Préférer la technologie au pétrole

Chris Iggo, AXA IM

5 minutes de lecture

S’ils avaient investi dans un indice américain, les investisseurs internationaux en actions auraient enregistré de bons résultats depuis le début de l’année, et de meilleurs encore s’ils avaient surpondéré les titres technologiques.

Les actions ont sérieusement repris des couleurs. On se demande pourquoi les titres américains sont si forts, alors que la récession guette au tournant – et on s’inquiète, parce que ces bénéfices sont principalement dus à une poignée de valeurs technologiques. Mais qu’y aurait-il de mal dans la technologie? C’est pourtant elle qui assure la croissance de demain – pas les entreprises du secteur du pétrole et du gaz. Dans d’autres pays aussi, les actions ont été rentables, même si la part de la technologie y est beaucoup plus faible. Bien entendu, il convient de ne pas perdre de vue l’aspect conjoncturel, aux États-Unis comme ailleurs, et d’être attentif à l’effet qu’il peut avoir sur les bénéfices des entreprises. La stabilité dont ont fait preuve les économies majeures donne toutefois à penser que, dans le pire des cas, les prévisions de bénéfices resteront inchangées cette année et qu’en 2024, les bénéfices se redresseront. Et même les pessimistes ont une bonne raison de se réjouir: comme la volatilité est descendue à son niveau le plus bas depuis le début de l’année, les coûts de couverture n’ont jamais été aussi faibles depuis belle lurette.

Vous avez dit ‘tempête’?

Hier, j’ai reçu une analyse de courtier intitulée «Le calme avant la tempête». Il semble qu’une frange du monde de l’investissement, qui profite pourtant de volumes de transactions plus élevés, de larges écarts entre l’offre et la demande, et certainement aussi de la volatilité, prenne parfois un malin plaisir à semer délibérément la mauvaise humeur. Pour ma part, je préfère m’en tenir à la devise du caporal Jones: «Pas de panique, capitaine Mainwaring!» (D’aucuns se souviendront peut-être de «Dad’s Army», une sitcom britannique des années 1970, réalisée par la BBC, sur les forces de sécurité intérieure durant la Seconde Guerre mondiale). Eh oui, la volatilité fait partie du jeu! En général, elle augmente lorsque se produit un évènement imprévu ou quand une anticipation négative se réalise réellement. La semaine dernière, j’évoquais le risque de défaut de paiement des États-Unis, un événement susceptible de déclencher une panique générale. Mais il est beaucoup plus probable que nous assistions à un atterrissage en douceur de l’économie américaine, accompagné d’une nouvelle baisse de l’inflation - et de la fin des hausses de taux d’intérêt dans de nombreux pays. Donc: trêve d’alarmisme. Pour ceux que ça pourrait intéresser: actuellement, la volatilité implicite des actions et des obligations est à peine supérieure au niveau le plus bas enregistré cette année. Ceux qui craignent un krach boursier peuvent donc en profiter pour se couvrir à bon compte.

Des leaders incontestés du marché

En effet, cette année, les rendements du S&P 500 sont principalement dus à un petit nombre d’actions technologiques. Les valeurs informatiques représentent 26,7% de l'indice. Leur rendement total depuis le début de l’année est de 28%, ce qui signifie qu’elles ont contribué à hauteur de 7,5 points de pourcentage aux 10% de hausse du S&P 500. Les titres de matériel informatique, de semi-conducteurs et de logiciels ont fait la course en tête. En revanche, le secteur le plus performant de l’année dernière – l’énergie – a reculé de 8,5%, et les valeurs bancaires ont même perdu plus de 10%. Qu’y aurait-il de mal à ce que des valeurs technologiques dynamiques, disposant d’un bon potentiel de croissance, soient les locomotives du marché? Moi, ça me rend optimiste. Pour les perspectives à long terme, il est certainement préférable de voir en tête des entreprises capables de générer des gains de productivité et, par exemple, de faire progresser la médecine grâce à l’intelligence artificielle (IA), plutôt que des sociétés qui génèrent des bénéfices mirobolants grâce à l’extraction et à la distribution de combustibles fossiles.

Le pétrole et les banques dans le rouge

Les autres actions américaines – dans lesquelles les valeurs financières et énergétiques représentent environ 18% de la capitalisation boursière – sont peut-être en butte à des problèmes, mais leur performance n’est pas aussi mauvaise qu’on le croit généralement. S’ils avaient investi dans un indice américain, les investisseurs internationaux en actions auraient enregistré de bons résultats depuis le début de l’année, et de meilleurs encore s’ils avaient surpondéré les titres technologiques. Les valeurs industrielles ont quelque peu progressé et les titres des services de communication ont même rapporté 30%. En raison de la stabilité du marché du travail et de la bonne santé financière des ménages, les biens de consommation durables ont également gagné près de 20%.

L’Europe tient ses promesses

J’ai récemment écrit que les grandes capitalisations faisaient récemment la course en tête parce qu’elles profitaient davantage de la croissance nominale et réalisaient des marges élevées en dépit de la hausse des coûts. Or, cela ne vaut pas uniquement pour les États-Unis. Les actions européennes ont également fortement progressé. L’EuroStoxx a rapporté 14,5% depuis le début de l’année (état du 18 mai). En Europe, le marché est plus vaste. Ici, des domaines comme les voyages et les loisirs, la construction, le commerce de détail ainsi que les biens et services industriels figuraient également parmi les dix secteurs les plus forts. Cette année, la surpondération des actions s’est avérée fructueuse, et les titres du Japon et d’autres pays asiatiques ont également progressé.

Bénéfices des entreprises

Est-ce une trajectoire qui va se poursuivre? Mis à part les grands titres technologiques américains, les valorisations ne sont pas extrêmes - et c’est encore plus vrai en Europe. Les bénéfices des entreprises ont été étonnamment bons. En Europe, ils ont continué à s’accroître, alors que les bénéfices du S&P 500 avaient déjà atteint leur maximum il y a un an. Selon les prévisions de l’avis consensuel, en 2023, les bénéfices des grandes capitalisations américaines seront légèrement inférieurs à ceux de l’année dernière, tandis qu’une légère hausse est attendue en Europe. En 2024, les deux côtés de l’Atlantique devraient à nouveau connaître une progression, avec un gain de 11% aux États-Unis et de 8% pour les grandes capitalisations européennes. Il est frappant de constater qu’en Europe, les anticipations de bénéfices à 12 mois ont été plus souvent revues à la hausse qu’à la baisse ces trois derniers mois. Mais récemment, concernant les États-Unis, les révisions des bénéfices ont été positives pour la première fois depuis mai 2022.

Cependant, la situation conjoncturelle pourrait continuer à peser de tout son poids

En effet, il se peut que tout ce bel optimisme ne soit finalement pas de mise, car les économistes s’attendent à une récession aux États-Unis. Si la demande baisse, le pouvoir de tarification des entreprises s’affaiblit, de sorte que les marges se trouveraient sous pression et que les analystes devraient revoir à la baisse leurs prévisions de bénéfices. Les petites et moyennes capitalisations sont déjà à la traîne de la tendance générale du marché. La hausse des coûts et des salaires, l’augmentation des taux d’intérêt et le durcissement des conditions de crédit créent manifestement des difficultés. Celles-ci pourraient s’accentuer. Mais il est possible que les valeurs technologiques réagissent de manière moins sensible à l’évolution conjoncturelle, car elles profitent structurellement de la transition énergétique, de la relocalisation de la production et de l’augmentation des dépenses consacrées à l’IA (matériel informatique, développement de logiciels et applications). Je suis en train de lire un livre sur l’intelligence artificielle («Human Compatible» de Stuart Russell). Il y analyse les perspectives à long terme de l’IA et les aspects éthiques du développement de machines qui pourraient, un jour, prendre des décisions à la place des humains. Mais Russell écrit également que même les voitures à conduite autonome sont encore loin d’être parfaites. Il reste encore un long chemin à parcourir jusqu’à l’utilisation productive et généralisée des machines apprenantes et de l’IA dans l’économie. L’IA est toutefois susceptible d’augmenter la productivité et constituera certainement une source de croissance et d’investissements. Dans une perspective à long terme, il est donc difficile de ne pas être optimiste pour les valeurs technologiques. Je pense que l’IA, associée à la transition énergétique et aux grands progrès de la biotechnologie, est appelée à faire le bonheur des investisseurs en actions de croissance.

La Grande-Bretagne suit une voie différente – et ce n’est pas une bonne chose

Le Royaume-Uni est l’une des économies les plus faibles. Les actions britanniques sont à la traîne par rapport aux titres internationaux, et les obligations d’État britanniques ont rapporté moins que les titres américains ou d’Europe continentale. Il en va de même pour les obligations d’entreprises de type investment grade, bien que les obligations d’entreprises britanniques offrent des spreads plus élevés pour toutes les échéances. Parmi les journalistes, certains partisans du Brexit ont exprimé leur satisfaction - généralement sur les réseaux sociaux - de voir que la livre Sterling n’était finalement pas devenue une candidate au futur incertain. Chouette! Or, en tenant compte de la pondération par le commerce, la livre se montre plus faible de 10% qu’au moment du référendum sur le Brexit. Lorsque la Première ministre de courte durée, Liz Truss, a tenté d’abolir les lois de l’économie, en septembre dernier, la livre était presque tombée à la parité avec le dollar américain. Depuis, elle s’est certes redressée à 1,24, mais souvenons-nous qu’elle était encore cotée à 1,45 en juin 2016. Cette année, les placements en Grande-Bretagne ont été moins rentables que les placements dans d’autres pays industrialisés. Les revenus ont tout au plus été générés par le fait que la livre, qui avait été survendue après la quasi-catastrophe de l’automne, s’est quelque peu rétablie.

Vue de l’extérieur, la Grande-Bretagne n’a rien d’attrayant

Selon les prévisions du consensus Bloomberg, le PIB britannique devrait reculer de 0,2% cette année, alors que l’économie de la zone euro devrait progresser de 0,6% et celle des États-Unis de 1,1%. Depuis le début des années 2020, l’économie britannique n’a plus connu de croissance (ce qui vaut toutefois également pour certains autres pays européens), alors que l’économie américaine a progressé de 5% en termes réels depuis lors. Il ne faut pas non plus oublier qu’en 2022, les actions britanniques figuraient parmi les plus fortes, notamment en raison de la part importante qu’y occupent les titres pétroliers et d’autres valeurs liées aux matières premières. Je me demande pourtant si les investisseurs ne sont pas devenus structurellement pessimistes pour le Royaume-Uni. Sa politique semble chaotique, une récession guette le pays en raison du resserrement massif de la politique monétaire britannique, et de plus en plus d’entreprises semblent se plaindre du poids de la bureaucratie, en particulier les exportateurs. Bien entendu, en Grande-Bretagne aussi, il existe des entreprises prospères, générant des rendements corrects. Mais tout bien considéré, il est difficile d’imaginer que les investisseurs internationaux puissent être tentés de surpondérer les actions ou les obligations britanniques.

A lire aussi...