukraine pourrait bien être de négocier avec Moscou quelles sanctions pourraient être levées en retour.