Pour l’instant, rester sur la défensive

Chris Iggo, AXA Investment Managers

4 minutes de lecture

Il ne serait pas surprenant qu'une récession mondiale succède au choc énergétique global provoqué par la guerre sur le sol européen.

  • Nous sommes tous confrontés aux effets de la crise du coût de la vie.
  • Certes, les gouvernements élaboreront des mesures pour y remédier, mais l’incertitude règne quant à la façon dont réagiront les marchés. Si les moyens auxiliaires ne devaient pas conduire à une baisse des prix de l’énergie, cela pourrait avoir un impact sur les perspectives de croissance.
  • Il est donc judicieux d’adopter une position défensive jusqu'à ce que les évaluations plus favorables passent à nouveau au premier plan.
Le retour du marché en baisse

Au vu du flot incessant de mauvaises nouvelles qui nous parviennent, il est certainement conseillé d’assurer une gestion de portefeuille défensive jusqu'à la fin de l’année. L’inflation se maintient à un niveau élevé, l’idée que la banque centrale américaine (Fed) pourrait abandonner sa politique monétaire restrictive est sans fondement, la guerre en Ukraine perdure et la crise énergétique appauvrit aussi bien les ménages que les entreprises. Après avoir déclaré le pic des rendements obligataires en juin, nous sommes aujourd'hui prêts à nous rallier à l’opinion selon laquelle les rendements pourraient malgré tout encore dépasser ce niveau. Au Royaume-Uni, cela s’est déjà produit: le taux de capitalisation des emprunts d’Etats britanniques à dix ans se situe à 2,9% contre 2,74% en juin. Aussi bien la Fed que la Banque centrale européenne (BCE) vont probablement relever leurs taux directeurs de 75 points de base (pb) lors de leur réunion du 8 septembre, respectivement du 21 septembre.

Une nouvelle mise à l’épreuve du point le plus bas de juin pour les marchés boursiers?

Pour les marchés boursiers, les rendements obligataires plus élevés ne sont pas une bonne chose. L’accroissement des rendements réels enregistrés au deuxième trimestre a contribué à l’évolution négative des marchés boursiers. L’aspect « croissance » a réussi nettement moins bien que l’aspect « valeur ». Le rendement réel des titres américains à dix ans - comparé au rendement des titres du Trésor protégés contre l'inflation (ou TIPS) - est passé de 7 pb fin juillet à 71 pb à la mi-août. Durant la même période, l’indice de croissance des S&P 500 a évolué moins bien que l’indice de valeur. Un environnement macroéconomique laissant présager des rendements plus faibles et des taux de rendements plus élevés constituent une association néfaste pour les marchés boursiers. Une fois de plus, les niveaux planchers enregistrés en juin 2022 pourraient être mis à l’épreuve dans les marchés boursiers américains, ainsi qu’ailleurs.

Énergie, inflation, taux d’intérêt et croissance

Les perspectives sont floues. Aux Etats-Unis, le marché du travail reste solide, la dernière enquête JOLTS y indiquant plus de 11,2 millions d'emplois à pourvoir, soit plus du double du nombre de chômeurs inscrits. Les récents rapports sur le produit intérieur brut (PIB) faisaient état d’une croissance négative. La Fed reste néanmoins déterminée à relever les taux d'intérêt jusqu'à ce que le marché de l’emploi s'effondre, afin d'éviter que la croissance des salaires n'alimente l'inflation. Dans le même temps, l’inflation importante grève les revenus réels dans la plupart des économies nationales. Les pays européens vont au-devant d’un possible rationnement de l’énergie cet hiver. Les gouvernements s’efforcent de résoudre rapidement la crise énergétique. Or, en fin de compte, ce sera une décision politique qui déterminera à qui il incombera de payer la facture : aux consommateurs, aux contribuables ou aux entreprises énergétiques. Le problème fondamental n’en demeure pas moins que c’est la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine qui a rompu l’équilibre mondial de l’offre et de la demande sur les marchés du gaz. Tant qu’il n’y sera pas remédié, les perspectives d’une croissance économique durable au niveau mondial sont très sombres.

Un quelconque soulagement en vue?

Si la guerre ne prenait pas fin, qu’est-ce qui pourrait limiter les risques de ralentissement ? Il faut avant tout rééquilibrer l'approvisionnement en énergie. L'augmentation du taux de remplissage des réservoirs de gaz en Allemagne, au cours des derniers mois, est une évolution positive, puisque les données de Bloomberg indiquent que les réservoirs sont remplis à 84 %, un taux supérieur au niveau de l'année précédente. Partout dans le monde, les gouvernements s’efforcent de se rendre moins dépendants de la Russie. Ainsi, on envisage ou observe déjà une augmentation de la production d'électricité d'origine nucléaire, un renforcement des importations de gaz naturel liquéfié et des efforts pour augmenter l'extraction à partir de diverses sources d'énergie, y compris le pétrole et le gaz sur le plateau continental britannique, du moins lorsque cela est possible. Il sera éventuellement nécessaire de limiter la demande en améliorant l'efficacité, en réduisant la consommation d'énergie pour les activités non vitales et, le cas échéant, en imposant un certain rationnement. On observera également un recul de la demande, car les ménages et les entreprises sont en train de réduire leur consommation d’énergie. La baisse des prix de gros du gaz, enregistrée cette semaine en Europe, est peut-être le signe que certains de ces facteurs ont déjà un impact sur l'offre et la demande. Sur la place de marché néerlandaise, les prix des livraisons à un mois ont baissé de 25% la semaine dernière (mais restent supérieurs de 50% à ceux d'il y a deux mois).

À quand le tournant?

Il ne serait pas surprenant qu'une récession mondiale succède au choc énergétique global provoqué par la guerre sur le sol européen. Par conséquent, il est difficile de s'accommoder de taux d'intérêt beaucoup plus élevés. Cela a déjà été dit maintes fois: les banques centrales n’ont pas le pouvoir d’influencer directement les prix de l’énergie. Elles peuvent le faire indirectement en agissant sur une diminution de la demande, mais il est probable que leurs mesures aggravent déjà la baisse de la demande actuellement en cours. Un revirement aura lieu à un moment ou à un autre, mais la Fed devra d’abord constater des taux d'inflation plus bas ainsi qu’un ralentissement de la tendance sur le marché de l’emploi, et la BCE, qui a trop longtemps maintenu les taux d'intérêt à un niveau trop bas, devra être sûre d'avoir atteint un taux d'intérêt lui permettant de contrôler l'inflation de manière appropriée. Nous estimons qu'un renversement des attentes du marché pourrait se produire bientôt - l'inversion de la courbe des rendements des obligations d'État américaines est un indice clair pointant dans cette direction.

Des bons du Trésor américain intéressants

En attendant, les taux directeurs américains devraient se situer à près de quatre pour cent. Si les taux d'intérêt sont relevés de 150 pb supplémentaires, il s'agira, en termes de progression des relèvements, du cycle de hausse des taux d'intérêt le plus agressif depuis des décennies. C’est plus le Delta que le niveau qui semble déterminant. En effet, chaque hausse supplémentaire d'un point de pourcentage a le même impact, que l’on parte de zéro ou de cinq pour cent. Le fait que les taux d'intérêt soient restés si bas pendant si longtemps, avant d'être fortement augmentés, est le point central lorsqu'il s'agit d’établir combien les emprunteurs devront payer en plus.

L’accroissement des anticipations de taux d'intérêt depuis début août a poussé les rendements à la hausse sur l'ensemble de la courbe, ce qui a créé des possibilités intéressantes. Si l'on considère l'indice Bank of America/ICE pour les bons du Trésor américain de trois à cinq ans, le taux de rendement est désormais de 3,4% et le prix moyen des obligations comprises dans l'indice se situe à 93,3%. Bien qu’à court terme nous soyons inquiets pour les marchés, nous ne pensons pas que pour les titres à revenu fixe le mois de juillet aura été le dernier mois de rendements positifs que nous aurons connu cette année. Il est possible d’avoir une position défensive tout en obtenant néanmoins un rendement positif.

Réticence vis-à-vis des gilts britanniques

La priorité absolue est de surmonter la crise du coût de la vie. Il n’existe toutefois pas de solutions simples, et il est probable que cela pèsera encore un certain temps sur le tissu social du Royaume-Uni. La hausse des rendements des gilts semble être due à la crainte que les chiffres de l'inflation puissent continuer d'augmenter suite aux deux prochains ajustements du plafond des prix de l'énergie intervenant au niveau national. Soit cela paraît fou, car une telle attaque contre les finances des ménages et des petites entreprises entraînera inévitablement des charges économiques massives. Ou alors, les rendements des gilts pourraient augmenter en raison des coûts fiscaux potentiels liés à la lutte contre les effets de la crise énergétique. En tous les cas, personne ne semble encore disposé à se lancer dans le marché du gilt.

L’évolution de la livre sterling reflète la façon dont les marchés évaluent la situation de la Grande-Bretagne. Par rapport au dollar, la livre sterling n'a jamais retrouvé le niveau auquel elle se situait le jour du référendum sur le Brexit en juin 2016. Si les marchés réagissent mal au nouveau gouvernement, un cours de la livre inférieur à un dollar n'est pas à exclure. Après avoir quitté le mécanisme de change en 1992, la livre sterling avait chuté de 17% sur une base pondérée par les échanges commerciaux. L'économie s'était ensuite redressée et les changements politiques avaient finalement conduit à un gouvernement de centre-gauche en 1997. Depuis 2015, l'indice pondéré par le commerce extérieur a perdu 18% - nous ne serions pas prêts à parier contre un changement de pouvoir politique en 2024.

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