Politique de placement: vers une récession limitée

Erik Fruytier, Gonet & Cie

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Les entreprises ont encore des bilans solides et les consommateurs disposent toujours d’épargnes excédentaires accumulées durant la crise du Covid.

On s’approche de la fin d’une année qui aura testé les nerfs des investisseurs puisque la majorité des classes d’actifs ont produit des résultats négatifs en 2022. L’année qui vient de s’écouler a été marquée par les actions des banques centrales visant à contrôler l’inflation. Les dernières statistiques américaines indiquent qu’un pic a bien été atteint fin 2022. Par conséquent, les investisseurs s’attendent à ce que la Fed ralentisse le rythme des hausses de taux. En Europe, le pic d’inflation interviendra probablement en début 2023. La BCE et la BNS doivent maintenir leurs attitudes plus restrictives, car elles ont commencé à relever leurs taux plus tard et n’ont pas encore atteint un niveau qu’elles jugent assez restrictif.

Nous pensons que l’inflation continuera de ralentir car l’effet de base des prix de l’énergie influencera considérablement les chiffres. Le grand débat en 2023 va se concentrer sur les effets de ces hausses de taux: est-ce que les économies américaines et européennes vont partir en récession et si oui, avec quelle ampleur? Notre scénario central est que la récession sera limitée, car les entreprises ont encore des bilans solides et les consommateurs disposent toujours d’épargnes excédentaires accumulées durant la crise du Covid. Le marché de l’emploi est encore solide même si l'on sait que cette statistique reflète plutôt la situation économique du passé. Le secteur de l’immobilier aux Etats-Unis donnera probablement le signal, car le ralentissement des nouvelles constructions suite à la hausse des taux hypothécaires va entraîner des pertes d’emploi rapides dans le secteur de la construction. Les investisseurs parient actuellement que la Fed n’arrivera pas à aller au bout de ses hausses de taux parce que les chiffres économiques se détérioreront avant. Nul doute que les marchés vont rester volatils début 2023.

Dans ce contexte, nous nous demandons si les prévisions de bénéfices pour 2023 sont crédibles. A ce stade, le marché n’a pas intégré une baisse des bénéfices et des marges pour 2023. Les entreprises ont profité de leur capacité à augmenter les prix pour compenser l’inflation et la baisse des volumes. Si le ralentissement provoqué par les banques centrales est très limité, les prévisions de bénéfices actuelles peuvent être réalistes; toutefois, le risque demeure à la baisse jusqu’à ce que nous ayons une image plus claire de la performance économique début 2023.

Le gouvernement chinois a surpris les investisseurs avec les changements dans sa politique sanitaire. On ne saura jamais si cela est le résultat d’une analyse scientifique, économique ou suite aux pressions de la population. L’économie chinoise a beaucoup souffert de la politique zéro-Covid, le changement indiqué par les autorités va permettre un redémarrage. La reprise ne va pas être linéaire car la population va faire face à l’augmentation des cas de Covid et va probablement se restreindre dans ses activités. Toutefois, l’expérience en Europe et aux Etats-Unis nous montre qu’une fois que les mesures s’assouplissent, l’économie repart. En ce qui concerne l’investissement, la Chine offrira aux intéressés une alternative aux économies développées qui connaîtront toutes un ralentissement début 2023. Un redémarrage de l’économie chinoise rajoutera une pression inflationniste, mais le monde arrivera à mieux l’absorber que si ce changement de politique avait eu lieu en 2022.

La situation en Ukraine reste difficile, mais plusieurs signes indiquent que la probabilité d’un cessez-le-feu augmente. Il est très difficile de se projeter mais si cela se produisait, les investisseurs s’attendraient à des effets positifs sur la confiance des consommateurs en Europe et à une baisse des prix des matières premières. Dans le contexte actuel de la guerre, il semble difficile d’imaginer que les deux camps puissent commencer à négocier mais heureusement la probabilité semble aller dans ce sens.

Pour revenir aux marchés financiers, on sait que ces derniers essayent, avec plus ou moins de succès, d’anticiper le futur donc les investisseurs rapidement vont essayer de se positionner pour le rebond économique qui suivra le ralentissement du début 2023. L’économie américaine est généralement plus flexible, donc il est probable qu’elle reparte plus vite. L’économie européenne est plus vulnérable aux dislocations dans le marché de l’énergie. Selon les développements en Ukraine, cela peut jouer en faveur ou en défaveur de l’Europe.

La dernière question à laquelle répondre concerne l’évolution à moyen terme de l’inflation. Il est très probable que l’inflation à court terme baisse toutefois assez rapidement pour les raisons expliquées plus haut. A ce jour, il est difficile de savoir si l’inflation retournera aux fameux 2% désirés par les banques centrales. Les changements fondamentaux dans les marchés de l’énergie, la transition énergétique et les hausses de salaires prévues pour 2023 risquent bien de rendre la baisse de l’inflation vers ces niveaux difficile avant 2024 au plus tôt. Il s’agira de rester très vigilant, surtout si la Fed est tentée de baisser ses taux trop rapidement.

L’année 2022 a été compliquée pour les investisseurs, 2023 sera vraisemblablement meilleure mais pas plus facile pour autant. Le marché obligataire est redevenu intéressant et attire les investisseurs depuis quelques mois. Un marché obligataire stable devrait donner une bonne base aux allocations. Le rebond du marché des actions interviendra quand les investisseurs auront pu juger de l’amplitude du ralentissement économique. A partir de ce moment-là, on verra un repositionnement vers les thèmes de la reprise poussés par l’anticipation des baisses de taux. Tout cela semble assez logique, mais maintenant il faut mettre les pièces dans le bon ordre.

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