Est-ce déjà la récession?

Chris Iggo, AXA Investment Managers

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Compte tenu de la faiblesse des données conjoncturelles, les banques centrales ne disposent pas d’une grande marge de manoeuvre pour augmenter encore davantage les taux d'intérêt.

Les taux d’intérêt stables sont une bonne chose

D'un point de vue technique, les États-Unis étaient déjà en récession au premier semestre 2022, le produit intérieur brut (PIB) ayant été en recul tant au premier qu'au deuxième trimestre. La semaine dernière, la Réserve fédérale américaine (Fed) a relevé ses taux d'intérêt de 0,75 pour cent, mais les arguments en faveur d'une ultérieure hausse des taux sont de moins en moins pertinents. Les rendements des obligations à plus de deux ans se situent désormais entre 2,65 et 3%. La stabilisation des rendements à long terme est donc une condition nécessaire si l’on veut avoir une vision plus constructive des autres classes d'actifs. Les rendements des crédits - aussi bien ‘investment grade’ qu’à haut rendement - se sont également stabilisés. C'est une bonne nouvelle pour les détenteurs de portefeuilles d'obligations d'entreprises, mais également pour les sociétés mêmes, car cela indique que les coûts de financement pourraient avoir atteint leur pic.

Des inquiétudes quant au contexte conjoncturel

Au-dehors des États-Unis, on rencontre une situation similaire. Les rendements des emprunts d’État se sont amenuisés. Le 6 juin, l'indice de référence de la zone euro, portant sur le rendement des emprunts d'État allemands à dix ans, atteignait 1,93%. Actuellement, il se situe juste en-dessous de 0,9%. Dans les pays industrialisés, les conditions monétaires se sont généralement assouplies quelque peu depuis début juin. Malgré l'apparente solidité de la reprise boursière estivale, les investisseurs restent prudents vis-à-vis des actifs à risque. Les prix de l'énergie restent élevés, et la crise du coût de la vie a des répercussions importantes sur les revenus et les dépenses des ménages. Sans compter que les nouvelles nous provenant d'Ukraine ne sont pas meilleures et que l'Europe risque de connaître une pénurie de gaz naturel cet hiver. Ces dernières semaines, les économistes ont clairement mis en évidence le risque de rationnement et de baisse de l'activité économique en Allemagne, de même que dans d'autres économies européennes. Sur une telle toile de fond, le marché se montre sceptique quant à la capacité de la Banque centrale européenne (BCE) à relever les taux d'intérêt.

La croissance mondiale ralentit

Le tracé des courbes de rendement reflète l'apparente incohérence entre la rhétorique agressive pratiquée par les banques centrales en matière d'inflation et les risques de ralentissement économique. La semaine passée, le Fonds monétaire international a revu ses perspectives de croissance à la baisse. Ainsi, les économies avancées devraient connaître une croissance du PIB de 2,5% cette année et de seulement 1,4% en 2023, contre 5,2% en 2021. Pour l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni, le FMI s’attend à une croissance inférieure à 1% l'année prochaine, c'est-à-dire une moyenne annuelle qui impliquerait la possibilité d'un ou plusieurs trimestres de croissance négative. En  d’autres termes : la possibilité d’une récession. La Chine est la seule grande économie nationale pour laquelle le FMI prévoit une croissance plus forte l'année prochaine, de sorte que dans l’ensemble, les pays émergents pourraient connaître une année légèrement meilleure. Cependant, mis à part la Chine, la plupart des grands pays émergents devront faire face à un ralentissement économique en 2023. Il s’agit donc bien d’un ralentissement global.

Toutefois, ces prévisions annuelles ne peuvent pas occulter le fait que le ralentissement a déjà commencé et que le sentiment des investisseurs reste réservé. Le rapport préliminaire sur le PIB américain pour le deuxième trimestre a révélé une deuxième baisse consécutive du PIB. Les chiffres ont mis en évidence la plus faible croissance trimestrielle des dépenses de consommation depuis les phases de confinement dues au COVID, ainsi qu'un fléchissement des investissements dans les entreprises et dans l’immobilier résidentiel. D'autres données économiques majeures, telles que l'indice ISM du secteur manufacturier, se sont également dégradées. En Europe, des indices similaires ont également connu une baisse significative. On peut s’interroger sur la capacité des banques centrales à relever encore davantage les taux d'intérêt si le ralentissement économique s’accentue de la sorte. Dans un scénario de ralentissement de la croissance, l'argument avancé en faveur d'une surpondération des titres à revenu fixe est par conséquent très convaincant.

De nouvelles conditions sur les marchés

Pour les investisseurs, juillet a été un bon mois, avec des rendements positifs dans toutes les classes d'actifs. Après les terribles six premiers mois de l'année, ce fut vécu comme un véritablement soulagement. Les résultats affichés par les actions et les obligations au cours du premier semestre de l'année correspondaient tout à fait à l'anticipation d'une récession. Or, nous y sommes maintenant, même si la récession s’est montrée relativement douce jusqu'à présent, et d'autres facteurs sont susceptibles d’agir comme moteurs sur les marchés. Au début d’une récession, les taux d'intérêt commencent normalement à baisser et les bénéfices des entreprises diminuent. Sur ce plan, les obligations ont pris de l’avance sur les marchés des actions.

La récente reprise des marchés boursiers semble en effet être davantage due à la stabilisation des taux d'intérêt qu'à une évolution positive des perspectives de croissance. Les prévisions de bénéfices semblent encore trop optimistes, bien que ces dernières semaines, pour les bénéfices par action de 2023 et 2024, un certain nombre de pronostics consensuels aient été revus à la baisse. L'histoire nous apprend cependant que les bénéfices chutent en période de récession. Les alertes sur les bénéfices sont de plus en plus fréquentes, même si ceux du deuxième trimestre, tant en Europe qu'aux États-Unis, ne sont pas restés dramatiquement en-dessous des attentes. Une large fourchette latérale pourrait définir le reste de l'année.

Privilégier les obligations à échéance longue

Les rendements obligataires n'ont jamais été aussi bas depuis avril, mais les marchés pourraient également évoluer dans une fourchette assez large jusqu'à ce que les banques centrales estiment pouvoir signaler la fin du resserrement. Dans un tel contexte, l'accent devrait être mis sur la qualité et le rendement. Les crédits de haute qualité offrent des rendements d’un niveau d’excellence inégalé depuis de nombreuses années. En Europe aussi, la courbe du crédit est toujours relativement raide, étant donné que le secteur ‘investment grade’ sur sept à dix ans offre un rendement de 2,85%, contre seulement 1,9% pour les échéances d’un à trois ans. Avec l'augmentation de la durée, les rendements des crédits augmentent plus fortement que ceux des obligations d'État.

Restructurer les portefeuilles

Le 4 août, la Banque d'Angleterre fera connaître sa décision concernant les taux l'intérêt. Nous prévoyons une hausse des taux d'intérêt de 50 points de base (pb). Les banques centrales aiment se montrer ennuyeuses, et les marchés aiment qu'elles soient plutôt prévisibles. Désormais, c’est bien le cas. Pour ce qui est de l'impact sur les marchés, la phase de resserrement de la politique monétaire est probablement terminée. Maintenant, il s’agit de se pencher sur d’autres facteurs. Or, les bilans des entreprises, les aspects géopolitiques et les mesures de politique fiscale, telles que les réductions d'impôts au Royaume-Uni et en Italie, sèment le trouble chez les investisseurs. Constituer les portefeuilles de façon à les prémunir contre de tels risques est certainement une tâche ardue. Dans cet environnement, la qualité des flux de trésorerie des actions et des crédits joue un rôle déterminant. À moyen terme, une exposition aux titres à haut rendement pourrait renfermer un potentiel de hausse, tandis que le tandem «lutte contre la récession et revirement de la politique monétaire» est susceptible de conduire à une duration plus longue pour les titres à revenu fixe, notamment dans les obligations d'entreprises.

Les dividendes au centre de l’attention

En matière d’actions, il convient également de privilégier celles qui versent des dividendes. Depuis le début de l'année, l'indice spécifique «S&P Dividend Aristocrats Total Return» a dépasse son homologue plus général d'environ 6%. Au cours de ces dernières années, on a par ailleurs constaté qu’en Europe, au Royaume-Uni, en France et en Espagne, les dividendes avaient tendance à représenter une part plus importante du rendement total.

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