Sauver le monde n’est pas chose aisée

Christopher Smart, Barings

3 minutes de lecture

L’investissement ESG a un long chemin à parcourir mais les marchés financiers mondiaux ont leur rôle à jouer.

©Keystone

L’industrie qui se consacre, parfois frénétiquement, à la recherche du plus grand profit possible à partir du plus petit investissement possible est désormais mise sous pression afin de participer aux efforts pour améliorer le sort de l’humanité. Même les plus intransigeants des investisseurs devraient se réjouir de ce défi que constitue l’inclusion de pratiques environnementales, sociales et de gouvernance dans leurs analyses. Après tout, cette activité ne diverge pas tant de celle qu’ils pratiquent déjà au quotidien et leur permettrait de rester pertinents et légitimes par rapport aux algorithmes informatiques.

Les gestionnaires ne sont peut-être pas classés dans la même catégorie que le personnel infirmer ou les enseignants et enseignantes de mathématiques en termes de contribution au bien commun, mais cette carrière permet tout de même de contribuer à la prospérité mondiale tout en encourageant l’avancée vers des objectifs sociétaux globaux. 

Une tendance tout sauf récente

Le concept de marché libre, tout comme la recherche du profit, était au cœur du progrès économique bien avant l’arrivée d’Adam Smith et de sa «main invisible». Mais au-delà de ce qui apparaît dans les manuels d’introduction à l’économie, les individus appliquent toutes sortes de critères à leurs décisions financières. Et certains de ces critères vont plus loin que la seule recherche d’une bonne valeur ou d’un profit raisonnable. On choisit, par exemple, de ne pas fréquenter un restaurant si l’on trouve les opinions politiques du barman détestables, même si la nourriture est à la fois bonne et bon marché. Ou on décide de boycotter la marque vestimentaire qui fait recours à des ateliers clandestins, même si les prix de ses jeans sont dérisoires. Choisir ses investissements en utilisant ce même cadre d’analyse n’a rien de déraisonnable. 

Les valeurs façonnent les décisions financières depuis que les grandes religions du monde ont commencé à condamner la pratique de l’usure.

Ce qui peut paraître aujourd’hui comme la dernière lubie en date n’a, en fait, rien de nouveau. Les valeurs façonnent les décisions financières depuis que les grandes religions du monde ont commencé à condamner la pratique de l’usure. Les Quakers américains avaient interdit les investissements dans le commerce d’esclaves et les investisseurs contemporains développent leurs propres listes de secteurs à exclure.

Des questions légitimes

Reste que des questions légitimes se posent encore en matière d’ESG. Il peut, par exemple, être difficile de prioriser le E, le S ou le G. Prenons l’exemple d’une équipe de gestion, parfaitement diversifiée, qui reverse la moitié de ses profits aux orphelins qui n’ont d’autre choix que de travailler dans les mines de charbon de lignite. Il est légitimement difficile de savoir si son investissement devrait, effectivement, soutenir la diversité et aider des enfants défavorisés au prix d’une augmentation des émissions de carbone. Mais les équipes d’investissement sont habitués aux choix difficiles, entre risque de change et amélioration incertaine des marges, par exemple. Il y a très peu de décisions évidentes dans la gestion d’un portefeuille. 

L’élaboration d’un véritable référentiel de mesure est un défi que le secteur de la gestion d’actifs commence à peine à relever. Mais quiconque ayant vécu la faillite de Lehman Brothers pourra admettre que les notations de crédit AAA n’étaient pas aussi efficaces pour mesurer la solidité d’un bilan qu’on n’aurait pu l’espérer. Les notations ESG ont encore un long chemin à parcourir et ne seront jamais parfaites. Cela ne devrait pas empêcher les investisseurs actifs de se lancer avec enthousiasme dans ce domaine, les véhicules passifs étant incapables de prendre ces décisions nuancées pourtant cruciales. 

Savoir si récompenser l’effort ou la réussite est une autre problématique particulièrement épineuse. Les investisseurs ne sont eux-mêmes pas nécessairement certains de savoir s’il vaut mieux encourager les efforts d’un gros pollueur qui tente d’améliorer ses processus ou se tourner plutôt vers un concurrent qui est devenu la référence dans son secteur. Ici encore, les avis divergeront, tout comme ils divergent sur les mérites des actifs de valeur par rapport aux actifs de croissance. Le plus important, c’est que les gestionnaires s’expriment de manière claire sur leurs actes et leurs motivations. 

Les investisseurs et les marchés remplissent une fonction de surveillance et d’exécution qui est hors de la portée des régulateurs et des tribunaux.

Les gouvernements ont un rôle évident à jouer en matière d’ESG mais leur intervention seule ne suffirait sans doute pas. Même si ces derniers choisissaient de légiférer sur la base des préférences de leurs électeurs en la matière, les investisseurs et les marchés remplissent une fonction de surveillance et d’exécution qui est hors de la portée des régulateurs et des tribunaux.  

La question des rendements est d’un intérêt particulier pour les investisseurs et ces derniers ne sont pas nécessairement sacrifiés lorsque l’on prend en compte des critères l’ESG. Certains affirment même que cela peut générer des rendements supérieurs, suggérant souvent que le fait d’éviter les gros pollueurs permet de minimiser les risques. La littérature scientifique est encore loin d’être unanime sur le sujet mais rien n’indique, non plus, une claire sous-performance de ces stratégies au cours du temps. 

Enfin, l’on peut se demander si les investissement ESG ne provoquent pas une hausse du coût du capital pour les entreprises considérées comme «mauvaises». Si cela devait être le cas, les rendements obligataires des «bonnes» entreprises seraient alors plus faibles. Mais l’engagement des actionnaires, des agences de notation et des journalistes financiers, qui forcent les entreprises à expliquer comment elles améliorent leurs pratiques, pèse bien plus lourd qu’une évolution des coûts du capital. Si certaines entreprises peuvent verser dans l’exagération, elles ne peuvent dissimuler éternellement un comportement répréhensible et leurs efforts pour répondre à ces préoccupations permettent, à terme, de créer de meilleurs modèles d’entreprise. 

Il est évident qu’une hausse des coûts du capital ou la recherche de profit peuvent, à elles seules, faire beaucoup pour améliorer la condition de l’humanité. Il n’y aura, bien naturellement, aucun progrès sur le front des questions environnementales, sociales et de gouvernance sans l’aide de lois solides et de régulateurs vigilants. Mais un coup de pouce supplémentaire ne serait pas de trop.  

A lire aussi...