Nous sommes pris dans un cercle vicieux

Chris Iggo, AXA IM Core Investments

6 minutes de lecture

2023, ce n’est pas 2008. Mais la confiance dans les banques a été ébranlée et les investisseurs ont beaucoup perdu, tant dans le domaine des actions que des crédits.

D’autres problèmes pourraient les attendre, car les investisseurs vendent des titres bancaires et craignent pour leurs dépôts. En outre, la qualité du crédit pourrait en pâtir. En effet, le secteur immobilier risque également de subir des pertes, et bon nombre de banques procèdent à des corrections de valeur sur leurs livres de crédit. Sur le marché des obligations, on semble être sûr de la tournure que prendront les évènements. La prochaine étape? Une baisse des taux d’intérêt. Dans ce cas, les obligations rapporteraient plus que le marché monétaire.

Des faillites bancaires: Les banques s’effondrent parce que leurs pertes dépassent le montant de leur capital, parce qu’elles ne peuvent pas honorer les demandes de paiement, parce qu’elles manquent de clients ou parce qu’elles ne peuvent pas continuer à fonctionner de façon habituelle en raison de la perte de confiance de leurs contreparties. Pour évaluer une banque et sa solvabilité, il faut être très bien informé sur tous ces aspects. Or, comme l’ont montré les évènements récents, la situation peut changer rapidement. Dans le monde des transactions en ligne, les avoirs peuvent être liquidés extrêmement rapidement, plus vite qu’au rythme auquel les banques peuvent vendre des actifs. Pour les investisseurs, il s’agit maintenant de savoir si un choc systémique touchant les taux d’intérêt se transformera en choc affectant le crédit. Ensuite, dans l’évaluation des banques, il faut tenir compte des pertes de crédit supplémentaires, réalisées ou non, et des pertes sur titres. À cela s’ajoutent des coûts de financement plus élevés pour éviter la fuite des dépôts, ainsi que des provisions pour couvrir d’éventuelles nouvelles pertes de crédit au cas où le resserrement des conditions de crédit porterait préjudice à l’économie. Au final, les actions et les emprunts bancaires pourraient être bien plus fragiles que le marché.

Confiance: Dans la tourmente d’une crise bancaire, c’est la politique qui mène le jeu. Les autorités de surveillance et les gouvernements peuvent se porter garants des dépôts bancaires. Ils peuvent accepter généreusement des actifs en garantie et introduire de nouvelles facilités de crédit pour que les banques puissent garder des liquidités. Il y a toutefois un problème: si l’on veut garantir tous les avoirs bancaires, les fonds actuels de garantie des dépôts – par exemple la ‘Federal Deposit Insurance Corporation’ (FDIC) aux États-Unis – ne suffisent pas. Fin février, les dépôts auprès des banques commerciales américaines s’élevaient à 17’500 milliards de dollars américains, selon la Fed. En cas de défaut de crédit comme celui qui s’est produit en 2008, il devient également difficile d’accepter en garantie des actifs bancaires d’une valeur supérieure au prix du marché. Cependant, si les actifs en question sont des obligations d’État américaines ou d’autres titres de qualité supérieure du même ordre, remboursables au pair, les banques centrales pourraient les échanger temporairement ou définitivement contre des liquidités, c’est-à-dire les incorporer à leurs propres bilans. Mais si la solvabilité de l’ensemble du système bancaire est menacée par des défauts de crédit, c’est à la politique fiscale d’intervenir. En 2008, dans le cadre du ‘Troubled Assets Relief Program’ (TARP), le Trésor américain avait pu racheter des actifs illiquides à des banques afin qu’elles n’accumulent pas de pertes supplémentaires. À l’époque, cela avait stabilisé les marchés et le système bancaire. Mais cela s’était fait avec l’argent des contribuables et n’avait pas compensé les pertes déjà subies par les banques.

Des aides de trésorerie, non pas une aide financière: Comme je l’ai déjà souligné, nous ne sommes pas en 2008. Chaque crise est différente. Depuis la dernière crise financière internationale, les grandes banques américaines sont soumises à une réglementation stricte, et elles ont doublé leurs ratios de fonds propres de base. Chaque année, des tests de résistance permettent de vérifier si elles disposent d’un capital suffisant, même dans des scénarios adverses tels qu’une récession avec une hausse du chômage ou la chute des prix de l’immobilier. Or, le problème est que les banques de taille plus modeste ne sont pas soumises aux mêmes tests de résistance que les grandes. De plus, on n’a jamais cherché à déterminer ce qui se passerait en cas de hausse des taux d’intérêt. Il est intéressant de noter que dans la dernière édition de sa revue bancaire trimestrielle, la FDIC a identifié le problème des pertes non réalisées à la fois pour les portefeuilles de négociation à court terme et pour les portefeuilles d’investissement à long terme (620 milliards de dollars US au quatrième trimestre 2022). Il va de soi que de telles pertes peuvent affaiblir encore davantage la base de capital des banques régionales, surtout si elles doivent faire face à de nouveaux retraits de dépôts.

La Fed n’est pas impuissante: J’ai toutefois des doutes quant à la volonté politique des États-Unis de soutenir les banques au moyen d’aides de l’État. Tous les regards sont donc tournés vers la Fed et la FDIC, mais aussi vers d’autres institutions qui fournissent actuellement des liquidités. Avant que l’État ne soit contraint d’intervenir, la Fed fera sans doute tout ce qui est en son pouvoir. Son arsenal comprend entre autres des baisses de taux d’intérêt et la fin du resserrement quantitatif. Ce dernier a déjà été en partie annulé en mars 2023 lorsque les banques à court de liquidités ont pu remettre une partie de leurs titres à la banque centrale.

Des fondamentaux plus faibles: Il se peut qu’en fin de compte, la situation se dégradera moins sévèrement que d’aucuns ne le craignent, d’autant plus qu’après la récente baisse des taux d’intérêt, les pertes comptables des portefeuilles obligataires des banques ne sont plus aussi importantes. Mais la liquidation des avoirs bancaires se poursuit, et cela durera aussi longtemps que les conditions de crédit se resserrent. D’autres banques régionales risquent alors de se retrouver en difficulté. À son tour, cela aurait des répercussions sur l’économie régionale, ainsi que sur les petites et moyennes entreprises. La probabilité d’une récession américaine s’est donc accrue. Nous sommes pris dans un cercle vicieux: les récessions ont toujours entraîné des pertes de crédit, qui ont à leur tour porté préjudice aux banques. Pendant ce temps, les fonds du marché monétaire et les obligations d’État américaines continuent d’offrir des rendements élevés, car la Fed relève à nouveau son taux directeur. Mais cela entraîne également la dissolution des avoirs bancaires. À cela s’ajoute le fait qu’aux États-Unis, l’immobilier commercial est majoritairement financé par les banques régionales. Ces dernières semaines, l’immobilier était déjà en retrait sur les actions et les obligations d’entreprises, aux États-Unis comme en Europe.

Les ondes de choc suisses: Ce ne sont pas les développements fondamentaux, mais les autorités de surveillance suisses qui ont massivement porté préjudice à la confiance dans le système bancaire européen. Les observateurs s’attendaient depuis longtemps à ce que le Crédit Suisse finisse par fusionner ou par être vendu à une autre banque. Même une liquidation semblait envisageable. Mais c’est le traitement réservé à certains créanciers obligataires qui a provoqué un véritable choc sur les marchés du crédit. Les autorités ont en effet décidé que dans le cadre de la vente de la banque à UBS, les obligations des autres niveaux du premier volet (‘Additional Tier1, AT1 Bonds’) du Crédit Suisse ne seraient servies qu’après les actions, si tant est qu’elles le soient. La structure du capital a ainsi été mise sens dessus dessous. Les autorités européennes se sont empressées d’assurer qu’en cas d’incident fâcheux, les obligations AT1 émises par les banques de l’Union européenne auraient un rang supérieur à celui des actions. Mais à ce moment-là, les cours avaient déjà chuté et les investisseurs du Crédit Suisse devront s’accommoder de leurs lourdes pertes. À court terme, il ne faut pas s’attendre à une forte demande de nouvelles obligations AT1. Après l’effondrement des cours, elles constituent un instrument de financement extrêmement coûteux pour les émetteurs potentiels. Il existe toutefois une nouvelle réjouissante: si l’on suit le raisonnement de l’autorité de surveillance bancaire de l’UE, en considérant que les ratios de capital des banques européennes sont suffisants, il est désormais possible de s’assurer des rendements élevés ad vitam aeternam avec les titres de banques européennes de qualité.

Europe: Il ne faut pas s’attendre à une contagion directe de la crise du Crédit Suisse, et l’UBS sera beaucoup plus grande et plus forte après la fusion qu’avant. Elle renforce sa position dans les activités de dépôt en Suisse et dans la gestion de fortune internationale, une activité qui est loin d’être aussi risquée que celle de la banque d’investissement. Mais les banques européennes souffrent également de la hausse des taux d’intérêt, de sorte que des pertes non réalisées pourraient également sommeiller dans leurs portefeuilles obligataires. Les banques peuvent couvrir individuellement les risques liés aux taux d’intérêt, mais dans son ensemble, le système bancaire n’est jamais à l’abri d’une hausse des taux d’intérêt. Enfin, un swap de taux d’intérêt se fait toujours à deux. Les ratios de fonds propres sont certes élevés, mais ils pourraient néanmoins être mis sous pression au cours des prochains trimestres. Globalement, les établissements bancaires européens semblent toutefois beaucoup plus stables que les banques régionales américaines.

Les derniers relèvements de taux? Ce mois-ci, la BCE, la Fed et la Banque d’Angleterre ont à nouveau relevé leurs taux d’intérêt. On pourrait y voir le signe que les banques centrales ne craignent pas une crise bancaire systémique. Le marché estime toutefois que de nouvelles hausses de taux ne sont pas envisageables. Actuellement on prévoit que d’ici le milieu de l’année, la Fed reviendra sur les 25 points de base annoncés jeudi. Par ailleurs, à en croire les marchés à terme, il est loin d’être certain que la BCE et la Banque d’Angleterre décident de nouvelles hausses de taux, et ne serait-ce que de 25 points de base. Il est intéressant de noter que le rendement américain à deux ans se trouve actuellement 137 points de base au-dessous du taux des fonds fédéraux. Depuis 1990, cet écart n’a dépassé 100 points de base qu’à quatre reprises. Et à chaque fois, la Fed a peu après entamé une baisse des taux d’intérêt.

Les obligations semblent stables et laissent augurer une bonne qualité: Il ne pourrait guère arriver quelque chose de mieux aux investisseurs en obligations qu’un taux directeur maximal. Dans de tels cas, les obligations ont généralement rapporté plus que le marché monétaire. Mais il se peut qu’en raison des problèmes rencontrés par les banques, vous vous fassiez du souci pour la qualité des crédits? Jusqu’à présent, les portefeuilles bien diversifiés ont presque toujours généré de bons revenus, compte tenu des rendements ou des spreads d’entrée actuels. Il est désormais possible d’investir dans des obligations de qualité émises par des entreprises financièrement stables, qui n’ont pratiquement pas besoin de crédits bancaires et qui ont un taux élevé de couverture des intérêts.

Il existe cependant des signes indiquant que les investisseurs sont précisément en train de faire le contraire. Ils retirent de l’argent des obligations et l’investissent à la place dans des fonds du marché monétaire ou des obligations d’État. J’y vois une réaction de panique. En procédant de la sorte, on risque facilement de passer à côté d’une forte reprise du crédit quand l’humeur changera, que ce soit à la suite d’une évolution réjouissante ou grâce à de nouvelles mesures de la banque centrale. Ces changements surviennent souvent plus rapidement que prévu.

Les risques demeurent: Vu les problèmes du secteur financier, il est tout à fait compréhensible d’adopter un positionnement défensif. À court terme, les choses peuvent encore empirer. Dans le situation actuelle, les gains en actions semblent difficilement envisageables. Étant donné la faiblesse des valeurs technologiques et énergétiques – et maintenant des valeurs bancaires – nous craignons depuis longtemps une nouvelle baisse des bénéfices des entreprises aux États-Unis. Mais lorsque les rendements obligataires baissent, les valorisations des actions augmentent: actuellement, l’écart entre le rendement des bénéfices des entreprises et le rendement américain à dix ans est de 2,2%. Si l’on se base sur les attentes de l’avis dominant en matière de bénéfices pour 2024, et sur le rendement à dix ans prévu dans un an, l’écart est de 2,82%, et il devrait même atteindre 3,37% en 2025. Quand les doutes sur la stabilité financière font chuter les rendements obligataires et les cours des actions, cela ouvre la voie vers des rendements plus élevés une fois que les perspectives s’éclaircissent. Une fois la crise de confiance actuelle surmontée, la performance devrait s’améliorer. On sera alors à nouveau indemnisé pour les risques encourus, d’autant plus que cette fois, contrairement à 2008 (et contrairement également à ce que l’on craignait au début de la pandémie de COVID), nous n’avons pas affaire à un choc systémique.

A lire aussi...