Préférer les marchés américains

Chris Iggo, AXA Investment Managers

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Un argument qui plaide en faveur des marchés des États-Unis est le fait que la crise mondiale de l’énergie y produit moins d’effets négatifs qu’en Europe.

  • Aux États-Unis, les prix de l’essence et d’autres vecteurs énergétiques ont rapidement baissé, ce qui est une bonne chose pour les ménages et les entreprises.
  • Par ailleurs, l’emploi est encore bien fourni, c’est pourquoi la croissance du second semestre pourrait nous réserver d’agréables surprises.
  • En Europe, en revanche, les prix du gaz ont atteint des sommets, les consommateurs souffrent de la hausse des prix de l'énergie et les gouvernements peinent à se défendre contre les conséquences néfastes que la guerre russe a sur la distribution.
Le retour de Boucles d'or?

Comment les investisseurs doivent-ils accueillir les récentes données macroéconomiques leur parvenant des États-Unis? Au cours des dernières semaines, des rapports ont fait état d'un recul du produit intérieur brut (PIB) au deuxième trimestre, d'une hausse étonnamment forte de l'emploi et, en juillet, d'une inflation des prix à la consommation légèrement plus favorable que prévu, ainsi que d'une baisse des prix des producteurs. S’il s’avère que la croissance ne se porte pas aussi mal que les chiffres du PIB le suggèrent et que l’inflation a amorcé sa baisse, où est le problème? D'une part, les attentes du marché se sont stabilisées en matière de taux d'intérêt, le pic étant attendu pour le premier trimestre 2023. D’autre part, si la croissance est aussi robuste que le laisse supposer le marché de l’emploi, il n'y aura pas de récession et on devrait pouvoir éviter une forte baisse des bénéfices des entreprises. Les entreprises semblent maîtriser la hausse des coûts, ainsi que la pression pesant sur les marges, et il n'y a aucune raison de baisser davantage les valorisations des actions, puisque les rendements obligataires n'augmentent plus. Tant pour les obligations que pour les actions, les rendements se présentent donc sous un meilleur jour.

Prédominance américaine

Ces éléments plaident en faveur d'un dollar toujours fort et – en monnaie locale – laissent augurer de meilleurs rendements sur les marchés américains, où les rapports sont plus élevés et les fondamentaux apparemment meilleurs qu'en Europe. En matière de taux d'intérêt, la Réserve fédérale américaine réagit activement aux attentes du marché afin de limiter la volatilité, tandis que le gouvernement a pris des mesures pour s'attaquer à certains des problèmes sous-jacents de l’inflation. À l’heure actuelle, nous partons de l’idée que les actions américaines continueront à produire de bonnes performances. D'un point de vue saisonnier, les troisième et quatrième trimestres tendent à offrir des rendements positifs pour des indices tels que le S&P 500, et il faudra encore un certain temps avant que les valorisations ne repassent dans la zone de cherté. Selon les prévisions actuelles pour les bénéfices par action sur 12 mois, le S&P 500 se négocie actuellement à 17,6 fois, contre une moyenne de 15,7 fois sur 15 ans.

En Europe, aucun apaisement des craintes liées à l’inflation

Le recul de l’inflation US-américaine s’explique par des coûts énergétiques moindres. Selon le rapport sur les prix des producteurs, les coûts de l’énergie ont baissé de 9% en juillet. Et selon le rapport sur les prix à la consommation, les coûts de l’énergie ont baissé de 4,6% par rapport au mois précédent. Mais cela n’est pas le cas dans le reste du monde. En Europe, les prix du gaz naturel sur les marchés de gros restent élevés. Étant donné le rôle que joue le gaz en tant que source d'énergie directe pour les consommateurs, et pour équilibrer l'offre et la demande dans la production d'électricité, cela ne devrait pas changer de sitôt. Avec la Russie qui menace de réduire ses livraisons de gaz à l'Europe, cela signifie moins d'offre, des prix plus élevés et pour l'hiver prochain, un éventuel rationnement du gaz pour les consommateurs. Cela entraînerait sans doute une perte non négligeable de la production européenne en 2023.

Des marchés énergétiques complexes

Dans le domaine de l'énergie, le problème actuel est que, malgré le rôle croissant des énergies renouvelables dans la production d'électricité, la plupart des pays continuent à dépendre du gaz naturel pour équilibrer l'offre et la demande d'électricité. Les producteurs d’électricité, qui paient un prix élevé pour le gaz qu’ils emploient, fixent leur prix sur la base du coût marginal de production d'unités d'électricité supplémentaires. Sur les marchés de gros, il existe une très forte corrélation entre le prix du gaz naturel et celui de l'électricité. Si cette offre marginale supplémentaire de gaz est menacée, les fournisseurs d'électricité sont prêts à payer des prix plus élevés aujourd'hui afin de pouvoir s'assurer des livraisons futures. Et même comme ça, la production risque d’être insuffisante, raison pour laquelle il est question de rationnement.

Certaines entreprises sont totalement intégrées dans la chaîne de valorisation – de l'extraction des hydrocarbures à la production d'électricité et à la distribution d'électricité et de gaz, en passant par le raffinage et la purification. Comme les prix de gros du gaz ont été entraînés à la hausse par le conflit armé, ils ont pu augmenter les prix de l'électricité et du gaz pour les consommateurs. In en résulte des bénéfices record, notamment pour les compagnies intégrant les activités pétrolières et gazières, ainsi que la distribution. Ailleurs, des prix de détail plus réglementés ou une propriété publique directe ont permis d'atténuer (du moins un peu) le plein impact de la hausse des prix du gaz et du pétrole sur les consommateurs.

Dépendances changeantes

La complexité des marchés de l’énergie reflète également leur interdépendance mutuelle. Les réseaux européens d'électricité et de gaz sont en effet interconnectés, ce qui permet une plus grande flexibilité pour répondre aux fluctuations de la demande. De plus, l'Europe importe de l'énergie du reste du monde, le gaz naturel liquéfié (GNL) étant l’élément le plus important dans ce contexte. Augmenter les importations de GNL constitue donc un des moyens permettant de résoudre le problème russe.

Sécurité

Chaque fois que les principaux combustibles utilisés pour la production d'énergie connaîtront des interruptions d'approvisionnement, volontaires ou non (généralement pour des raisons géopolitiques), l'inflation sera un sujet de préoccupation récurrent. Le gaz est appelé à rester un facteur équilibrant dans la production énergétique. Le défi consiste à en réduire l'impact en augmentant encore davantage la part des sources d'énergie renouvelables et en s’approvisionnant en gaz auprès de fournisseurs politiquement moins instables afin de pouvoir maintenir sa fonction d’équilibrage. La sécurité énergétique est devenue, à juste titre, une question politique centrale, mais il reste vrai que certains pays ne seront jamais totalement indépendants, parce qu'ils ne disposent tout simplement pas des ressources naturelles. Un stockage de l'énergie et une efficacité énergétique améliorés contribueront toutefois à atténuer l'impact économique des interruptions affectant les échanges commerciaux. Des accords commerciaux internationaux plus solides, conclus entre nations amies, seraient également utiles.

Ce n’est plus temporaire

L’inflation ne découle pas uniquement de l’approvisionnement énergétique. L'inflation de base est élevée partout, car les coûts de l’ensemble des biens et des services ont augmenté. Cette tendance s'explique par des problèmes structurels d'offre et de demande – dans les matières premières, la production alimentaire, les semi-conducteurs et le marché du travail. L'inflation n'est donc pas temporaire. À bien des égards, elle est liée à la manière dont la pandémie a affecté l'économie mondiale. Par conséquent, nous devons modérer notre optimisme quant à un éventuel pic d'inflation aux États-Unis. Certes, le resserrement de la politique monétaire est un outil plutôt émoussé, mais les marchés sont sans doute trop optimistes sur les perspectives concernant les taux d'intérêt à moyen terme. Tout cela rend les obligations indexées sur l'inflation encore plus attrayantes, pour la simple raison que les coupons sont indexés sur les prix à la consommation. En fin de compte, l’économie mondiale trouvera les moyens de remédier aux inefficiences des marchés à l’origine de l’inflation actuelle. Cela signifie toutefois aussi que, dans les années à venir, nous resterons confrontés à une inflation plus élevée qu’avant l’apparition du Covid.

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